Chapitre 14

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Aux Nobles et Chastes était le quartier référence des côtes du Lion si l’on pouvait dire. Plus sale encore et plus faux. Ici, tout était d’une qualité douteuse, de la bière aux prostitués qui les coupaient. Ces dernières se fardaient à outrance pour cacher leurs laideurs, leurs blessures et leurs maladies. Cela pour se vendre elles-mêmes à des marins qui ne pouvaient plus camoufler leurs laideurs, leurs blessures et leurs maladies.

Ici, l’on pouvait acheter et profiter de tout, en moins bien et en moins bon. Seulement, il n’y avait nulle qualité, nulle garantie. Juste des risques…

Deux silhouettes progressaient au milieu des ruelles sales et bondées, entre les tavernes de bas étages. Deux silhouettes encapuchonnées que nul ne se risquait à embêter du fait de leurs inquiétantes auras. Les putains ne les hélaient pas et les marins ne tentaient guère d’approche. Il était évident pour tous qu’il ne ferait pas bon être les jouets de l’attention de ces ombres cheminant ce quartier dangereux. Le rendant plus dangereux encore. Si les habitants du Lion étaient bien bon à une chose, c’était de savoir reconnaître les gens qu’il valait mieux éviter. Il s’agissait là d’une aptitude qui s’était généralisée à tous le Croissant où rester en vie était la base d’un quotidien mouvementé.

Soudain, l’une de ces silhouettes s’arrêta devant un banc de prostituées qui cessèrent leurs piaillements enjoués soudain remplacés par une juste frayeur. Paralysées alors que progressait vers elles cette aura meurtrière qui semblait réclamer le sang des « innocents », ou presque.

— Ah mais que… voilà ! s’exclama une voix féminine alors qu’elle relevait la manche d’un tissus pourpre sur l’une des filles de joie. Une touche de… subtilité bien d’ici, n’est-ce pas, ma dame ?

— Tu penses à ta confection en ce moment ?

— Bien entendu, riposta Lamia en délaissant la prostituée apeurée ainsi que son groupe pour reprendre sa place aux côtés de la pupille. Ces derniers temps, j’ai toujours une pensée pour cette délicate Artance. Loin de moi l’idée de m’éloigner de mes… devoirs.

Clare soupira alors que la dame de parage ricanait, visiblement très contente de sa dernière trouvaille. Face à elles, les badauds continuaient de s’écarter, traçant une allée bien nette.

La baronne de Nabar, et sa future belle-mère, avait commandé à Lamia la plus belle des robes en prévision des fiançailles entre la pupille et son fils, Lorain. Cependant, la dame de parage était une artiste particulièrement venimeuse lorsqu’elle le souhaitait. Et elle ne portait définitivement pas la belle Artance dans son cœur.

Clare était réellement pressée de voir la robe qui en résulterait.

Son regard fut attiré par une échauffourée à l’entrée de l’un des estaminets à une vingtaine de mètres sur leur gauche. Quelques secondes plus tard, un homme de bonne corpulence fut projeté au travers de la foule qui s’était amassée pour regarder.

— C’est pas l’jour, putain ! s’exclama la voix de son opposant qui venait de gagner ce combat. Tu mériterais que j’te zigouille après le passage à tabac le plus long de l’histoire !

— Ah mais que… voilà, répéta Lamia avec emphase.

Claudicant furieusement, Lombric émergea de la taverne. Il avait l’air très éméché et les autres marins de la Perle des Bas-fonds ne tardèrent pas à le rejoindre dans le même état.

— Si vous lui faîtes la peau, vaut mieux faire ça vite fait, chef ! déclara l’un d’eux.

Le chef en question leva les bras au ciel.

— J’ai juste dit qu’il le mériterait, pov’ connard ! Tout comme j’ai dit que vous pouviez pas tabasser ses copains ! On doit s’faire discret, merde ! Y’a quoi qu’vous comprenez pas dans ces foutus mots !

Un autre marin prit la parole tout en assénant une claque retentissante à l’arrière de la tête de son collègue.

— On les comprends tous, on est désolés, Lombric !

— Vous feriez bien d’être désolés, bande de crétins ! rétorqua ce dernier alors qu’il s’engageait dans la rue en poussant les badauds lui bloquant le passage. On s’casse d’ici, ce bar j’le recommande pas et j’ai même pas envie d’payer !

— Pas payer, ça fait pas discret, chef !

— Ulrich, met une nouvelle claque à pov’ connard !

Bien qu’ils aient déjà disparu dans la foule, la claque fut audible pour les deux femmes qui se lancèrent à leur suite. Elles allaient s’engager à leur tour dans la foule lorsque Clare retint Lamia par la taille. De sa position, elle pouvait voir ce qui lui aurait été inaccessible si elles avaient été immergées dans la populace. Trois hommes, espacés en file indienne pour être plus discrets, suivaient le groupe de Lombric. Trois hommes dont les attitudes se démarquaient beaucoup trop de celle des badauds du point de vue des deux femmes.

Elles échangèrent un regard entendu et entreprirent de suivre ce groupe à l’air aussi patibulaire que meurtrier. Clare ne comprenait pas ce qu’il se passait. Elle ne comprenait pas le comportement de l’équipage de la Perle des Bas-fonds ni pour quelle raisons ces tueurs les poursuivaient. Des mauvais à l’évidence, mais des tueurs quand même. Et après l’assassin aux aiguilles, cela faisait quatre personnes qui en voulaient à la vie de leur équipage. Cinq si l’on incluait un commanditaire.

Lamia disparut dans la foule et Clare poursuivit sa route comme si tout était normal. Une quinzaine de mètres plus loin, elle enjamba le premier corps sans vie du groupe d’assassin. Trente autres mètres après, le second. Elle allongea le pas. Lamia n’était toujours pas visible et elle savait ce qu’elle avait à faire, tout comme Clare. Un petit couteau émergea dans sa main alors qu’elle se tenait à dix pas du troisième larron toujours en filature et qui ne s’était aperçu de rien. Elle était à sa hauteur lorsqu’il se rapprocha d’une ruelle pour s’y dissimuler. Plus loin, le groupe du boiteux avait stoppé alors que leur chef tentait visiblement de se décider pour un nouveau bar plus adapté à sa condition.

Elle bâillonna sa victime tout en lui plantant le couteau dans le dos de la main. Puis, d’une brusque torsion, elle lui ramena le bras en arrière jusqu’à l’omoplate pour y ficher le couteau dans une clef de bras aussi durable que douloureuse.

— Si j’entends un bruit, tu souffres, le prévint-elle avant de le projeter dans la ruelle sombre.

Il roula sur le sol dans un craquement et bien qu’il ait l’air d’une brute, il ne put retenir un petit cri de douleur. Un simple murmure pour la foule…

— Je t’avais prévenu, lâcha Clare en lui brisant plusieurs côtes d’un coup de talon qui lui valut un râle.

Les larmes remplirent les yeux de l’homme alors que sa bouche se tordait en un rictus de souffrance. La peur était bien présente dans son regard ainsi que la surprise, et bien sûr la douleur. Ses lèvres étaient étirées sur une dentition jaunâtre que la barbe noire lui mangeant le visage ne pouvait camoufler.

— Pourquoi les suis-tu ?

— Je… Quoi ?

Sa voix était rauque et effrayée. Elle lui assena un nouveau coup de talon dans la glotte cette fois-ci et il se tordit en cherchant sa respiration, la main toujours fichée dans son omoplate.

— Je te la broierai si tu ne réponds pas.

Suite à ces douces paroles, Clare lui laissa le temps de se reprendre avant qu’il ne relève vers elle des yeux suppliants.

— Un contrat…, gémit-il.

— Qui t’a donné ce contrat ?

L’homme secoua la tête lentement en signe de négation tandis que les larmes coulaient sur son visage buriné. Il essaya de regarder derrière elle dans l’espoir d’apercevoir ses compères.

— Ils sont déjà morts, l’informa Clare. Réponds.

— Qui êtes-vous ?

— Réponds, répéta-t-elle.

— Livresse ! s’exclama-t-il en tombant sur le dos sous le coup de la frayeur.

Il poussa un cri de douleur car il était aussi tombé sur sa main poignardée à son omoplate. Cependant, il se reprit bien vite et s’écria.

— C’était Livresse ! Je vous le jure, il les veut morts ! Je ne sais pas pourquoi.

Clare acquiesça à cette révélation.

— Je vois, finit-elle par dire avant de promettre. Ce sera rapide.

La bouche de l’assassin s’ouvrit en un o de surprise. Et cette dernière ne dura pas longtemps car, comme le lui avait promis la pupille, ce fut rapide. Quelques secondes plus tard, elle rejoignait la rue principale sans se presser pour retrouver Lamia une cinquantaine de mètres plus loin. La plantureuse brune se tenait à l’écart de la foule sans véritablement s’en démarquer.

— Ils sont dans ce troquet…, ma dame. Le Canard Boiteux. Notre infirme a le sens de l’humour.

— Notre infirme semble surtout avoir de nombreux ennemis.

— Qui étaient-ils ?

Clare lui fit signe de patienter alors que des cris retentissaient derrière elles. Les deux femmes s’éloignèrent, se rapprochant de l’étal d’un orfèvre à l’air douteux. Là, elles purent voir émerger la garde, une cinquantaine d’hommes en arme, quelques minutes plus tard. Distribuant ci et là des coups de bâtons, ils leur passèrent devant pour se diriger vers le Canard Boiteux.

Clare soupira en les voyant pénétrer avec brutalité dans le bar puis en entendant les bruits de casse.

— Serait-ce pour nos… marins ? demanda Lamia en fronçant les sourcils.

— J’en ai bien peur, répondit Clare alors que Lombric le boiteux et ses amis se faisaient embarquer par une garde qui ne cessait de les frapper après les avoir extraits du bar. J’ai le sentiment que nous venons de retrouver les dernières pauvres victimes du Tampon.

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