L’impact des gouttes sur le métal produisait une étrange musique, des notes à la tonalité claire ou sourde, comme celles produites par l’averse sur des toits en zinc. Les larmes de pluie rebondissaient sans cesse et se perdaient dans l’herbe détrempée.

Il faisait sombre et seul le halo clignotant des gyrophares agitait de manière cyclique le parc du Jardin du Luxembourg de teintes bleues, orange ou blanches.

L’officier de la criminelle, Marc Maignan, déployait des gradés et des gardiens de la paix le long des couverts, des parterres fleuris et des haies en topiaires. Du ruban fluorescent délimitait à présent la zone d'investigation et claquait sous les bourrasques humides.

Au sol, des repères jaunes numérotés fleurissaient progressivement au rythme des découvertes comme autant de boutons d’or, signe minutieux de chaque indice à répertorier. Le personnel de la scientifique en ombre chinoise, équipée de combinaison blanche se dispersait en essaim à l’entour.

Sur une aire stabilisée, près de l’une des grilles d’entrée du parc, des tentes et du matériel médical spécialisé, destiné aux équipes du légiste, s'agençaient. Un groupe électrogène éclairait l’intérieur des abris et diffusait un ronronnement caractéristique.

L’inspecteur, engoncé et malhabile dans son poncho à capuche qui claquait sous les coups de vent, essayait de comprendre la singularité du moment. Il tentait en même temps de se réchauffer en glissant ses mains dans les poches de son jean.

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Mentalement, il faisait la synthèse des premières constatations.

On ne disposait d’aucun témoin et la météo ainsi que l’heure avancée dans une nuit d'encre expliquaient le désert des rues. Aucun éclairage ne filtrait à travers les fenêtres des appartements donnant sur le parc. Personne ne pouvait vraisemblablement apporter une information extérieure et pertinente. Mais il ne fallait préjuger de rien. Son métier lui offrait sans cesse des surprises et surtout il devait garder une certaine distance pour ne pas céder au dégoût du genre humain.

Ce qu'il découvrait nécessitait des moyens logistiques, du personnel et générerait du "bruit". Il fallait agir.

Lors d’une précédente enquête, le policier avait visité un abattoir et assisté à des opérations "d’exécution" de bovins et même d’équarrissage de chevaux. Il gardait un mal-être insoutenable face à la souffrance muette de ces pauvres animaux.

Mais ce qu'il découvrait, dépassait l’entendement. Il exprimait une sorte de folie meurtrière, empreinte d’une grande intelligence, méthodique, implacable. La présence au sol de voitures de collection en miniature, de couleur flashy, d’où provenaient ces curieux sons métalliques réguliers, provoqués par l'impact des gouttes de pluie, suscitait en lui la plus grande perplexité. À côté de ces modèles réduits, on avait relevé à chaque fois un fragment de corps humain.

La "première" tête découverte, grimée à l’excès, affichait un sourire figé à jamais dans une sorte de rictus morbide, mortel. Etre capable de découper très finement un individu, dont le grimage du visage donnait à penser que la victime exerçait le métier supposé de clown, un personnage sensé apporter du bonheur aux gens et surtout aux enfants...

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Mais qui pouvait renfermer en lui une telle violence ? Du délire !

Marc Maignan évaluait la pertinence de l'arme du crime en pensant à l'action d'un bistouri laser. En effet, chaque fragment ne saignait pas et paraissait comme tranché net et cautérisé. Fan d’aventures de science-fiction, des images montaient à la surface de l'océan de ses pensées. Il revoyait des batailles de chevaliers Jedi s'opposant à des guerriers Sith et croisant des sabres en myriades d’étincelles. Ou encore cette scène dans laquelle Dark Vador sectionne la main de son fils, Luke Skywalker...

Après deux heures d’investigation dans des conditions déplorables, les hommes de la criminelle dénombraient une dizaine de victimes. Les visages barbouillés ou maquillés donnaient l'impression d'un sordide spectacle joué "une seule fois" dans un chapiteau grand ouvert sous un ciel d'encre et des torrents de pluies.

Marc demanda des renforts.

Les photographes de la scientifique usaient de flashs pour saisir la mise en scène. Une équipe technique formée à la numérisation installait des pylônes assortis de projecteurs, de caméras et d’appareils photo. Ces spécialistes manœuvraient un scanner 3D.

Le lieutenant se remémora des faits divers parus dans la presse ainsi que des articles spécialisées relatifs aux avancées technologiques de la police technique et scientifique.

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Du matériel similaire avait servi lors de l’accident de Puisseguin, en Octobre 2015, entre un camion grumier et un autocar de tourisme. Le choc bien que peu violent avait provoqué l’embrasement très rapide des deux véhicules et entrainé la mort tragique de 43 personnes.

Cette technologie aurait permis de saisir les lieux, les positions des véhicules dont celles du semi-remorque plié en portefeuille. Dans le même temps, on aurait récupéré des informations relatives aux équipements et accessoires, aux passagers carbonisés. Un nombre considérable de données dans un délai rapide aurait facilité la reprise normale de la circulation routière et surtout favorisé l'évacuation des corps.

Peu à peu, il se souvint que l’enquête avait pu expliquer comment du gasoil, issu de l’un des réservoirs du grutier, s’était vaporisé en aérosol. Ce dernier s’était enflammé puis à l'impact projeté vers l’avant. Franchissant le pare-brise de l’autocar, éclaté sous l’accrochage, il avait entrainé une combustion violente et rapide des revêtements et carbonisé les passagers.

Marc se disait qu'en la circonstance, c'était exactement la technologie dont on avait besoin.

Ce matériel sophistiqué montrait son efficacité dans le cadre des autopsies. Il était difficile de garder longtemps des fragments humains dans leur état d’origine sans altération par oxydation. Les conditions météorologiques pouvaient influer sur la préservation des victimes. Alors, des images numériques et multidimensionnelles permettaient de conserver avec une grande fidélité, les stades initiaux des corps, rendant recevables ces éléments de preuves devant les tribunaux.

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