Prologue

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Il se débat et proteste dans une fraîcheur matinale à laquelle se rajoute l’humidité des frimas nappant les sols. Ses pieds furieux éventrent la couche aux reflets lumineux sur ce sol dallé de froides pierres conduisant à une entrée sinistre. Les gardes autour de lui pestent mais se gardent bien de le frapper. Il ne doute pas que cela viendra car sa mère y veillera à coup sûr. Un moment qui lui tarde car les coups emporteront peut-être ce désespoir qui l’accable. Il réalise qu’il retourne dans cette cage dorée aux idées étriquées et castratrices. Arriver si loin et avoir été repris si près… Cinquante kilomètres représentent le bout du monde lorsque l’on est un enfant de sept ans. Puis s’étaient fait entendre les sabots de ces poursuivants.

Il enrage désormais et a peur. Pas la peur de la correction mais la peur de ce qui lui échappera s’il doit évoluer dans ce monde étroit, de la personne qu’il deviendra derrière ce grand mur, sous l’égide de ces gens. Il craint d’être vaincu par leur influence qui vise à remplacer cette juste peur par une autre, plus insidieuse. Une peur de l’inconnu et de la connaissance.

L’un de ses coups de pieds atteint un garde au genou et celui-ci pousse un cri en le lâchant. Le deuxième homme desserre son étreinte et Lorain en profite pour se dégager. Mais les soldats sont quatre et se préparent à se lancer de nouveau à sa poursuite avant de s’immobiliser. L’enfant ne prend pas la fuite et les jauge avec autorité, juste devant le pont levis baissé. L’instant d’après, il se détourne et s’exécute les dents serrées. Non, il ne s’y laissera pas traîner et préfère entrer de son propre chef dans cet enfer qu’il connaît si bien. Talonné à bonne distance par les gardes, il s’engage au travers de l’arche aux murs suintant de l’humidité du matin. Il y fait sombre et cette pénombre se poursuit car le Mur Frontière fait encore barrage au soleil levant d’Est. C’est donc dans cette ombre que son regard est subitement attiré par une fleur bordant la roche. Il s’accroupit, tout surpris, et admire ses pétales d’un blanc éclatant, ainsi que ses longues étamines rosées… Avisant l’ombre du mur, il se demande comment une telle merveille peut s’épanouir dans ces conditions.

L’instant encore après, il est amoureux.

De sa position sur le mur, elle ne présente que son profil d’enfant. Sa robe brune et ses courts cheveux blonds s’agitent dans la brise. La fleur se trouve déjà entre les doigts de Lorain. La jeune fille est agitée de sanglots, baignée par la lumière de l’astre solaire. Le temps perd de son importance, les secondes s’égrènent et ne résonnent que son souffle ainsi que les sanglots de la fillette.

— Je… je ne sais pas…, dit-elle enfin. Je ne comprends pas…

Les sanglots la secouent une dernière fois. Puis elle prend une grande inspiration et rien ne semble ressortir du souffle qui suit. Elle vient de faire taire ses émotions à la manière dont on souffle une bougie. Elle observe toujours l’horizon mais son expression a changé, sa voix est ferme, glaciale.

— Je ne sais pas.

Sur ces mots, elle se tourne et avise Lorain, au pied du mur. Ce dernier se raidit au court examen dont elle le gratifie et qui ne fait que le bouleverser plus encore. En effet, lorsque les yeux de loup de son observatrice se posent sur la fleur qu’il tient à la main, elle hoche simplement de la tête et commence à descendre les escaliers avec l’agilité et la prudence d’un… prédateur. Ses cheveux blonds suivent le rythme de sa descente et elle finit par le dépasser sans plus lui accorder le moindre regard.

Elle ne le considère simplement pas comme une menace.

Durant un instant, tout lui semble plus accru. Le contraste entre l’ombre et la lumière, la froideur de la brise et les regards amusés des gardes qui sont restés spectateurs de cette scène. Lorain les ignore et, bien que son premier réflexe soit de s’enfuir au loin, il redresse bien haut le menton pour interpeller l’inconnue. Puis il aperçoit la personne vers laquelle cette dernière se dirige. Aussitôt, il fronce les sourcils tout en réfrénant un mouvement de recul.

De même taille et âge que la jeune fille blonde et lui-même, sa chevelure présente un triste spectacle d’un mélange de graisse, de pointes et de nœuds. Elle porte une robe beige tâché d’un liquide aussi sombre que le sang et sa silhouette est à glacer d’effroi. Elle tient dans ses mains deux longues aiguilles à tricoter qu’elle agite sans la moindre présence de fil, ceci avec une lenteur inquiétante.

La fille blonde s’arrête à seulement quelques pas de cette nouvelle venue encadrée des deux gardes aux armoiries d’Irile qui semblent la surveiller avec attention. Le silence perdure un instant avant que la première ne prenne la parole.

— Je suis Clare. Quel est ton nom ?

La brune ne répond pas et garde les yeux baissés. Elle marmonne alors que ses mains s’agitent comme si elle travaillait une œuvre et Lorain sent un frisson lui remonter le dos. Quelques secondes plus tard, la dénommée Clare finit par pencher la tête.

— Qui cela a-t-il été pour toi ?

Sitôt cette question franchissant ses lèvres, les mains de la brune se figent dans une effrayante position. Les marmonnements s’accentuent et les gardes se crispent, prêt à secourir Clare dans l’instant.

— Ma… sœur, … ma dame.

Quelle lenteur jusqu’à ses mots. Et quel regard diabolique elle finit par lever sur son interlocutrice. Lorain est littéralement subjugué par cette rencontre.

— Il m’en faut une nouvelle, ma dame. Plus… dure, plus… forte.

— Considère que la chose est faite.

Il est difficile pour Lorain de penser qu’il s’agit bien de la même personne qu’il a vu sur ce mur, pleurant en direction des Contrées Chantantes. La personnalité qu’il voit évoluer est désormais l’incarnation même de l’autorité, du pouvoir.

— Une excellente chose…, ma dame. Et pour vous, qui donc ?

Son ton est léger mais l’on devine le poids de l’horreur qui se cache derrière et Lorain est sûr d’une chose. Il ne veut pas savoir ce qu’elle a été.

Un autre silence s’éternise alors que Clare tarde à répondre.

— Moi-même, finit-elle par affirmer.

La brune hoche lentement et plusieurs fois de la tête comme si cette réponse lui paraît pleine de sens avant de s’éclairer d’un sourire et déclarer avec bonhomie.

— Lamia.

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