Prologue 1-2

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Dans un paysage blanc de neige et froid de gel, un combat s’annonçait à la lisière d’une forêt où nul n’osait s’aventurer. Les branches des immenses sapins s’emmêlaient les unes aux autres, emmurant ce lieu inaccessible. L’ombre des végétaux se répandaient sur les sols verglacés et immaculés où une fine brume s’élançait sous les robes épineuses des géants enracinés. Elle glissait de roches apparentes en sillons creusés et libérait une odeur de terres souillées. La forêt se tenait égale à une armée de milliers d’âmes. Son regard pesait sur l’horizon et sur les têtes des hommes et des femmes qui avançaient vers elle, sans toutefois, lui porter un quelqu’un intérêt.

Le son d’une corne percuta le ciel brumeux. Il déclara l’ouverture d’un combat singulier entre Grindya Grifblanche, la cheffe des souffleurs de givres et Elestac Deneige, la Reine du royaume de Verdoyon. Les vibrations traversèrent chaque âme, chaque cœur, chaque corps qui venait de clore une longue marche. Il s'étendit par-delà les rivières, par-delà les tombeaux des Dieux anciens, pour revenir en un écho.

Près d’une sapinière d’une cinquantaine d’arbres, les souffleurs restèrent stoïques. Seuls leurs regards s’activaient, à l’affût d’un détail, d’une faille dans la mise en place de l’ennemi. Le battement de leur cœur chantait à l’unissons la peur et le courage. Car l’un n’allait pas sans l’autre dans les contrées de la guerre. À quarante mètres devant eux, les soldats firent de même, encadrés des vastes plaines enneigées. Le tintamarre de leur armure se figea, tout comme le temps. Une brise glaciale se leva, silencieuse et pénétrante. Elle souleva le parfum du métal et de la crainte.

Elestac sauta de sa monture, jeta les reines à son second. Sur elle, rien qu’une cotte en maille et un plastron en cuir rigide. Ses cuisses, ses mollets et ses avant-bras étaient protégés par de petites écaille de métal aussi dur que n’importe quel diamant. Elle se tourna vers la forêt. La jaugea, puis planta son regard sur les souffleurs de glace. Ses yeux brûlaient d’animosité. Ses doigts appuyèrent contre le manche de son arme. Sa main trembla déraisonnablement. Elestac aimait le sang, aimait les cris. Le sang qui battait ses tempes, lui parlait d’impatience. Un fin sourire alla étirer les commissures de ses lèvres rougies par le froid. Elle fit discrètement un signe à son second, qu’il garde la pose, et huma l’air. D’un mouvement rapide, elle caressa son ventre et murmura :

— Prépare-toi au combat. Chez moi, les femmes se battent même en portant la vie.

Le silence teintait les lieux. Lourd de sens.

Personne ne parlait. Certains retenaient leur respiration, le temps d'observer la concurrence. Tout était glaciale. Les armes tremblaient dans leur fourreau à l’instar des corps de jeunes guerriers.

Dressées l’une face à l’autre, glaive en main, Elestac et Grindya se toisaient, le menton haut, le torse bombé. Tel un reflet dans un miroir, les deux guerrières s’animait d’une même envie ; terrasser l’autre.

— Nous revoilà en tête-à-tête, chère Elestac, clama Grindya. Est-ce que l’une de nous périra, cette fois ?

La voix demeurait sereine et fila comme une flèche. Elle déchira le clame assassin.

— Je te le demande, ironisa la nommée. Nous verrons bien cela au lever du jour !

— Au lever du jour…

Grindya, arrangea sa peau de bête sur ses épaules et ficela au mieux celle à sa taille et à ses avant-bras. Elle lança un sourire carnassier à sa concurrente. Son grand nez se plissa et son visage aussi blanc que la poudreuse dissipa la pureté qu’il soulignait.

Elles avaient pris pour habitude de se parler comme de vieilles connaissances. De rire, de bavarder, puis de cogner. Et enfin, elles arrêtaient tout combat lorsque le jour se levait. C’était systématique. Une ancienne coutume laissée par leur aïeul qu’elles poursuivaient, sans faillir, les retenait de frapper plus fort, alors qu’un nouveau jour s’éveillait. Si aucune ne baignait dans son sang, elles repartaient, pour se croiser sur un autre terrain, des semaines ou des mois plus tard.

Grindya donnerait encore plus d'elle-même pour repousser la Reine. Foie de Souffleuse !

Son fils, Azur – nouvelle jeune recrue –, allait la voir se battre pour la première fois. Elle désirait insuffler en lui la voie d'un chef protégeant ses terres, son peuple. Elle tourna sa tête vers ce dernier, sourit. L’enfant, âgé de sept ans en fit de même. Une lueur de fierté se lisait dans ses yeux bleus. Sa mère reconnut en lui ses jeunes années. Elle devait avoir le même âge lorsque son pouvoir s’était éveillé, et que les combats avaient éteint l’innocence. Leur échange dura de longues secondes, mêlant affection, tendresse et accomplissement, puis Grindya glissa son regard dans celui d'un vieil homme. Elle lui passa un message que seuls eux deux comprirent, puis toucha son épaule. Celle sur laquelle la morsure d’un serpent des neiges circulait, croquant sa vie jour après jour. Peut-être que cette fois, il y aurait une victorieuse et un macchabé.

Rapidement, la femme leva les yeux vers le ciel, et sans plus de politesse, siffla. Le son envahit l’atmosphère, poussa les quelques nuages dans l’éther et se noya : là, où nul homme ne pouvait imposer sa loi. Les paumes vers le sol, amoncelé de neige, la cheffe crispa ses mains. Elles tremblèrent furtivement. Les yeux de Grindya se révulsèrent, elle puis claqua des doigts. Le bruissement détonna et la neige s’éleva aussitôt, créant un rideau venteux brodé de flocons. La magie avait fusionné avec l'élément, demandant à Grindya puissance et dextérité pour les contrôler. Son corps se durcit à mesure qu’elle appelait son pouvoir, à mesure que la neige devenait son allié. Elle pénétrait dans son propre corps, ressentait les battements de son cœur ; les effluves de son être. Un ruban de chaleur et de froideur entoura ses membres. Pareil à un arbre, elle s’ancra dans la terre, caché sous la couche de neige. Elle plaqua ses doigts sur ses hanches, croisa les bras et laissa sa combativité s’étendre dans chaque parcelle de ses cellules, pareille à une vague de fraîcheur. Son pouvoir lui procurait un certain plaisir. Elle se persuada que cette altercation serait la dernière. La souffleuse l’espérait vivement, car dans son cœur, elle savait que son ennemi possédait une force maléfique, qui s’intensifiait au fil du temps. Le pouvoir des souffleurs semblait diminuer d’année en année et ne l’atteignait plus. Les sages parlaient d’une bague au doigts d’Elestac, une bague forgée par un fou, un ancien souffleur de neige qui aurait été aveuglé par le pouvoir.

Une brise légère chargé de convictions s’éparpilla en elle et sans mot, sans cri, Grindya fonça sur son adversaire, l’âme tremblante d’excitation. Ses pas frôlaient le tapis blanc et poudreux, avec souplesse et virtuosité. Son pouvoir ne lui servait presque à rien contre Elestac, mais qu’importait. C’était sa manière de se battre. Le grandiose, pour ne pas oublier qu’elle et ses congénères étaient particuliers.

— Aujourd’hui, je libérerai les souffleurs de givres, murmura-t-elle pour elle-même.

Elle se le jurait à chaque combat.

Dans une course rapide et féline, elle fila, toujours plus aérienne. Le cœur bondissant. La tête en ébullition.

Ses bras perçaient l’air. Son corps lui parut léger comme si elle volait par-dessus la terre, comme si ses jambes devenaient des ailes et qu’elle se soulevait du sol. Grindya se sentait puissante. Invincible. Prête à faire retentir la paix pour son peuple par-delà les monts enneigés perdu dans l’horizon.

Loin devant, la reine Elestac se mit en garde, patiente, les mains serrées sur la poignée de son glaive. La pulsation du sang dans ses veines marqua l’excitation dans laquelle, elle plongea.

— Je t’attends, persifla-t-elle, un sourire démesuré plaqué sur le visage.

Elle courba le dos, telle une panthère face à sa proie. Un frisson traversa son échine et enveloppa son être, jusqu’à la plante de ses pieds. Un sourire cruel et amusé se dessina sur ses lèvres rouges. Un ricanement s’échappa de sa bouche, tandis qu’elle s’élançait à son tour. Ses mouvements étaient vifs, adroits. Ses bras se balançaient d’un même geste, donnant plus de vitesse à sa course. Sa voix s'élevait plus haut que le vrombissement de la tempête. Elle rugit pareil à une bête féroce. Sa chevelure blonde s’envolait derrière son dos comme une cape, tandis que la natte brune de Grindya ondulait comme un fouet.

Les deux ennemies fendirent l’air, telles des déesses du vent en pleine conception d’un ouragan. L’une aussi calme qu’un fantôme, l’autre aussi bruyante qu’une foule endiablée. L'espace qui les séparait se réduisit petit à petit jusqu'à l'impact. Il s'entendit à des lieues à la ronde, glaçant soldats et souffleurs. Les corps tressaillirent sous les armures et sous les peaux animales, mais personne ne bronchait. Ici, les seules à se battre seraient leurs cheffes.

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