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Les lémuriens, en quittant leur prison de verre, lui adressent un salut militaire, puis lancent l'assaut du bar à cocktails.

Après avoir rapatrié les rongeurs évadés – sauf Dmitr Alexandrovitch Listrasov dit Dima, suite à un brillant pot-de-vin de rochers en chocolat – et vérifié si Spara avait une nouvelle mission à lui confier, Milo rejoint la soirée improvisée. Dans le réfectoire, vaches et lémuriens, verre à la main et abreuvoir au menton, jouent aux cartes avec la grande blonde.

— Je te préviens, Bertrade triche.

Milo sursaute imperceptiblement, surpris qu'elle lui adresse la parole.

— Roh, tout de chuite ! Tu perds chans l'aide de perchonne.

— Ah ouais ? C'est quoi les œillades, alors ?

Chrotais bat des cils en direction du héros, illuminée de néons fuchsia.

— Ch'est... perchonnel, hihi.

— Ch'est pas une conchpiration en tout cas.

La pilote plisse les yeux, méfiante, puis pose un drubs violet.

— Q-Q-Q-Quoi ?!

Les bovidés et lémuridés jettent leurs cartes, dépités.

— Oooh... Chi ch'avais chu...

— C-c-c-comment c'est p-p-p-passé inap-p-p-perçu ?

— Les primates mentent chuper bien, petit ami velu.

Les lémuriens, bras croisés, lèvent des yeux insultés, qu'une rasade de whisky suffit toutefois à rasséréner.

— À mon t-t-t-our ! s'écrie un lémur affublé d'un chapeau de matelot.

Les cartes adroitement mélangées, il les distribue d'un geste expérimenté.

— C-c-c-comment vont les affaires, Frédég-g-gonde ?

— Tu chais très bien comment ! Echaie pas de me déconchentrer ! Che fumier de fermier me trait trop, ch'ai mal aux pis !

— La relance p-p-p-pas là-d-d-dessus, nig-g-g-gaud !

Milo s'attable à côté de la pilote et, penaud, lui demande enfin son nom. Elle sourit en coin :

— Rëmb Ruleck. Tu retiendras pas, mais c'est gentil d'essayer. Le mécano brun, c'est Pipou Louboutou, le tas de muscles, Bariel Bardan, et la cheffe, Dra Spara.

Elle le dévisage un instant.

— Si tu les appelles par leurs prénoms, ils seront impressionnés. Sauf Spara. Elle va te tuer.

Milo sourit à son tour, puis s'assombrit, comme si son disjoncteur avait sauté.

— Tous mes amis sont morts, je devrais avoir de la place dans mon carnet d'adresse mental.

— Oh... désolée. Tu l'as appris tôt, cette fois.

Un soupir échappe au plus grand Terrien de sa réalité (mais seulement parce que c'est aussi le dernier). Un Enlemur costumé lui tend un verre ambré qu'il remue machinalement.

— Mon autre moi, ou mon moi du futur, il parlait de ces choses-là ? De la Terre, des portes, du monstre orange et bleu ?

Une nouille azurée s'agite, indignée, en périphérique de sa vision.

Ruleck penche la tête, l'air perplexe.

— Il nous parlait pas vraiment. On était que de la bleusaille.

Elle se tapote le front, comme un pivert affamé, ou comme pour réveiller des souvenirs évaporés.

— Il aimait pas beaucoup les portes, je crois, oui. C'est quoi ? Une phobie ?

Milo souffle et affiche sa meilleure imitation de malamute malheureux.

— Personne me croirait.

— Pourquoi ? C'est plus bizarre que ça ?

Elle ébauche un geste vers la table rocambolesque. Milo s'incline devant l'argument bétonné.

— Des vaches qui se font plumer, franchement ! Torer Meuhsus se retournerait dans son urne.

Milo s'incline moins ; beaucoup moins, voire carrément dans l'autre sens, s'adonnant à un limbo cérébral (qu'il remporte haut la main malgré la concurrence redoutable de personne d'autre).

— *Crr crr* Chers passagers, veuillez retrouver vos places attitrées. Merci de laisser la porte ouverte pour faciliter l'accès aux toilettes, et prière d'attacher vos bretelles.

Les mammifères se rendent vers leurs quartiers en file ordonnée – aussi ordonnée qu'une ribambelle vacillante de soûlards vaincus par l'ivresse.

Préparez-vous à larguer les amarres comme si c'était votre ex dans trois, deux, un...

Milo, catapulté au mur qui prend doucement son empreinte – voilà pourquoi il faut s'attacher –, voit sa vie et les étoiles défiler devant ses yeux. Quand le calvaire s'arrête – aussi brutalement qu'il a commencé – il imprègne le mur d'en face, chute et titube jusqu'au siège le plus proche ; le temps pour ses organes de retrouver leur foyer.

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