SANS SUITE 27/ Jour 5 : Les vautours (1)

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Très rassurant. Je tourne la tête vers lui pour rencontrer son regard malicieux. Il regarde ensuite devant lui, bombant le torse, un sourire éclatant flottant sur ses lèvres. Le seigneur dans toute sa splendeur.

Ok, je redresse les épaules et souris à mon tour, d’une manière que j’espère sûre et fière. Après tout, je suis heureuse d’être au bras de Monsieur Perfection. De Monsieur Sullivan. Pourtant, je n’en mène pas large.

Il attend que le brouhaha ait cessé et que tous les visages soient tournés vers nous pour esquisser un pas à l’intérieur. Alors, je peux enfin souffler, car les gens reprennent déjà leurs conversations. Seul un homme vient nous saluer, avant d’entamer une longue discussion avec mon compagnon. Je reconnais les mots action, transaction, fluctuer, mais je ne comprends pas le sens des autres termes qu'ils emploient.

Mon attention se porte sur les invités. Des groupes d’hommes sont lancés dans des conversations animées, et les femmes les imitent de leur côté. Je m'assure de ne pas représenter leur sujet de distraction en suivant la direction de leurs regards. C'est raté ! Je remarque de discrètes œillades posées sur ma personne et des visages rapprochés les uns des autres. Chez moi, on appelle cela des messes basses. Le jugement a débuté. Lukas n’est pourtant pas une star comme un acteur de cinéma ou un chanteur international ! Alors pourquoi toutes ces femmes riches qui ne manquent de rien se comportent-elles comme des groupies ?

Un serveur me propose une coupe de champagne que j’accepte avec plaisir. Autant en profiter, le breuvage est excellent et les mignardises succulentes. Que tous ces gens faux parlent dans mon dos, qu'importe ! Je ne les reverrai jamais.

J’aperçois Angie devant le buffet. Elle s’esclaffe avec une femme qui pourrait être sa sœur tant leur allure est semblable. Qu’a-t-elle fait de Mickaël ?

Je le repère non loin de la scène avec un autre homme. J’ai la nette impression que mon ami s’ennuie fermement. Tout comme moi. La gent masculine a l’air particulièrement barbante, et les représentantes féminines peu accueillantes envers les inconnus. Mickaël croise mon regard, sourit et dirige sa coupe vers moi pour trinquer. L’ennuyeux personnage se rend alors compte qu’il ne l’écoute plus, le salue et s’éloigne. J’adresse un petit sourire rassurant à Lukas et pars rejoindre mon ami.

— Sacrée soirée, hein ? constate-t-il avec un sourire de connivence.

— À qui le dis-tu. Je pensais qu’Angie s’occuperait un peu plus de toi, quand même.

— Ne t’inquiète pas. Je m’y attendais. Elle est un peu… volage. Immature aussi, si tu veux mon avis. Elle avait seulement besoin de quelqu’un pour l’accompagner. En revanche, ton prince charmant ne te quitte pas des yeux. Je suppose qu’il n’apprécie pas que tu l’aies quitté pour venir me parler. Il a l’air plutôt possessif, comme gars.

— De qui tu parles ? Lukas ?

J’éclate de rire.

— La seule chose qu’il possède, c’est son fric et son casino.

— Alors, que penses-tu de cette soirée ?

— Ennuyeuse, comme le type avec lequel tu étais il y a cinq minutes. Nulle. J’aurais passé un bien meilleur moment si j’étais restée à la villa avec Sybille et Leandra. On a l’habitude de beaucoup rire en faisant des choses simples, comme des jeux de société, ou on regarde des films. Là, je sens le mal de tête me titiller.

— On s’en va ?

— Quoi ? Tu n’y penses pas ! Et comment ? À pied ? Ça fait loin, non ?

Il plaisantait. Je suis tombée dans le panneau. Je réponds à son sourire en portant ma coupe à mes lèvres. Mince, elle est vide. Mickaël me la prend des mains et fait signe au serveur qui parcourt la salle, un plateau à la main.

— On dirait qu’on nous oublie. Viens, rapprochons nous du buffet, car je n’ai pas l’impression que la serveuse aux toasts s’intéressera plus à nos estomacs qui crient famine.

Il pose sa main dans mon dos pour me guider. Je cherche Lukas du regard. Comme si sa présence me manquait. Ridicule ! Il est en compagnie de Monsieur Madma, à présent, mais il nous suit pourtant des yeux, d’un air réprobateur, et fronce les sourcils en désignant Mickaël. Je hausse les épaules et poursuis mon chemin. S'il passe sa soirée à discuter, je peux bien en faire autant. Un groupe de femmes a rejoint Angie et sa copine et j'en vois une autre se rapprocher d'elles. Elles ne me donnent aucune envie de me mêler à elles. De plus, je n'ai pas l'intention de laisser Mickaël tout seul dans son coin.

— Tu devrais essayer ceux-ci ; saumon fumé et caviar. Une pure merveille ! affirme Lukas qui nous a finalement rejoints.

Il s’empare alors du plateau et me le présente. Je saisis délicatement un canapé et le remercie. Il repose le plat, oubliant volontairement mon ami. Déçue, je répète ses gestes et invite Mickaël à savourer le précieux mets. Je n’ai jamais dégusté de caviar, et emportée par ma curiosité et mon unique de chance de découvrir cet aliment de luxe, je m’enquiers auprès de Lukas, par crainte de faire une bêtise et d’entacher sa réputation :

— Crois-tu que ce sera mal vu si, dans un premier temps, je ne mange que le caviar ?

— Commence par le savourer, fais rouler les perles sur ta langue. La plupart font comme toi ; ils se cachent, mais ils le font. Je t’offre un rempart de mon corps.

S’il persiste à me sourire ainsi, avec ses clins d’œil complices, c’est lui que je vais croquer. Bon, pour l’instant, je me délecte des douces petites billes qui tournent sur ma langue et de leur jus lorsqu’elles éclatent contre mon palais.

— C’est bon ! J’ai l’impression d’avoir du beurre dans la bouche ; on dirait qu’il est parfumé aux fruits secs. Je n’imaginais pas ça.

Lukas me glisse à l’oreille :

— Il n’est pas parfumé mais totalement naturel. Mange le reste, maintenant.

Le reste est délicieux également, mais si j’osais, je me ferais plutôt un festin au caviar, maintenant que j’y ai gouté.

Angie me sort de ma rêverie ; elle vient chercher les deux hommes. Ses amies, soi-disant, se montrent désireuses de saluer le beau mâle riche et célibataire, ainsi que son charmant cavalier.

Abandonnée devant le buffet, je n’ai plus qu’à me goinfrer. Pour ça, j’ai l’embarras du choix. Je reprendrais bien le même canapé, mais j’ai peur de me faire remarquer. Je vais plutôt tester celui-ci, il me semble reconnaitre une feuille de foie gras minutieusement maintenue sur du pain d'épices, et tachetée de points noirs. De la truffe, peut-être ? Ça non plus, je n’en ai jamais mangé. On sert souvent du foie gras truffé, pourtant…

Mickaël me rejoint rapidement, ne présentant aucun intérêt pour les vautours femmes présentes ce soir. Elles ont tort, car il est vraiment très élégant, magnifique et classe dans son costume trop serré qui compresse son corps musclé. Son portefeuille n'est pas assez gros pour elles et il ne connait pas les membres du gratin. De plus, je suppose qu’il n’use pas suffisamment de faux compliments pour séduire ces femelles en chaleur, avides d’argent, de pouvoir et d’un nom. En gros, il fait preuve de trop de retenue, de discrétion ; il ne cherche pas à les aguicher.

Lukas, par contre, semble dans son élément. Il sourit à pleines dents, et lorsqu’il rit, elles s’éclaffent toutes, même sa sœur. Une femme, d’un certain âge, se tient les joues pour montrer qu’elle est flattée par les paroles de Lukas. Une autre, un tantinet plus jeune, s’accroche à son bras en le dévorant des yeux.

Lui, représente le mâle dans toute sa splendeur, comme je l’avais déjà remarqué. Il brille devant son assistance, il joue à la perfection son rôle d’homme riche et puissant ; son rôle, oui, car je sais qu’aucune d’entre elles ne connait sa face cachée, celle qu’il me laisse parfois entrevoir. Il y a même de grandes chances pour qu’Angie, sa sœur, ne sache pas l’humour dont il peut faire preuve, la patience dont il est capable, mais surtout toute la tendresse qu’il est prêt à donner. Si j’en avais l’audace, je leur crierais, à toutes, que c’est à moi qu’il l’offre, sa passion.

Cependant, un détail m’échappe, me chiffone. Il est sous mes yeux, mais mon cerveau embrumé ne le voit pas. Ou refuse de l’accepter. C’est peut-être pour cette raison que je ne m’enfuis pas, car je n’ai pas encore compris l’étendue de leur déchéance. De sa déchéance.

— On pourrait tenter une valse ; ça te dit ?

Mickaël me tire de mes réflexions.

Quelques couples, dont nos hôtes, se sont formés et réunis dans la salle voisine pour évoluer avec la musique. Je n'avais pas remarqué qu'on avait ouvert les portes sur une autre pièce. Mon ami attend ma réponse à son invitation. Comment dire ? Je ne sais pas danser ça, et d'ailleurs, il m'a avoué être lui-même un piètre danseur. Nous allons nous ridiculiser et j'ai promis à Lukas de veiller à sa réputation.

— Je n'ai jamais trop fréquenté les boîtes de nuit, mais la valse, je connais. Je te guiderai. Aller, laisse-toi tenter, pour sceler notre accord.

— Je n'ai encore rien décidé ! je répond, faussement indignée. Je t'ai dit que je n'avais pas pour habitude d'inviter des inconnus chez moi.

— Je ne suis plus un inconnu ! Ou alors dis-moi ce que tu veux savoir. Je suis à l'écoute pour satisfaire ta curiosité, et je suis prêt à prendre le risque de provoquer le riche man et sa colère.

Oh là ! Terrain dangereux. Marche arrière ! Je me dirige vers les danseurs, suivie par Mickaël. J'écoute attentivement ses explications en observant les pas qu'exécutent les valseurs, puis j'accepte son bras quand il réitère son invitation. Je n'entends plus la musique. Je compte mes pas en secret tout en laissant mon partenaire mener la danse. Je commets quelques erreurs, mais pour une débutante, je m'en sors bien. Je ne sais pas si nous sommes toujours sur le même morceau, ou si nous avons entamé le second quand Mickaël s'arrête brusquement. Lukas ! Lukas est à côté de nous. Il toise mon ami d'un regard glacial et lui lance un "puis-je ?" tout aussi cassant.

— Si c'est à moi que tu t'adresses, la réponse est non, tu ne peux pas. Alors pose directement la question à Carly.

Mâchoires serrées pour les deux, leurs lèvres formant une ligne droite sur leurs visages, sourcils froncés avec lance-flammes à la place des yeux, épaules redressées. Voilà où ils en sont.

Je me tourne vers Mickaël :

— Tu veux bien m'excuser ? Je te retrouve tout à l'heure.

Ça me transperce le cœur d'agir ainsi, mais je dois calmer Lukas. Je lui ai fait la promesse de veiller à ce que cette soirée se déroule sans accroche.

Il danse bien. Comme précédemment, j'accorde ma confiance à mon partenaire et me laisse guider. J'en oublie même de compter mes pas. C'est comme si cette danse était devenue naturelle pour moi. Jusqu'à ce que mon partenaire me réveille.

— Que faisais-tu avec lui ?

— Lukas, on ne faisait que danser. Angie et toi nous avez quelque peu oubliés, ce soir.

— Je ne veux pas que tu danses avec lui. J'apprécierai aussi que tu ne lui parles plus et surtout de ne plus le trouver sur mon chemin. Je te rappelle que c'est moi que tu accompagnes, pas lui.

— Mais enfin, tu es complètement cinglé ! Je côtoie qui je veux, Lukas, ne t'en déplaise. Tu es en train de me dire que si l'un de tes amis m'invite, je devrais décliner ? Je ne te comprends pas, là.

— Il te tourne autour !

— Et alors ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? Même si j'ai envie de coucher avec lui, je ne vois pas bien en quoi ça te concerne ! C'est ta sœur qu'il accompagne. Ta sœur qui le délaisse pour se pavaner.

— Je ne veux plus que tu couches avec lui. Enfin, tant que tu couches avec moi.

— Si tu écoutais un peu plus les gens qui t’entourent, tu saurais qu’ils te renvoient parfois la balle que tu leur tends. Je n’ai pas couché avec lui, Lukas !

— Il en meurt d’envie.

— Alors si ça te dérange autant, fais en sorte que je ne me lasse pas de tes humiliations incessantes.

Il est tendu. Je le sens à ses bras qui me serrent, à ses doigts qui maintiennent ma main un peu trop fermement. Non mais, pour qui se prend-il ? Monsieur Tout Puissant n'exercera pas son autorité sur moi !

— Mickaël est quelqu'un que j'aime beaucoup. C'est un ami.

J'arrache rageusement ma main à la poigne de Lukas et pars retrouver ledit ami, qui s'est réfugié près de son estrade et dont Angie s'est finalement souvenue. Je suis consciente d'attirer les regards sur moi ; j'ai osé laisser en plan Monsieur Lukas Sullivan ! Un homme si convoité ! Ça lui permettra peut-être de redescendre sur terre.

Angie me prend par les épaules :

— Carly ! Tu tombes à pic ! Je souhaitais justement te présenter quelques-unes de mes amies.

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