Chapitre 17

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Une puante chaleur les frappa lorsqu’ils débouchèrent sur un gigantesque hall concrétionné. Une immense caverne aux parois tantôt friables, tantôt tranchantes. Le tunnel qu’ils avaient emprunté donnait sur un parapet naturel duquel les deux compères avaient une vue plongeante sur une foule de personnes déambulant entre des stalagmites de toutes tailles et de toutes formes. D’autres entrées ou sorties grenelaient la roche et laissaient deviner l’immensité des lieux.

Ezéquiel commença par se passer les mains dans sa chevelure nouvellement brune tout en s’étirant vers l’arrière.

— Bien ! s’exclama-t-il. Je propose que l’on fasse la même chose pour le moment.

— C’est-à-dire ? demanda Caes qui appréciait les dimensions de la caverne de même que sa voute qui atteignait au bas mot les soixante mètres.

— Déambuler comme tout le monde, lui fut-il répondu avec nonchalance.

Le regard du chevalier s’étrécit à l’écoute de ce nouveau programme.

— Je croyais que tu voulais recruter ?

Le jeune prince roula des yeux.

— On va y venir, j’imagine…

— Tu imagines…, acquiesça Caes. Tu sais quoi, Ezéquiel, je vais te laisser à ton programme passionnant dans lequel tu déambuleras à loisir. Pendant ce temps, je vais tenter de trouver d’autres types de solutions comme s’échapper, par exemple. Car une chose est sure, nous allons mourir dans ces épreuves si nous y participons.

— Je ne pense pas que s’échapper soit une opti…, commença Ezéquiel avant que Caes ne l’attrape par le col.

Le jeune prince se tut alors que le chevalier le fusillait de son regard glacial. Au-delà du parapet, le sol se trouvait à une bonne trentaine de mètres sous leurs pieds.

— Je gère mes options comme je l’entends, gronda le chevalier brun d’un ton sans équivoque. J’ai mon destin entre mes mains et ce n’est pas une gamine qui fera de moi ce qu’elle voudra. Ou encore que je me plie à ses caprices psychotiques.

Il lâcha Ezéquiel qui n’avait pas bronché avant de se retourner pour lancer par-dessus son épaule.

— Essaie juste de ne pas te faire éclater la tronche pendant mon absence.

— J’y tacherai, répondit simplement son compagnon alors que le chevalier s’éloignait à grands pas le long d’un chemin descendant particulièrement escarpé.

Les ongles lui labouraient les paumes des mains et les dents étaient serrées à s’en casser les molaires. Il se sentait sur le poing d’exploser. Laisser Ezéquiel sans protection n’avait pas été son intention mais son angoisse était telle qu’il se sentait un danger pour toute personne proche de lui. Il parvint en bas de la grotte très rapidement pour se diriger sur le flanc droit de cette dernière. Une petite cascade y coulait et il bouscula plusieurs personnes pour atteindre sa destination.

— Hey ! Je vais t’apprendre les bonnes manières, sale petit…

La tête de l’homme qui venait de protester tout en agrippant le bras du chevalier rencontra la roche d’une stalagmite à vive allure. Lorsque la main de Caes lâcha l’arrière de son crâne, celui-ci s’écroula sur le sol pierreux. Sans faire plus attention aux cris d’indignation qui surgissaient de toutes parts, le chevalier plongea la tête sous l’un des ruisselets de la cascade. Là, la main sur la poitrine tout en retenant sa respiration, il tenta de se calmer.

Je contrôle mon destin. Ma vie m’appartient.

La boule dans son ventre n’en disparaissait pas pour autant. Le terrible sentiment d’oppression qui le taraudait depuis qu’ils avaient quitté le fief des Petitpieds le submergeait littéralement.

Ta maman ne reviendra pas, Caes…

Il se détourna subitement en adoptant une posture de combat pour se retrouver face à un jeune Noir qui le dévisageait avec fermeté. Le chevalier lui rendit son regard avant de grogner.

— Qu’est-ce que tu m’veux ?

Les yeux du jeune Noir ne perdirent en rien de leur sévérité et malgré lui, Caes ne tarda pas à ressentir un certain malaise.

— Tu n’avais pas à faire ça.

Sur ces mots, son interlocuteur se détourna de lui pour se porter au chevet de l’homme que Caes venait de blesser. Grognant, ce dernier se tenait la moitié du visage d’une main.

— Là Victor, laisse-moi voir.

— Cet enfoiré n’a pas été loin de me péter le nez !

— Tu peux t’estimer heureux que je ne m’en sois tenu qu’à ça, rétorqua le chevalier avec hargne tout en avisant le groupe d’hommes et de femmes qui n’avait pas tardé à l’entourer.

Une vingtaine, au total et Caes fit craquer ses articulations avec une sonorité effrayante. Ses yeux brillaient d’une lueur assassine et certains parmi ses opposants reculèrent d’un pas.

— Il serait préférable que vous laissiez ce comportement de côté et que vous m’apportiez un tissu trempé, intervint le dénommé Jalil qui maintenait la tête de la victime du chevalier en arrière. Pourquoi nous entretuer maintenant, les Jeux s’en chargeront tout aussi bien.

Les opposants de Caes acquiescèrent avec respect tandis que l’un d’entre eux déchirait une manche de sa tunique pour aller l’imbiber d’eau. Le chevalier brun fronça les sourcils alors que certains prenaient positions et entouraient ce qui ressemblait à un camp de fortune. Caes savait reconnaître un comportement militaire ou du moins ce qui ressemblait fortement à une garde.

— Vous ne semblez pas être des criminels, lança-t-il à l’adresse du jeune Noir.

— J’aimerais en dire autant de toi, répliqua celui-ci tout en nettoyant le visage du dénommé Victor.

Le chevalier grogna. Il n’avait pas envie de s’excuser et il eut droit aux regards dédaigneux des autres membres du groupe.

— Alors pourquoi êtes-vous ici ?

Jalil sourit tristement tout en laissant Victor plaquer lui-même le pansement de fortune sur la coupure située sur sa pommette. Se relevant, il avisa Caes.

— Tu n’es pas d’ici, n’est-ce pas ? L’Archevêque a gagné. Ce qui veut dire que le baron de l’Ours est maintenant maître absolu du Croissant. Et il compte bien le rester. Nous sommes beaucoup à combler les Fosses. Gens de pouvoir ou de loyauté envers ses concurrents.

Il inspira profondément avant de reprendre.

— Et nous ne sommes pas tous des criminels.

Caes le jaugea un instant. Ce jeune homme avait le regard franc et honnête. Mais plus révélateur restait l’attitude de ses hommes à son égard. Le chevalier ne voyait pas de peur quant à leur obéissance. Seulement de la loyauté et du respect.

— Je ne suis pas un criminel, déclara-t-il.

Jalil sourit.

— Je m’en serais douté.

La tension baissa d’un cran dans le groupe et Caes acquiesça tout en avisant Victor qui le fusillait du regard.

— Je suis désolé pour ton visage.

— Le métier qui rentre, grogna l’autre avant de finalement rajouter. T’inquiète pas, on est dans une situation de merde et t’es pas l’seul à péter les plombs.

Ravalant sa culpabilité, le chevalier hocha une nouvelle fois la tête avant de se tourner vers Jalil.

— Les Jeux semblent n’être qu’une voie sans issue. Avez-vous la moindre piste sur comment s’échapper d’ici ?

— Personne ne s’est jamais échappé des Fosses, éructa quelqu’un dans son dos. Ou aux Jeux. On y participe bon gré mal gré, et on y meurt.

— Se faisant, on essaye de mourir de la manière la moins horrible possible, rajouta Victor.

Après une grimace à l’écoute de ces paroles réconfortantes, Jalil, dont le sourire avait disparu, acquiesça.

— C’est brutal mais c’est la vérité. Cependant, je ne serais pas aussi défaitiste…

Il laissa sa phrase en suspens alors que les autres membres du groupe levaient les yeux au ciel ou échangeaient des regards mi amusés, mi conciliants.

— Nous sommes un groupe capable, poursuivit Jalil avec conviction. Si nous voulons avoir une chance de survivre, nous devons le faire ensemble. Si nous restons soudés et affrontons les épreuves… alors oui, nous avons une chance.

— De toutes manières, il n’y a guère d’autres choix, grommela Victor qui tamponnait toujours son visage avant d’aviser Caes. Est-ce qu’on doit compter un nouveau camarade dans l’équipe ?

Le chevalier se prit la tête à deux mains sans répondre avant de se retourner pour apprécier le reste du hall naturel dans lequel ils se trouvaient ainsi que la foule de détenus qui y grouillait. Ezéquiel était justement en train de recruter en ce moment. Et Caes avait préféré le laisser agir à sa manière. Maintenant, il savait pourquoi. De la même manière que le boiteux cherchait à garder ses hommes autour de lui, Ezéquiel était en train de rassembler des individus qui allaient leur servir de boucliers humains.

Le jeune prince s’inquiétait pour Cormack et rien ne l’arrêterait.

Le chevalier serra les dents. Le sentiment d’oppression était toujours aussi fort au sein de son estomac. Il n’allait pas bien et c’était un euphémisme. Mais cela l’excusait-il ? Certes, Ezéquiel, lui-même, était en train d’assembler ceux qui allaient mourir pour lui. Cependant, ces gens mouraient aussi pour Caes. Qu’ils soient des criminels n’y changeaient rien. Et après ce qu’il venait de voir, beaucoup parmi les gens prisonniers ici étaient des innocents.

Il se tourna pour dévisager le groupe qui lui faisait face, ainsi que Jalil, leur chef. Il nota leurs regards durs mais francs. Le regard d’hommes et femmes de devoir.

— Je…, commença-t-il.

Les torses de Garrick et Cain tombe soudain devant ses yeux. Plus loin, Adrian est en train d’être dévoré.

— Je ne pense pas.

Sa voix n’avait pas tremblé alors que dans sa tête se poursuivait le massacre de ses amis. Les membres de Pierrick jonchent le sol et l’Écorcheur sourit à pleines dents avant de croquer goulûment dans les chairs de sa victime.

Face à lui, les regards s’écarquillaient ou les expressions se fermaient.

— Tu penses avoir plus de chances, seul ? grogna Victor avec dédain.

Caes ferma les yeux tandis que Kad se faisait décapiter par un autre écorcheur. Ceci juste avant que Tristan se soit happé et projeté dans le vide.

— Que ferez-vous lorsque vous tomberez les uns après les autres ?

— Pardon ? gronda Victor en délaissant son tissu pour le dévisager.

— Que ferez-vous lorsqu’il ne restera que la panique ? Serez-vous aussi soudés alors ?

Le chevalier n’élevait pas la voix mais celle-ci parvenait sans mal à ses auditeurs. Dans son esprit, les hurlements de Tristan résonnaient avec force alors qu’il chutait dans le vide.

— Et si vous l’êtes ? Pensez-vous que cela suffira ?

— Je peux savoir pour qui tu t’prends ?! s’écria Victor en s’avançant vers lui. Nous sommes la garde de l’Échanson. Nous sommes des hommes d’honneur ! Tu…

Il s’interrompit devant le regard que Caes releva vers lui. Bien que nulle agressivité n’y tienne place, il détenait une expérience qui jurait avec la jeunesse de son interlocuteur. Caes eut un sourire sans joie. Devant lui, le rictus de douleur figé sur le visage de Bern l’accusait toujours de ne pas avoir été capable de les protéger.

— Les hommes d’honneur meurent aussi bien que les autres, déclara-t-il en dépassant l’ex-garde qui n’esquissa pas un geste. Mieux, même.

Il stoppa avant de se tourner vers Jalil qui se contenta de hocher simplement de la tête.

— Je vous souhaite bonne chance, vous en aurez besoin.

Le jeune Noir acquiesça avec sérieux.

— Tu en auras besoin aussi, répliqua-t-il.

Caes franchit les limites de ce camp de fortune, laissant ainsi ce groupe pour emporter avec lui les fantômes de ses frères d’armes tombés au combat.

Non, Jalil et son groupe ne mouraient pas pour lui, ou pour Ezéquiel. Quels que soient leurs destins…

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