Chapitre 1 - L'orage

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  L’orage n’avait cessé de gronder toute la nuit autour du manoir. Quelques éclairs n'avaient eu le choix de rejoindre la terre que par la cime des arbres de la forêt qui l'entoure. Certains, plus forts et plus proches, s'étaient déchargés au travers du paratonnerre, nouveauté scientifique que mon père avait fait installer au plus haut sur le toit, l'hiver dernier, le 8 janvier 1828 très exactement, au lendemain de mes dix-huit ans.

  Des trombes d'eau s'étaient abattues sur la toiture et contre la fenêtre de ma chambre dont les volets, mal enclenchés, avaient tapé bruyamment en se rabattant, jusqu'à me faire frissonner davantage.

  Réfugiée dans le fond de mon lit, j'avais guetté la fin, décomptant chaque seconde entre la blanche lumière et le claquement vif de l'électricité sur sa cible. J'espérai que ce temps s'allonge, comme mon père me l'avait expliqué, et que l'orage s'éloigne.

***

  Au petit matin, tout était redevenu beaucoup plus calme. Le soleil était de retour. Je sortis du lit moelleux et protecteur puis m'accoudai sur le rebord de la fenêtre qui s'était ouverte sous l'effet du vent. Du haut de mon perchoir, au second étage, je pouvais tout voir et je me rendais compte enfin des dégâts et du résultat du vacarme qui m'avait effrayée une partie de la nuit. Le parc, habituellement si propre, si entretenu, était recouvert de branches cassées, d'arbres pliés - les plus jeunes - et d'objets déplacés. L'escarpolette improvisée d'une planche et de deux cordes reliées à la plus grosse branche d'un chêne autrefois majestueux, n'était plus sur son support horizontal. L'arbre lui-même était fendu en deux sur la hauteur et formait un V qui n'était pas celui de la victoire. Au contraire, il semblait me signifier amèrement, dans un dernier sursaut humoristique, qu'il avait été vaincu.

  Je découvris aussi ma mère et mon père, affairés comme jamais, tâchant de ramasser et de réparer tout ce qu'ils pouvaient. Quelques tuiles semblaient s'être envolées puis s'étaient écrasées au sol. Il allait sans aucun doute y avoir pour quelques jours de travail, en bas et en haut, sur le toit. Dans ma propre chambre, le vent avait aussi bousculé et fait s'envoler mes feuillets d'écriture.

  Ma psyché, offerte pour mes douze ans, grand miroir à encadrement sur pieds, avait tourné sur son axe vertical pour se retrouver face à l'un des murs de ma chambre. Je redécouvrais avec plaisir les dessins et petits textes que j'avais gribouillés au revers autrefois, sur le bois exotique que je devais absolument cacher à mes parents qui refusaient que je salisse les objets. « Quand vas-tu finir d'écrire partout ainsi, Bérénice ? N'as-tu pas encore passé l'âge des enfantillages ?... ». Combien de fois, n'avais-je pas écouté ces reproches ?

  Par la fenêtre, j'entendis mon père me héler. Un peu plus de monde dans le parc ne serait pas de refus pour aider à ranger le chaos de la nuit. Dans la seconde qui suivit, je lui signifiai que je l'avais entendu et que je descendrais à sa rencontre rapidement.

  Dans un silence, troublé uniquement par le bruissement de mes vêtements, je m'habillai rapidement de la robe de la veille, d'un spencer, puis j'enfilai mes bottines. Un châle en pure laine vierge sur mes épaules, je m'apprêtais à sortir de la pièce quand une drôle de musique vint à mes oreilles. Un genre de mélodie que je n'avais jamais entendue. Cela ne ressemblait en rien à ma boîte à musique ou encore à l'orchestre que nous écoutions sous l'orphéon de la ville chaque dimanche. C'était une sonorité plus saccadée, plus rapide, énervante presque, un peu comme si mon père était venu taper doucement avec un petit marteau contre l'autre côté du mur ou contre le revers en bois de la psyché.

  Le son si léger semblait sortir du panneau mobile. Je reculai alors, attirée par l'étrange, la peur au ventre, et j'entrepris malgré tout de faire pivoter le miroir sur pieds. Lentement, le son devint un peu plus fort mais restait toujours incompréhensible. Une chorale semblait maintenant chanter des paroles dans une langue étrangère que je ne comprenais pas. Comment cela était-il possible ?

  Le reflet du soleil déplaça un énorme rectangle de lumière le long des murs et qui passa sur moi jusqu'à ce qu'il se stabilise enfin. Je découvrais le même ciel bleu dans l'arête gauche, avec peut-être une sorte d'altération, une espèce de voile léger. Balayant des yeux l'ensemble du miroir, je ne reconnus vraiment rien. La taille de la chambre semblait être la même, le plancher marqueté identique, et le plafond à caissons aussi semblable, mais les meubles n'étaient pas disposés de la même façon. Le lit n'était pas à la même place et il ne me semblait pas non plus qu'il s'agissait des mêmes objets éparpillés çà et là.

  La musique se fit plus forte encore. Je continuai à détailler ce que je découvrais. Des objets étranges étaient disposés sur le bureau. Il y avait notamment ce grand rectangle plat au cadre noir, bien au centre, ressemblant à une sorte de tableau très lumineux dans lequel des couleurs et des gens de petites tailles que je ne distinguais pas bien s'affolaient dans tous les sens au rythme de la musique. Étais-je en train de rêver, de délirer ?

  Mon esprit, occupé par la découverte de ce phénomène étrange, vint tout à coup à se rappeler qu'un fait encore plus surprenant s'était déroulé devant mes yeux sans que je ne m'en aperçoive réellement. Pivotant mes yeux ahuris dans tous les sens, je compris enfin ce qui clochait et la peur monta tout à coup d'un cran. Une boule d'angoisse me surprit.

  Mes yeux se fixèrent brusquement alors devant moi, face à l'image inversée de ma chambre qui n'était plus la même, à l'endroit où mon reflet aurait dû se trouver, mais surtout dans le regard effrayé de ce petit garçon, habillé étrangement, qui devait réaliser au même instant que nous n'avions rien à faire l'un en face de l'autre.

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