Chapitre 15

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L’odeur était nauséabonde, les cris perçaient les tympans et les lamentations soulevaient le cœur. Ils avaient été ligotés, bâillonnés puis on leur avait enfourné la tête dans de sombres sacs. Ainsi, ils avaient passé des heures cahotantes à l’intérieur de leur propre charriot pour être ensuite conduits ici. La vue leur étant enlevée, ils avaient pu faire confiance à leurs autres sens. L’odorat, alors que l’odeur pestilentielle les enveloppait sitôt entrés dans cet enfer. L’ouïe, avec la cacophonie ambiante tout en hurlements, insultes, prières et agonie. Le toucher, lorsqu’ils se coupaient sur les stalagmites où en se cognant sur les parois acérées. Le goût de cette même atmosphère qui s’insinuait dans leurs bouches telle une brume putride à la réelle consistance.

On leur enleva les tissus qu’ils avaient sur la tête.

— Non, s’il vous plaît… S’il vous…

Un coup de botte fit taire le pauvre Myrte, l’envoyant bouler sur le sol à la pierre coupante de la cellule. Le cri qu’il poussa par la suite ne fit que s’ajouter à la cacophonie régnant dans l’enfer au sein duquel ils venaient d’être conduits. Un labyrinthe aux parois parcourues de cavités faisant offices de cellules et se superposant à plusieurs mètres de hauteurs. Disposées sans logique apparente, elles bordaient de sordides allées aux stalagmites tranchantes.

Au fond de la cage, des silhouettes assises contre les murs se levèrent en avisant l’arrivée de nouveaux détenus.

— Vous voici dans les Fosses ! s’exclama Sybille en faisant face à Ezéquiel et Caes. Vous verrez vite qu’il s’agit d’un endroit à part dans les Baronnies. Et même dans les Contrées. Bien sûr, une visite des lieux serait bien trop longue et donc impossible car mon emploi du temps se trouve être très chargé. Cependant, je ne doute pas que vous trouverez le moyen d’en découvrir les sites les plus intéressants.

Elle leur adressa un sourire radieux tout en hochant de la tête à plusieurs reprises avant de proposer en désignant Myrte du doigt.

— Je ne pense pas que vous ayez besoin de la même aide pour entrer à votre tour dans vos nouveaux appartements.

Les deux compères échangèrent un regard désabusé. Autour d’eux, les gardes s’approchèrent avec des expressions sans équivoques. Tout en serrant les poings, le chevalier s’apprêta à franchir les barreaux.

— Comment savais-tu qui nous étions, ou même que nous venions ?

Il suspendit son geste et les gardes se raidirent. C’était Ezéquiel qui venait de poser ces questions et il ne semblait pas disposé à bouger. Il regardait Sybille comme si elle n’était pas réelle.

— Parce que je vois l’avenir, Ezéquiel, répondit-elle le plus sérieusement du monde.

Quelques instants passèrent sans que l’un d’entre eux ne parle. Ceci dans les hurlements et pleurs les entourant.

— Et le passé, ajouta-t-elle alors que le jeune prince ouvrait la bouche. Bien qu’il faille savoir où regarder, ce n’est pas si évident. Sans compter que certaine personnes excellent à rester dans le flou…

— Bien sûr, répliqua le jeune prince qui trouvait visiblement plus important de détailler son environnement.

Le sourire de Sybille s’élargit.

— Je sais ce que tu as fait dans les plaines de sang…

Elle laissa sa phrase en suspens tout en jetant un regard appuyé faussement sévère à son interlocuteur. Celui-ci délaissa les alentours pour reporter sur la fillette un regard stupéfait. Derrière les barreaux, plusieurs prisonniers patibulaires avaient déjà commencé à entourer le pitoyable Myrte.

— Pourquoi nous avoir amenés ici ?

Le sourire de Sybille s’accentua.

— Pourquoi…, gloussa-t-elle. Dans quel sens me le demandes-tu ? Celui où j’ignore ce que vous êtes venus faire ici ?

— Le sais-tu ?

— Je m’en moque…, rétorqua-t-elle malicieusement. La Bande Centrale a son champion qui ne me paraît pas encore prêt à embrasser son destin. Quant à vous deux…, c’est plus difficile à dire. Pour le moment, j’imagine qu’il va tout simplement vous falloir survivre. Ne vous inquiétez pas pour le reste, vos identités sont sauves…, elles.

Elle s’interrompit alors que Caes pénétrait la cellule de son plein gré sans ne plus faire attention à elle. En voyant cela, la petite fille pencha la tête.

— Déjà dans le combat contre ta peur, Caes. C’est une bonne chose…

— Cesse de parler comme si tu me connaissais, hurla-t-il avec une violence inouïe.

Bien qu’il soit derrière les barreaux, les gardes braquèrent instantanément leurs armes dans sa direction. Les deux derrière Ezéquiel poussèrent le jeune prince de la pointe de leurs lances et le forcèrent à rejoindre le chevalier. Les prisonniers, eux, vidèrent les alentours du page pour se regrouper en un bloc défensif.

Sybille, elle, ne s’était toujours pas départie de son sourire.

— Je prends note ! s’exclama-t-elle en se détournant d’eux.

Sitôt Ezéquiel dans la cellule, une garde ferma la porte dans un grincement avant de tourner la clef. De là, ils purent voir la petite fille leur faire un signe nonchalant de la main avant de partir purement et simplement, suivie de son escorte.

Quelques secondes passèrent.

— Merde !!!

C’était Caes qui venait de hurler et pour le coup, le silence se fit dans un rayon de soixante mètres. Les poings et les dents serrés, il s’était plié dans cet accès de rage. Ses membres tremblant sous la force de cette dernière. À quelques pas, l’un des prisonniers s’avança vers lui d’une ridicule démarche chaloupée.

— Eh ben, le p’tit brun ! Y’a un truc qui te chiffonne ? Tu peux pas te pointer comme ça et faire la loi comme ça t’chante. Y’a des règles ici, si tu veux pas t’faire casser la g…

La droite que Caes lui asséna en pleine figure lui fit quitter les pieds du sol pour que ceux-ci s’élèvent bien au-dessus de son centre de gravité. De la même manière que le chevalier s’était plié de colère, le corps du vaurien se plia en direction du plafond pierreux sous la force du coup. Le choc résonna encore plus loin que le rayon de silence, en provoquant ainsi un nouveau plus étendu que le premier.

Le détenu n’avait pas encore touché le sol que Caes s’était déjà tourné vers Ezéquiel qui s’était laissé glisser dos contre le mur en position assise.

— C’est TA putain de faute !

— Je ne pouvais pas savoir qu’on aurait un comité d’accueil, répliqua Ezéquiel qui fixait les stalactites mais dont la voix se trouvait pleine d’acidité.

— JE t’avais dit que ça puait, ton histoire !

— JE ne pouvais pas savoir qu’une fichue voyante de huit ans nous attendait en se marrant ! s’écria le jeune prince en se levant.

En quelques pas, ils se rejoignirent tout en s’attrapant par les cols de l’un de l’autre.

— T’avais juste à m’écouter mais t’en as fait qu’à ta putain de tête !

— J’avais un plan !

— T’avais un début de plan qui valait rien ! Et maintenant, on est grave dans la merde !

— C’est facile à dire quand on fait qu’attendre des ordres !

— Répète ça, pour voir !

C’est alors qu’une voix nasillarde se fit entendre, interrompant les deux compères.

— Qu’est ce que c’est qu’ce bordel ?!

Elle provenait du flanc gauche de la cellule et les deux compagnons se tournèrent dans un bel ensemble dans cette direction pour s’apercevoir que cette même cellule n’était pas seulement quatre murs.

Émergeant d’un sombre tunnel, un groupe d’hommes à l’air encore plus patibulaire les dévisageaient d’un air mauvais. Celui à leur tête s’avança à leur rencontre. Il boitait.

— J’ai demandé ce que c’était qu’ce bordel ?

Caes repoussa Ezéquiel avant de se tourner vers le nouvel arrivant.

— Un bordel dans lequel tu ne veux pas risquer ta patte valide, rétorqua-t-il.

Le boiteux ouvrit la bouche mais un rire l’empêcha de répliquer. Tournant un regard furibond derrière lui, il s’écria.

— Ulrich, mets donc une claque à pov’ connard !

Cette dernière résonna à son tour sans atteindre la force du coup de Caes, mais tout de même très correcte.

— Je n’ai pas bien compris ce que tu viens d’me dire, reprit le boiteux à l’attention de Caes. Et je tiens à te signaler que ce n’est définitivement pas l’jour. J’ai passé la pire nuit d’ma vie et maintenant c’est la pire journée d’cette même vie ! Va falloir que…

Il cessa de parler alors que Caes relevait sa victime gémissante par le col pour présenter son visage à son interlocuteur. Le pauvre bougre avait la mâchoire brisée et pendante en un angle improbable. Un morceau de langue manquait, car celle-ci avait été sectionnée par le coup. Le reste jaillissait entre l’un des espaces où les dents avaient été littéralement pulvérisées.

— Si tu me les brises plus longtemps, c’est ton tour, gronda le chevalier avec un regard assassin.

Le boiteux avisa l’état de l’adversaire de Caes puis sembla jauger le chevalier d’un œil averti et connaisseur pour finalement s’éclairer d’un sourire.

— Tu veux qu’on s’en occupe, Lombric ? demanda l’un des gars derrière lui, une armoire aux bras énormes et à la chevelure flamboyante.

— Non, Ulrich, nia Lombric le boiteux toujours souriant. Les Jeux sont là et, bon gré malgré, on est d’dans. C’est pas l’moment de se blesser dans une rixe à la con et j’vais avoir besoin de tout l’monde parmi vous. Oui, même toi, pov’ connard ! On va laisser ces deux p’tits jeunots pour le moment…

Il laissa sa phrase en suspens tout en observant tour à tour Caes et Ezéquiel.

— Par contre, reprit-il. Va pas falloir qu’ils s’attendent à ce qu’on leur file un coup de main en cas de situation difficile. Va même falloir qu’ils s’attendent au contraire !

— C’est joliment dit, chef.

— Pov’ connard, si tu fermes pas ta gueule, tu vas prendre une nouvelle claque !

Sur ces tendres mots, il fit demi-tour et força ses compagnons à s’écarter pour ensuite s’engouffrer à sa suite dans le tunnel par lequel ils étaient venus.

— Tu t’es vite fait tout plein d’amis.

Le chevalier lâcha le pantin gémissant qu’il tenait pour se tourner une nouvelle fois vers son compère.

— C’est pas le moment, Ezéquiel. Toi aussi, t’as tout intérêt à la fermer et à trouver une foutue solution pour nous sortir de là.

— Et toi, pendant ce temps, que comptes-tu faire ? ironisa le jeune prince, pince sans rire.

Caes sourit froidement.

— Je vais nous maintenir en vie.

Les prisonniers se tassèrent un peu plus contre les parois à la vue de ce sourire. Ezéquiel, quant à lui, délaissa son air narquois pour une mine plus sérieuse.

— Ok, répondit-il. Je vais tâcher de nous sortir de là.

Caes acquiesça. Il sentait qu’ils repartaient sur d’autres bases en dépit de la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvaient. Il était aussi conscient que, pour le moment, le jeune prince n’avait aucune idée de comment procéder mais lorsqu’Ezéquiel se penchait sur un problème, ce dernier ne lui résistait guère longtemps.

La difficulté résidait dans la tâche de Caes qui était de les garder vivants jusque-là.

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