SANS SUITE 44/ Jour 8 : Femme enceinte

8 minutes de lecture

Qu'en penses-tu, Carly ?

Lukas me ramène brutalement à la réalité. Je suis dans la file, devant la caisse, avec des gens devant et derrière moi, et lui, pose en tenue de tennisman, son adorable sourire sur les lèvres, qui plus est ! Il sait qu'il est magnifique, quoi qu'il porte. Il m'agace :

— C'est moche. Ça ne te va pas du tout. Je fais mine de reporter mon attention sur la caisse, droit devant, mais Monsieur Sullivan n'a pas obtenu ce qu'il souhaite, il ne se décourage pas. Il se glisse devant la personne qui me suit et m'entoure de ses bras. Sa joue se colle à ma tête et son souffle chaud effleure mon oreille. Il murmure :

— Dis-moi que tu m'aimes comme ça.

Mon cœur manque un battement ! Lui dire que je l’aime ? Il rêve ! Ah non, il parle de sa tenue. Je préfère. Je me tourne pour lui faire face et passer mes bras autour de son cou. À mon tour, je chuchote :

— Monsieur Sullivan, vous êtes parfaitement au courant que tout vous sied à merveille. Vous êtes splendide en jean, en short, en smoking ou encore lorsque vous laissez découvrir votre anatomie toute entière.

— Humm.

Ses yeux malicieux pétillent et ses lèvres se fendent en un sourire radieux. Rassuré, j'ignore pourquoi il éprouve ce besoin, sa joue vient frotter la mienne. Je suis abasourdie par cette nouvelle facette qu'il me dévoile. Si je ne le connaissais pas un tant soit peu, je pourrais croire qu'il manque d'assurance. En effet, pourquoi une telle marque de tendresse ? Qu'a-t-il fait de sa légendaire arrogance ? Un simple baiser, puis il s'écarte de moi.

— J'avais envie de me remettre au tennis depuis un moment, alors j'achète. Je vais me changer, tu viens ?

Clin d'œil aguicheur.

— Non. Je t'attends à l'entrée.

Il est vraiment tombé sur la tête ! Me faire une telle suggestion alors que nous sommes entourés de monde ! La boutique de lingerie me revient en mémoire, et en particulier la cabine d'essayage où Monsieur Le Voyeur n'a pu se retenir de mater. Je ris sous cape en l'imaginant soudoyer la vendeuse pour qu'elle nous oublie dans la petite pièce exiguë. Un peu osé comme idée, mais excitante. Bon, il vaut mieux que je garde ce genre de pensées secrètes, car mon charmant partenaire me prendrait sans nul doute au mot.

Je grimace quand je règle mes achats ; j'ai explosé mon budget ! Pourtant, il me reste une surprise à trouver. Pour Lukas. C'est ridicule, je sais, mais il ne me laissera jamais lui rembourser la nuisette ou le parfum et je ne peux accepter un cadeau sans en offrir en retour. Me reste à dénicher la perle rare. Celle qui l'amusera ou lui fera plaisir. Je vais devoir faire appel à mon imagination. Un sabre, en souvenir de son attaque dans le magasin de jouet ? Non, c'est trop facile. Des bonbons ? Non, on a déjà une indigestion de prévue, et c'est trop éphémère. En même temps, à quoi bon chercher un présent sensé lui rappeler mon existence puisque nous ne nous reverrons jamais. Avec un grand J. J'ignore le pincement au cœur que je ressens et me creuse encore la cervelle. En vain !

Immobile à la sortie du magasin, je suis en pleine réflexion quand j'aperçois l'objet de mon stresse entre deux clients dans la file. Il me dévisage d'un air interrogateur et je sens l'impatience le gagner. Soucieuse de l'apaiser au plus vite, je lui souris.

Au lieu de se détendre, ses traits s'assombrissent ; son nez se fronce, ses yeux me fixent avec intensité et il penche lentement son visage sur le côté. Je m'inquiète de plus en plus quand il rentre la tête dans les épaules, et je suis à deux doigts de m'enfuir quand il se redresse d'un seul coup en inspirant profondément. Il prépare quelque chose et je n'aime pas ça du tout ! Je lui adresse un signe d'avertissement auquel il n'attache aucune importance car il quitte sa place et, ses articles sur le bras, se dirige vers moi.

À peine à ma hauteur, deux surveillants s'interposent, et lui ordonnent discrètement de rejoindre la file. Il les ignore :

— Carly, qu'est-ce qu'il y a ?

— Rien, Lukas. Écoute-les et retourne là-bas, je t'en prie.

Ne se rend-il pas compte qu'ils nous prennent pour des voleurs potentiels ?

— Monsieur, laissez-nous les articles et veuillez sortir, s'il vous plait.

Il s'empare de mes mains.

— Carly, tu mens très mal. Je sais que quelque chose te tracasse.

— Monsieur, s'il vous plaît. Nous ne voudrions pas avoir recours à la force.

— Lukas, fais ce qu'ils te disent ! Ne provoque pas une scène !

Mon coeur bat à tout rompre, entraîné par la peur et la honte.

— Monsieur.

Les molosses l'entourent à présent, et l'un d'entre eux lui agrippe le bras. Je suis terrifiée, impuissante à empêcher l'inévitable.

Lukas se dégage violemment et se tourne vers ses assaillants en levant les mains avant de reculer pour m'entourer la taille d'un geste protecteur. Les vêtements sont toujours sur son bras. De sa main libre, il cherche sa carte bancaire dans la poche arrière de son jean. Les vigiles, méfiants, esquissent un pas vers nous et je ne peux retenir un cri d'effroi. Lukas ne perd pas son sang-froid. Il leur tend déjà sa carte, qu'il tient du bout des doigts. Je n’avais jamais remarqué son épaisseur, différente de celles que j’ai l’habitude de voir. Aucun des deux hommes ne s'en empare, mais la vue de ce prestigieux rectangle noir les calme un peu et ils reculent d'un pas. Lukas se repenche vers moi :

— Ça va ? Tu n'as pas eu trop peur ? Tu vas tenir le coup ?

Qu'est-ce qui lui prend ? Paye et foutons le camp !

Il se redresse et fait face aux surveillants qui nous bouchent maintenant la sortie.

— Mon épouse est enceinte et elle ne se sent pas bien. S'il vous plaît, prenez ma carte que je puisse la ramener. Elle a beaucoup marché aujourd'hui et elle doit se reposer. Soyez indulgents, s'il vous plaît, Messieurs.

— Vous auriez dû le dire tout de suite, Monsieur, déclarent-ils, avec respect, cette fois.

— Je suis désolé. Je vous prie de m'excuser. J'ai vu mon épouse contrariée et je me suis inquiété.

— Venez par là.

L'un des hommes entraîne Lukas devant une autre caisse, vide, tandis que son collègue m'accompagne jusqu'à une chaise en me soutenant par le bras. Je balbutie un pauvre merci, et adopte une attitude épuisée. Quoique, je ne feins pas vraiment.

Cette scène m'a vidée. Je suis lasse d'être sans cesse sur le qui-vive, à me demander ce qu'il va encore passer par la tête du type avec lequel je couche ! Je suis en colère aussi. Contre lui. Contre moi, qui refuse de comprendre que ledit type est fou. Complètement givré ! Je dois pourtant calmer le jeu et tenir mon rôle jusqu'au bout. L'homme qui m'a trouvé un siège est toujours debout près de moi quand Lukas me rejoint avec son sac en plastique, suivi de près par le second vigile. Ce dernier s'adresse à moi :

— Tout va bien, Madame ? Dois-je vous appeler les pompiers ? Avez-vous besoin d'un fauteuil pour regagner votre voiture ?

— Non, merci. Mon époux s'est alarmé pour peu de choses. Je veux juste rentrer et oublier cet épisode fort désagréable. Tu as terminé, Lukas ? Nous pouvons y aller ? Messieurs, je vous prie d'excuser son comportement ; la paternité le rend extrêmement nerveux.

Je leur offre un sourire gêné puis lance un regard noir à mon pseudo mari, qui incarne toujours le mec protecteur en s’emparant de mes paquets.

J'attends que nous soyons assez loin du magasin pour ôter sa main de ma taille avec rage et m'exprimer sur le ton le plus calme dont je suis capable :

— On a de la chance qu'ils ne nous aient pas raccompagnés à l'extérieur du centre, ou pire, conduits dans leur local à interrogatoire.

Il éclate de rire. Il n'est vraiment pas net ! Qu'ai-je dit de drôle ? J'ai dû parler trop doucement et il a cru que je plaisantais de sa grosse farce.

— C'était excellent, non ? La tête de ces deux types ! Et tous les autres ! Ils nous ont pris pour des voleurs ! S'ils savaient !

— Je ne comprends pas ce que tu trouves hilarant là-dedans, Lukas ! C'était humiliant ! Dégradant !

Sa jubilation prend fin d'un seul coup et il fronce les sourcils quand il me demande :

— Tu penses vraiment que ce serait dégradant ou humiliant d'être mon épouse ?

— Là n'est pas la question ! C'est toute cette scène qui m'a rendue malade ! Être soupçonnés de vouloir voler, on nous a bloqué à la sortie et cette histoire de femme enceinte ! Tu es allé la chercher où, celle-là ?

— Holà ! On se calme ! Pour ta gouverne, je n'ai rien prémédité. J'ai vu la tête que tu faisais et j'ai constaté que tu étais soucieuse. C'est pour ça que je suis venu te voir !

— Je me creusais juste les méninges pour te trouver un cadeau !

Il est surpris. J’ai l’impression de l’avoir touché. Il hésite, comme s’il ne savait pas quelle attitude adopter, plus habitué à donner qu’à recevoir. Ce qui est fort possible. Même très plausible, d’ailleurs. Qui pourrait bien lui offrir un cadeau ? Sa sœur ? Pour cela, il faudrait déjà qu’elle s’intéresse à quelqu’un d’autre qu’à sa propre personne. John, peut-être ; mais j’imagine le genre de présent, gadgets sexuels ou objets dont la signification n’est issue que de leur complicité. Qui d’autre ? Personne. On doit bien lui faire don d’une bonne bouteille de vin, de temps en temps, mais rien de réfléchit, de personnel, rien qui vienne du fond du cœur, avec l’envie de faire plaisir.

Quoi qu’il en soit, il reprend la situation en main et c’est avec indifférence qu’il retrouve la parole :

— Crois-tu qu'il soit encore temps de retrouver les autres au restaurant ?

Pour toute réponse, et sans attendre la mienne, il compose un numéro sur son téléphone.

— Vous en êtes où ? Non, nous n'avons pas encore dîné. Nous terminons tout juste nos achats. Non, ne nous attendez pas ; nous prendrons une autre table. Ok, à plus tard.

Puis, à mon intention, après avoir raccroché :

— Ils en sont au dessert. Après le café, ils iront faire un bowling. On va poser nos paquets dans un casier là-bas et on les récupérera avant de partir. Tu as de la monnaie ?

— C'est risqué, on risque de les oublier.

— Non, on ne va pas les oublier. Je suis une tête pensante, tu es au courant, non ?

Je capitule. Je suis affamée, fatiguée aussi, et je n'ai plus la force de me battre contre lui.

Pourtant, il me surprend lorsqu'il s'empare de ma main avant de s'élancer vers l'escalator qui nous mènera à l'étage des restaurants.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ysabel Floake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0