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Lorsqu'il s'extrait de la faille spatio-temporelle, notre médiocre héros s'énerve tout d'abord, pousse un « GNIIIIIIIII ! » démuni de dignité avant d'enfin réaliser qu'il est, à la vérité, plus sauf là où il est. Où et quand qu'il se trouve, par ailleurs.

Il zieute d'un œil circonspect ses alentours enchevêtrés. « Le musée de Milo », d'après une plaque sur la porte dont il vient de s'arracher. Mais...

Aux côtés d'une charrette à propulsion nucléaire et d'une planche de surf qui sert de porte-manteau à un manteau inuit, un turban bédouin et des chaussures de ski, un phonographe torture un Blu-Ray aux crissements agonisants. Une imposante bougie du Bouddha, une croix et une médaille de course K-na55onne autour du cou, ainsi qu'une figurine de Spock dans les mains, éclaire une bibliothèque anarchique : une holo-liseuse à zéro pourcent de batterie côtoie d'anciens manuscrits tibétains, une thèse sur Le Twitto-corpus du mouvement #NyanCatRevival de novembre 2023 à août 2024, des livres au script gothique enluminé, un bio-carbone USB contenant l'intégral de la netosphère, des parchemins couverts de glyphes mayas, un carcan de verre qui protège des messages codés sur papier toilette (précieuses reliques de la Première Grande Pandémie du 21ème, d'après le panneau explicatif), et un dessin de caca préhistorique.

Un papier pourpre parallélépipède s'extirpe de la mâchoire d'une morbide morue du Morbihan sortie d'un trombone tremblant triboulé. De ce papier émerge un ruban orange et bleu, suivi de trompes colorées jonglant dix paires de chaussures jaune citron comme un pro du cirque.

Je rêve.

Tu rêêêves d'un jour m'égaler ? se gausse l'Architexte dont un godillot vient d'effectuer un quadruple Axel. J'ai juste essayé tout à l'heure et... voilààà !

Le kaléidoscope canari dessine des 888 dans la chambre capharnaümesque. Milo secoue la tête.

Moi, j'avais passé des semaines à m'entraîner à jongler deux balles...

Mais enfin ! Ce n'est pas la baaalle qui compte, mon petit Milo-Bilo !

— Je sais, j'ai pas dit...

Quel plaisiiir de te revoir, quoi qu'il en soit !

— Ah bon ?

Bien sûûûr !

Milo répond par un monosyllabe désintéressé ; passe une main sur les babioles bariolées.

Et euh... C'est pour quoi, tout ce fatras ?

L'Architexte applaudit – sans pourtant lâcher ses chaussures jonglées.

Parce que je suis toi, et tu es moooi, pardi !

— Hein ? Comment ?

Il scrute les trompes et tentacules, l'orange et le bleu.

Nan-han, pas possible.

Hahaaa ! Je plaisantais.

— Hmm... Maintenant je serais enclin à vous croire, du coup.

Hin hin hiiin !

— C'est une blague de toute façon. Non ?

D'un coup de pseudopode, le Bigarré se fait pousser une fermeture éclair sur ce que nous appellerons « visage » par manque de terme dédié, qu'il ferme d'un air dramatique.

Veux-tuuu... une chaussure jaune ?

Milo soupire. Et on le comprend.

Je peux refuser ?

Je te le déconseille.

Il soupire à nouveau. Copier-coller la remarque précédente.

Bon...

Il tend la main et accepte le présent incongru qui, bien sûr, ne rentre pas dans ses poches. Il regrette, mais trop tard : on ne rend pas un cadeau. On peut le perdre, le vendre, l'offrir à quelqu'un d'autre à condition de s'assurer que le donneur originel et le bénéficiaire de notre extraordinaire générosité ne se rencontreront jamais ; mais en aucun cas ne rend-on un présent. Pas même les cadeaux empoisonnés, avec lesquels on fait de merveilleux cocktails anti-casse-pieds, mais nous nous éloignons du sujet.

Se tapotant le menton d'un godillot dont la forme comme la couleur n'ont jamais et ne seront jamais in, le petit humain moyen pose une question somme toute légitime :

— Et euh, on est où, là ?

Dans mon huuumble demeuuuure ! Un musée à ton honneur !

Milo ouvre la bouche, mais renonce. Il y aurait temps à dire, à critiquer, à censurer ; il lui faudrait des années. Autant ne pas commencer.

Je ne savais pas que vous aviez un monde à vous.

J'en ai beeaauucoup, tu verras !

Milo tire la tronche, et ne s'en cache pas.

Je compte te faire visiter toooutes les réalités ! Il y en a une seule où tu ne peux pas entrer. Du moins pas comme tu es, ou plutôt pas comme tu crois que tu es. Parce qu'à la vérité, tu t'y trouves déjà, mais en même temps pas vraiment... C'est assez compliqué.

— Quel monde ?

Le mieeeen !

— Tu viens de dire que c'était ici.

Non, non, non ! Pas toooout à fait. Ici, c'est un peu l'aaantichambre. Ma réalité est dans la pièce d'à-côté.

Le ballet aérien de ses ballerines couleur beurre dessine une main dont l'index pointe une porte humble et modeste, presque effacée. Mais peu importe leur humilité, les portes horripilent notre ami portonaute.

À bien l'observer, pourtant, celle-ci lui paraît... accueillante. Plus concrète, plus solide que toutes les portes, portillons et portails qu'il a jamais empruntés. Sa discrétion même l'attire, lui promet du concret, un vrai sol sous ses pieds, une fin aux farfelabsurdités.

Il n'y a pas à tortiller les poils du cul, juste à enclencher la poignée.

Et alors...

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