Chapitre 5 - La source

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 J'avais eu énormément de mal à trouver le sommeil cette nuit-là.

 Mise à part la date de mon décès, qu'Éliot avait omis de me donner – volontairement ou non –, et qui m'avait un peu perturbée, je ne souhaitais pas que cette question devienne une obsession qui empêche toute considération du moment historique que nous vivions. Le jeune garçon du futur, qui m'avait paru apeuré dans les premiers temps – certainement au moins autant que moi – était devenu tout à coup beaucoup plus volubile, et j'avais vraiment hâte de le revoir à nouveau ce matin.

 La première chose que j'avais faite en me levant, était d'aller vérifier si le drap, de son côté du temps, était encore suspendu sur la psyché. Quelle drôle de chose que de s'imaginer soulever un drap pour regarder une autre époque qui se serait déroulée sous mes yeux... Je me souviens très bien de ce court moment d'appréhension juste avant. Un sourire éclatant, au moins aussi rayonnant que le soleil qui illuminait cette matinée, s'était alors dessiné sur mon visage quand je ne me vis toujours pas apparaître dans le miroir.

 Trop de pensées et de questions m'arrivaient en tête. Quelle était cette lumière vive aperçue avant qu'il vienne me rejoindre ? Quel était cet accoutrement qu'il portait, si long sur ses cuisses et si coloré ? Les cheveux longs dans le dos, il ressemblait à une fille... Était-ce une mode capillaire qui serait généralisée dans deux siècles pour les garçons ? Les femmes se coiffent comment à cette époque ? Comment s'habillent-elles ? Quid de ce réseau dont il m'a parlé... qui relit les gens entre eux, et qui permet de tout savoir sans avoir besoin de bouger de sa demeure ? Après les mouvements politiques qui avaient eu lieu dans ma prime enfance, la France était-elle toujours une monarchie ? Laquelle, celle des Bourbons ?

***

 Installée sur une chaise empaillée, en face de la vitre de communication, je m'étais mise dans l'idée qu'Éliot n'apparaîtrait pas avant huit heures du matin. Je me levai alors quelques instants pour remonter la pendulette offerte par mon père, officier dans les armées de sa Majesté, afin d'être certaine qu'elle ne s'arrêtât pas. Je l'avais disposée comme un trophée, une offrande au-dessus de la cheminée. Elle était belle en cet endroit. Son cliquetis, ses rouages et engrenages me fascinaient comme toutes les mécaniques internes des métronomes que j'utilisais pour jouer de mes instruments. Je percevais dans cet appareil comme une sorte de musicalité. J'adorais vraiment cela, et quoi de mieux que d'essayer d'en comprendre le fonctionnement quand on est adepte comme moi des sciences mécaniques.

 Je regrettai que le linge du côté opposé fût trop bien ajusté. Je ne pus rien voir sur les côtés. Je compris simplement que les volets n'avaient pas été fermés complètement à la vue de la lumière blanche-grise qui se diffusait au travers.

— Bonjour Bérénice ! entendis-je au travers du linge, quelques secondes avant qu'il ne se dévoile.

 Le cœur battant, je me retrouvai face à face avec Éliot. Il était apparu les cheveux hirsutes, un biscuit à la main, et portant le même vêtement sans aucun doute moderne, mais que je trouvais absolument absurde. N'a-t-on pas idée à son époque de s'habiller comme un clown pour dormir ? J'osai espérer que les gens ne sortaient pas déguisés ainsi.

— Mes parents ne sont pas là, aujourd'hui, et puis je sèche. J'ai dit que j'étais malade.

 Je ne compris pas l'entièreté de cette première parole, mais j'imaginais qu'il s'agissait de rester en place sans que ce ne soit autorisé. L'idée me ravissait. Il allait, lui, jeune garçon de douze ans du XXIe siècle, me faire la leçon de ce que serait le futur de mon monde. J'avais l'impression d'être une sorcière qui consultait un oracle. Un oracle déguisé en saltimbanque.

 Il avait ouvert le drap en grand, comme on ouvre une fenêtre sur le jardin, et justement, par curiosité, je jetai un œil, pour remarquer que le temps n'était pas le même du tout de son côté. Il tombait des hallebardes, alors qu'à mon époque il faisait un temps magnifique.

 Je m'intéressai davantage à mon jeune ami. Je voulais savoir tout sur les sujets que nous avions abordés hier et qui n'avaient pas pu être révélés en pleine nuit.

 Il me fit donc en premier lieu une visite guidée de ce qui fut ma chambre, autrefois. Il me présenta tous les objets qui ne pouvaient exister à mon époque. Il suffisait pour cela qu'il regarde attentivement dans ma chambre pour remarquer toute la différence avec la sienne. Il semblait instruit, plus que je ne l'étais à son âge. A son époque, la priorité des études était-elle encore donnée aux garçons ? J'eus le droit en premier lieu à la pendule qui indique l'heure de manière lumineuse, qu'il n'y avait pas besoin de remonter chaque jour. Elle était précise à la seconde près. La bougie avait laissé sa place à un système d'éclairage beaucoup plus diffus. Il suffisait de presser un bouton vers le haut ou le bas, à l'entrée de la pièce, pour éclairer l'ensemble. Il s'éloigna ensuite un peu pour regagner son bureau, il souhaitait me montrer ce qu'il avait de plus précieux. Il manipula des fils accrochés sur un étrange appareil, qu'il apporta ensuite près de la psyché.

 J'étais très impressionnée. C'était l'organe de communication dont il m'avait parlé la veille, l'encyclopédie d'apprentissage qui permet de tout savoir sur tout. Je pouvais presque le toucher. J'étais sidérée. Il n'y avait aucune page, ce n'était pas un livre, ni même un gros grimoire. Cela ressemblait à une sorte de tableau, ou plutôt d'une plaque en verre entourée d'un cadre dans une matière qui semblait très légère, d'un demi pouce d'épaisseur dans lequel s'affichait l'image très lumineuse d'un paysage. Quand Éliot toucha sa surface, la plaque changea de couleur. Je poussai un petit cri de surprise. S'écrivirent dessus, des mots que je ne pouvais comprendre sur le moment, saisissant alors que le reflet me les faisait apparaître à l'envers. Je me précipitai vers ma commode, et me saisissait du miroir à main. M'approchant, je pouvais lire dans ce second rebond ce qui apparaissait dans le premier.

 Éliot me dit que cet appareil s'appelait une « Surface ». Quelle drôle de coïncidence ?! Je l'avais appelé de la sorte avant même de savoir son nom. Les mécaniciens de son époque ne s'étaient vraisemblablement pas creusé l'esprit, ayant certainement pris plus de temps pour son élaboration que pour l'affubler d'un nom plus solennel. Le garçon m'expliqua que cette machine était reliée au monde grâce à Ouiphi, une sorte de lien invisible mais qui mettait en contact tous les appareils identiques dans un même groupe de communication, sur une seule et même source. Tout cela était vraiment trop novateur pour moi, trop distant de ma pensée plus terre à terre. Comment pourrais-je imaginer des liens invisibles si nombreux, des fils magiques, qui peuvent tout relier sans que cela ne gêne personne ?

 La date de ma mort ne m'intéressait plus. Dans le reflet de mon petit miroir, apparut le nom de l'oracle, ou ce qui semblait s'en approcher ; Google. Un drôle de nom à consonnance anglaise. Il était écrit en gros dans les quatre couleurs principales, en plein milieu du rectangle blanc de la Surface. J'eus alors dans l'idée de persévérer, avec plus de passion, dans la connaissance de ce nouveau monde, et mon jeune ami, plus enthousiaste que jamais, semblait heureux de vouloir partager son expérience.

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