Chapitre 6 - Oracle

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 Bérénice n'avait désormais plus dix-huit ans. Elle en avait à la fois douze, ne serait-ce que par l'enthousiasme exagéré dont elle débordait à vouloir tout découvrir, tout comprendre, comme l'aurait fait une enfant du même âge née au XXIe siècle, capable d'absorber en un instant la fonctionnalité d'une technologie avancée, mais elle en avait aussi deux cents, pour appréhender, avec distance – c'est le moins que l'on puisse dire –, le bien-fondé de tout ce qu'elle observait depuis une heure, et qui ne lui serait en rien accessible s'il n'y avait pas les doigts du garçon glissant sur la Surface.

 Google, « Oracle » ou outil incontournable du XXIe siècle, dont elle avait fait la connaissance au travers d'Éliot, le garçon qui semblait n'avoir d'yeux que pour elle depuis ce matin-là. La pétillante jeune femme s'était éprise de ce siècle qu'elle ne pourrait parcourir qu'au travers l'espace étroit de la vitre de la psyché. Pour le jeune adolescent, c'était la première fois qu'une fille s'intéressait à lui, à ce qu'il savait faire, et qu'il parlait aussi longtemps avec quelqu'un du sexe opposé. Il semblait heureux d'être le centre de l'attention. Il reprit néanmoins ses esprits quand Bérénice lui parla à nouveau, le sortant de son rêve. Ce n'était pas par lui qu'elle était intéressée, mais bien par la connaissance qu'elle pouvait obtenir de l'époque future. Il le savait bien, il n'était pas idiot, mais il ne pouvait s'empêcher d'imaginer bien plus.

 Garçon calme et renfermé sur lui-même quand il était ailleurs que sur un terrain de football, que pouvait-elle lui apporter de son époque en passant par ce miroir, si ce n'est sa beauté ? Il jalousait son envie de tout savoir, de tout connaître. Il aimait voir son visage s'illuminer devant de nouvelles informations. Ça lui plaisait beaucoup et la rendait encore plus intéressante. Cela le changeait de ses amies qui passaient leur temps sur Snapchat, Instagram, ou encore Discord, et qui au final, ne s'intéressaient qu'à leur petite personne. Pour une journée, il se dit qu'il aurait aimé la rejoindre, pas forcément pour être avec elle – quoique cette idée lui vint tout de même à l'esprit –, mais pour visiter cette époque lointaine.

— Hier soir, mes parents m'ont dit qu'on allait partir deux jours, le week-end, chez mon papy et ma mamie. Je n'ai pas vraiment envie d'y aller... dit-il penaud devant sa nouvelle amie.

— Ce n'est pas grave, rassure-toi, je vais tâcher de continuer à aider mes parents. La maison a bien souffert de l'orage, mais j'espère surtout que cette passerelle entre nous restera ouverte au moins jusqu'à ton retour, et bien au-delà encore.

 Eliot répondit qu'il était content de la création de cette liaison temporelle. Il osa avouer aussi à demi-mots qu'il aurait aimé avoir une grande sœur comme elle. Il se sentit tout bête de dire cela, mais c'était pour ne pas dire quelque chose de plus cru, de moins attendu pour elle, quelque chose qu'il n'avait jamais dit à toute autre fille. Il avait rougi.

 Le départ pour le week-end était prévu pour le surlendemain, alors il lui vint une idée lumineuse dont il savait qu'elle ferait sans aucun doute plaisir à la jeune femme. Il s'absenta quelques instants de la chambre et appela l'un de ses amis au téléphone. À son retour, il avait le sourire aux lèvres. Il précisa à sa nouvelle amie qu'il devait aller emprunter un objet particulier.

— Pendant que je ne serai pas là, tu vas pouvoir continuer à apprendre le monde de mon siècle. Fais-moi confiance, lui dit-il avant de prendre congé.

***

 Depuis le jour de la rencontre avec Éliot, Bérénice avait hésité à parler à ses parents de l'aventure qu'elle vivait. Il suffisait pourtant qu'elle fasse monter l'un d'eux dans sa chambre pour faire constater de visu qu'il y avait bien quelque chose qui clochait sérieusement ; le reflet inexistant du miroir, réduit à une simple vitre, la chambre à la décoration pour le moins originale avant d'être futuriste, les objets étranges éparpillés çà et là, la météo différente d'un côté et de l'autre de la psyché, etc. Elle avait cependant choisi de ne rien dire, de rester la taiseuse qu'elle avait toujours été, de les conforter dans ce qu'elle avait toujours fait paraître ; une jeune fille studieuse, mathématicienne et douée pour la technique, préférant la tranquillité de sa chambre de jeune femme, à la présence quasi quotidienne de la famille dans cette grande demeure. Elle était certaine aussi que le garçon du futur était de la même trempe qu'elle. Il avait l'air consciencieux, semblant avoir la même passion pour les outils techniques, pour la nouveauté, avec l'envie du partage des connaissances. Il semblait aimer passer du temps dans cette chambre à la lumière feutrée qui avait accueilli une jolie jeune femme, deux siècles avant lui.

 Les couvreurs étaient venus à la hâte pour remplacer les tuiles envolées en raison de la tempête, et en moins de trois jours, tout avait été nettoyé dans le jardin. Il n'y avait donc plus de besoin particulier pour des réparations. Néanmoins, en attendant le retour d'Éliot, Bérénice descendit en cuisine pour proposer ses services à sa mère.

— Mère, j'ai fait un songe étrange cette nuit, une sorte de rêve prémonitoire. Enfin non, pas vraiment... je rêvais d'être dans le futur du monde.

— Oh ma fille. Il n'est jamais bien bon de rêver de la sorte. Cela porte malheur. Il m'est déjà arrivé pareil bévue, et c'était toujours pour me prévenir d'une mort imminente, dit-elle en regardant tristement par la fenêtre.

 Bérénice n'osa pas continuer sur le sujet. Bien qu'elle l'ait amené dans la conversation par un angle différent, elle ne voyait pas comment avancer sans s'empêtrer. Elle s'activa alors à préparer le repas du midi et à éplucher les légumes du souper.

***

 Éliot revint en milieu d'après-midi. Bérénice avait eu le temps de déjeuner avec sa mère, et avait même terminé sa corvée d'effilage de haricots. Remontée dans sa chambre, elle s'adonnait à la lecture d'un nouveau livre que son père avait eu la gentillesse de lui emprunter à la bibliothèque de la ville.

 Le drap n'était pas mis sur la psyché, alors, relevant la tête de sa lecture quelques instants, elle aperçut le garçon. Il était revenu, sans bruit, ne lui avait pas parlé, semblait s'agiter dans tous les sens dans la chambre. En effet, deux siècles plus tard, dans ce même espace cosy, Éliot plaçait une chaise face au miroir, et déposait en plein milieu de la paille de l'assise une sorte de boite blanche cylindrique. Était-ce l'objet mystérieux dont il avait parlé avant de partir le chercher chez son camarade ?

 Ayant semble-t-il terminé sa besogne, il vint enfin rejoindre Bérénice et lui fit une démonstration de ce à quoi pouvait servir tout cet attirail. La jeune fille était sens dessus dessous, hébétée, mais elle comprit assez facilement comment cela fonctionnait. Elle pourrait apparemment, depuis son siècle, interroger celui qu'elle appelle l'Oracle du monde du XXIe siècle.

 Après avoir vérifié tous les réglages, placé l'écran de la Surface en inversion des horizontaux afin que son amie Bérénice puisse lire les informations dans le bon sens, puis expliqué le fonctionnement des appareils, il s'adressa à elle.

— Bon, allez, Bérénice, ...à toi d'essayer, ...à toi de faire exactement ce que je viens de t'apprendre. On va voir si ça marche.

 La jeune femme se trouva toute hésitante devant son miroir. Elle alla s'assurer que la porte de sa chambre était fermée pour que sa mère ou quiconque ne l'entende parler seule ou ne soit attiré par des sons inhabituels, puis revint devant Éliot et le regarda longuement.

 Elle appréciait que ce soit lui qui interagisse avec l'écran. Elle trouvait rassurant qu'il s'occupe de la renseigner, mais savoir qu'elle pouvait elle-même agir sur des mécaniques du monde futur lui plaisait tout de même énormément. Alors, regardant une dernière fois dans les yeux pétillants du garçon qui semblait fier de lui, elle lui signifia qu'elle était prête.

 Elle abaissa les yeux sur l'objet blanc cylindrique posé sur la chaise et se lança dans l'incantation qu'il lui avait apprise.

— Okay Google...

 Les quatre petites diodes de couleur sur le dessus de l'assistant se mirent à clignoter alternativement. Une voix féminine retentit.

— Salut ! Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

[À suivre...]

...

[Peut-être...]

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