Sursis 1.2

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La main du jeune homme se crispa sur le bois de l’assise, pendant que la jeune fille soupira.

— Je ne les hais pas. J’imagine qu’eux aussi se battent pour une cause qui leur tient à cœur. Je pense qu’il y a des torts de part et d’autre. Les gens qui m’entourent m’ont appris à les détester, mais plus je grandis, plus je me demande si cela vaut la peine ? La haine n’engendre que la haine, ne crois-tu pas ?

— Sans doute.

C’était bien la première fois qu’on lui sortait une si étrange et censée réponse. Est-ce que cette fille était une sorte de rédemption ? Un être mis sur son chemin, pour qu’il oublie le temps de la rage et qu’il se laisse aller au bonheur ? En soi, il n’avait jamais essayé d’être heureux. Disons qu’il n’en avait jamais eu l’opportunité.

Est-ce le moment de s’arrêter et de prendre une tangente ? songea-t-il.

Cela, sera-t-il si facile, argumenta Frizure. Crois-tu que les fantômes qui te hantent nuit et jour te laisseront en paix ? Penses-tu que ton cœur moitié pierre, moitié lave, pourra flotter dans la paresse de l’amour… N’oublie pas. Rien n’est éternel. Surtout pas cette fille et ce sentiment qui te fait tourner la tête. Je t’ai pourtant mis en garde mille fois contre tes pulsions. Te voilà en train d’y succomber.

— Laisse-moi, y goûter quelques minutes, quelques jours. Non. Quelques mois. Promis, après je reviendrais à la raison.

— C’est toi qui décides. Mais je t’aurais prévenu. Ne viens pas me demander de l’aide lorsque tes cauchemars referont surface.

— Je veux juste essayer.

Azur souhaitait au moins une fois goûter à la passion, à l’amour… à quelque chose qui s’en rapprocherait. Méldine semblait convenir.

Ainsi, les semaines défilèrent. La rosée du matin aspirait les nuits amicales, puis les nuits câlines et enfin les nuits plus tendres. Azur se laissait aller au bon soin de Méldine et commençait à parler d’épousailles avec Adolne. Frizure restait dans l’ombre, attendant l’instant où elle réveillerait les souvenirs de son apprenti. Car, la nuit, elle scrutait le moindre de ses rêves. C’était le moment où Azur réanimait, sans le remarquer, la connexion établie entre eux. Une aubaine pour l’entité. Peut-être qu’un jour, il saurait maîtriser cette particularité.

Le septième jour du septième mois, elle décida enfin d’attaquer et de récupérer ce qu’elle nommait son « cœur noir ». Au fin fond de son miroir, elle tissa un cauchemar horrible, accrochant les plus sombres images d’Azur les unes aux autres. Aussitôt, elle claqua des doigts et le miasme qui entourait sa robe noire quitta la prison de glace et s’introduisit dans le corps du souffleur. Rapidement, le jeune homme se souleva, et commença une soirée agitée entre lui et sa vie passée.

À l’aube, il se réveilla dans un hurlement qui fit frémir toute la maisonnée. Tremblant, il se saisit du miroir et supplia Frizure d’apparaître.

L’entité patienta quelques minutes avant de montrer le bout de son nez.

— Qu’y a-t-il ? Voilà que tu me secoues comme un vulgaire prunier.

— J’ai… Aide-moi. C’est revenu !

La voix d’Azur était haletante et son regard, rempli de terreur.

— Quoi donc ?

— Les cauchemars… Je... Fais-les partir, ordonna-t-il sous un accès de rage.

La porte s’ouvrit avant que Frizure ne pût répondre. Méldine s’avança, inquiétée par le cri de son futur fiancé. Car si elle façonnait la robe de leur mariage, ils n’étaient pas encore destinés l’un à l’autre. Adolne leur avait donné une date précise pour les fiançailles, puis pour le mariage.

Ainsi Méldine entra, hésitante, dans la chambre et se présenta à Azur, dont le visage ruisselait à grosses gouttes.

— Tu… Je t’ai entendu crier. Est-ce que tu vas bien ?

Azur se tourna vers elle, les doigts crispés, le cœur au fond de la gorge, la peur suintant de chacun de ses pores. Lui paraissait-il aller bien ?

Je ne peux rien pour toi, Azur. Je te l’ai dit. Je ne peux aider que les cœurs sombres. Ma magie n’a plus d’effet sur tes rêves. Mais peut-être que tu auras assez de force pour t’en débarrasser seul avec les parchemins. Ou bien, en parler à ta future femme. Elle saura peut-être les disloquer et t’amener vers la paix.

— Tu ne crois pas en ce que tu dis.

— Probablement parce que je sais, depuis le début, que seule la vengeance peut régler ton problème. Tuer… Il faut que tu tues chacun de tes cauchemars.

— À commencer par mon oncle.

— À commencer par ta sensibilité, Azur. La vengeance ne tolère pas de faiblesse. Renforce ton cœur. Peints-le de ténèbres ou jamais tu ne parviendras à la sérénité que tu désires tant. Méldine ne te fera pas oublier éternellement la mort de ta mère, les violences subies, les massacres des tiens ou la suprématie d’Elestac.

Les mots de Frizure firent écho à la partie sombre d’Azur. Lentement, il se coupa du conte de fée, constata qu’il avait perdu des mois à croire en une histoire impossible. Il éprouvait plus de sentiments amoureux (éphémères) qu’une passion éternelle pour Méldine. À quoi ce sentiment ressemblait-il, désormais ?

Que dois-je faire ?

— La tuer et faire rappliquer les chasseurs ainsi que la reine dans la région. Elestac ne serait pas contre une sortie, j’en suis certaine.

— Étouffons son cœur, je ne désire pas que Méldine souffre. Après tout, elle a été bonne.

— Fais comme tu veux. En attendant, il faut tuer les villageois pour attirer les chasseurs ici. Elestac ne se déplacera pas pour rien. Tu givreras ce village. Utilise le miasme vagabond. La formule est sur le…

— Parchemin numéro trois, je sais.

Azur ferma les yeux, retint le miroir dans une main et agita l’autre au-dessus de son reflet. Un serpent de brume en sortit, ne laissant à Méldine pas le temps de crier.

Cette nuit-là, un village entier fut décimé et une vague de glace enferma les chaumières dans un nuage de brume. La rumeur s’éleva jusqu’au château, jusqu’aux oreilles de la reine.

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