Chapitre 4

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Le lundi matin pointe le bout de son nez. Je n’ai dormi que deux heures et me voilà reparti -après un shoot de double expresso très serré - pour essayer cahin-caha de démêler le nœud de vipères dans lequel s’est jeté Marc Straub, rebaptisé « le Moine Tueur » par la presse locale.

Ben tiens, quelle excellente idée. En France, la culture de glorification des monstres, des tueurs en série dégénérés, est moins établie qu’aux États-Unis. Mais parfois, la presse française s’y met, elle aussi, et se permet de donner des petits surnoms pas toujours très imaginatifs à nos psychopathes préférés. Quand est-ce que ces journalistes de pacotille comprendront que ces Ted Bundy, Jack l’Éventreur, et autres tueur du Zodiac feraient n’importe quoi pour un peu de célébrité ? Qu’ils ne font que jouer leur jeu, entretenir indirectement la flamme de leur folie ? Voir les pousser à l’acte ?

J’ai demandé au département « cybercriminalité » de jeter un œil au forum sataniste déniché par Marc Straub. Malheureusement, rien de ce côté-là ; la plateforme a été supprimée deux semaines deux semaines avant le meurtre et la récupération des adresses IP va être très longue, voire impossible. Je choisis donc d’aller rendre visite à ses parents, mais là aussi, je fais chou blanc ; le bougre a effectivement décidé de les garder à l’écart de ses manigances. De son côté, le reste de mon équipe se concentre sur la provenance des bures et du poignard, sur le passé de Valentin Steiner, et essaye tant bien que mal de soutirer des aveux au tueur psychotique. Bonne chance avec ça, surtout si son avocate traîne dans les parages.

En dépit de cette série d’échecs, ma détermination ne s’amoindrit pas pour autant. J’ai plus de chance du côté de son téléphone ; il a utilisé régulièrement le GPS intégré à l’appareil. Un lieu en particulier retient mon attention : trois mois plus tôt, il s’est rendu à huit reprises au Golden Gate, un bar célèbre dans les milieux gays. Si on prend en compte le fait que Marc enquêtait sur la disparition de son frère, et qu’il n’était, a priori, pas gay (du moins pas selon son ex et sa famille, quoi qu’avec une ex pareille changer de bord aurait été une solution), cette découverte a rapidement fait tilt.

Malheureusement, je n’ai guère l’occasion de creuser davantage. Cela fait deux heures que le Capitaine Schüller essaye de me joindre et elle est de si mauvais poil, lorsque je décroche enfin, que je rapplique à l’Hôtel de Police fissa.

Marc Straub s’est réveillé.

Le bar gay devra attendre.


 — Monsieur Straub, est-ce que vous m’entendez ?

Marc Straub n’est plus qu’une épave. Son crâne rasé lui donne un air de nouveau-né inoffensif. Ses yeux ne voient pas, son corps squelettique porte d’innombrables marques, cicatrices et autres hématomes. Un énorme plâtre enveloppe le bras que j’ai méticuleusement réduit en miette, le gauche. Il n’a plus rien du tueur à moitié fou qui plantait sa lame dans un cœur encore battant, mais il n’en reste pas moins solidement menotté au cadre du lit.

Je sens une pointe de culpabilité me chatouiller l’estomac.

— Monsieur Straub ?

— Il ne vous répondra pas, m’interrompt le docteur Pelletier, un cinquantenaire grisonnant aux lèvres lippues, chef de service à l’Hôpital de Hautepierre. Son état est si catastrophique qu’on dû le mettre sous sédatifs.

— Catastrophique ?

— Par où commencer… soupire le médecin.

Il fait les cent pas dans la petite chambre d’hôpital. Il parle avec de grands gestes ; à l’évidence, quelque chose dans cette affaire le secoue :

— Pour commencer, cela fait plusieurs semaines -voir plusieurs mois- qu’il est soumis en continu à un puissant psychotrope hallucinogène, type diéthylamide d’acide lysergique.

— Du LSD ?

— Oui, et à très fortes doses. Monsieur Straub se trouve dans un état d’HPPD, de Syndrome Hallucinatoire Persistant, doublé d’une solide paranoïa et de crises de paniques complètement imprévisibles. Vous voyez les marques sur son poignet ?

Il désigne deux longs traits sanguinolents, sur le poignet droit, son bras valide.

J’acquiesce.

— Il a fait une crise de panique à son réveil. Nous avons été obligés de lui administrer une puissante dose de somnifères pour qu’il ne se blesse pas davantage. Et ce n’est pas tout, nous avons aussi trouvé des traces de cannabis et d’ecstasy, qui sont parfois combinés au LSD pour amplifier le trip… mais j’ignore dans quelle proportion. Lieutenant, cet homme a ingéré plus de drogue en un mois que bon nombre de junkies en une vie.

— Il pourrait bénéficier d’une immunité pénale, selon vous ? Plaider la folie ?

— Il vous faudra l’avis d’experts pour cela… C’est bien possible, je ne sais pas. Mais ce n’est pas tout, je dois vous parler d'autre chose.

Le docteur Pelletier prend une grande inspiration.

— Je peux me tromper, c’est l’enquête qui le déterminera. Mais je suis pratiquement sûr que cet homme n’a pas pu… faire tout ce dont il est accusé seul.

— Trop défoncé ?

— D’une part, oui. Il est arrivé à un stade de délire absolu, je ne pense même pas qu’il se souvienne de son propre nom. Même s’il disposait d’une pièce remplie de buvards[1], il ne pouvait même pas prendre ses doses seul. Et encore, je n’ai même pas mentionné les multiples sévices qu’il a subi.

— Je vois l’état de ses bras. Des scarifications, notamment.

— Vous êtes très loin du compte, rétorque le médecin. Ses bras ne sont que la face cachée de l’iceberg : Marc Straub a aussi été violemment battu, à plusieurs reprises. Il à trois côtes cassées, deux autres fêlées, l’épaule droite mal remise, la mâchoire partiellement brisée. Il lui manque également une demi-douzaine de dents, sans mentionner les traces de strangulations et les viols répétés.

Je me fige. L’horreur me prend violemment à la gorge, me coupe le souffle. Un frisson de dégout me secoue l’échine à l’énoncé de cette liste de supplices. Être passionné de tueurs en série, c’est bien. Mais il y a des aspects moins confortables que d’autres.

— Pardon ?

— Cet homme a l’anus…

— Oui ça d’accord, je sais ce qu’est un viol, merci. Hum. Je veux dire, est-ce que vous sauriez dire quand ces sévices ont commencé ?

Le médecin secoue la tête, lâche une grimace explicite.

— Non, malheureusement. Mais il a été violé de nombreuses fois, trop de fois pour que je puisse vous donner une estimation précise. Quant aux traces de coups, certaines sont déjà cicatrisées, et dates de plusieurs mois.

Je jure comme un charretier. Le docteur Pelletier ne sait plus où se mettre, et franchement, moi non plus.

— Autre chose ?

— Oui. Mon collègue a fini l’autopsie de la victime, si vous voulez voir son compte-rendu.

Je jure une nouvelle fois.

Je pari que la victime ne sera pas dans un meilleur état.



[1] Buvard : une des formes que peut prendre le LSD, qui peut aussi se trouver sous forme liquide, ou de micropointe.

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