SANS SUITE 56/ Jour 10 : Le départ

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Mes amies portent leurs bagages à la voiture et les calent entre mes cartons de vaisselle. Je regarde une dernière fois la cuisine, où je me suis sentie bien dès notre arrivée. Je ferme la porte à double tour. Telle un automate, j’attrape ma valise et mon sac à main. Un dernier coup d’œil à cette terrasse qui a recueilli nos rires et nos éclats de voix. Mes yeux se posent à la place qu’occupait le plus souvent Lukas. Elle est vide de sa présence, à jamais. J’éprouve un discret pincement au cœur, mais j'essaie de n’y accorder aucune attention.

Je démarre la voiture et recule pour sortir du jardin et rejoindre la route. Sybille attend à l’extérieur. Mon cœur est lourd. Comme si quitter cet endroit où j’ai vécu tant de souffrances me pesait. J’y ai connu des moments de bonheur aussi.

J’ai toujours gardé à l’esprit que cela ne durerait qu’un temps, et j’ai plusieurs fois attendu notre départ avec impatience. Je n’ai aucun regret à avoir. J’ai agis comme lui ; j’ai pris ici tout ce que je voulais. Des infos professionnelles et du plaisir. Rien à ajouter. Tout ce qui me peinait, on s’en fout ; direction les oubliettes.

Cependant, un long soupir m’échappe, perçu par Leandra qui me toise d’un air contrit, mais qui reste silencieuse. Sybille fait glisser le portail sur les rails. Je ne peux m’empêcher de lorgner cette villa, d’essayer de convaincre mes souvenirs d’y rester enfermés.

Mon amie s’installe sur le siège du passager, en souriant à pleines dents. Je devrais faire pareil, ravie à l’idée de retrouver mes enfants et ma vie. J’ai hâte, bien entendu, de les serrer dans mes bras, de les couvrir de bisous, de les réveiller avec mes gratouilles, ces douces chatouilles qu’ils aiment au point de faire semblant de dormir encore. Leurs disputent et leurs rires me manquent. Dîner avec eux devant un épisode d’une série dont on se lassera avant la fin me manque aussi. Toutes ces petites joies de partages en famille me manquent terriblement. Je vais bientôt retrouver tout cela, et râler quand ils rechigneront à faire leurs devoir, gronder parce qu’ils n’auront pas rangé le lave-vaisselle ou leur chambre, ou encore hurler quand l’heure de s’endormir est passée et qu’ils se relèvent pour boire, ou rajouter tel cahier ou tel livre dans leur cartable. Sybille et moi en rions. Nous appelons ça la joie d’être parents. C’est ça aussi, une famille. Je suis fière d’en avoir une, en particulier la mienne, et surtout, je suis heureuse d’en faire partie.

La radio passe une chanson populaire, air qui inspire Sybille :

— Les filles, on se réserve une soirée, et dans les plus brefs délais, pour se faire une virée en boite !

Je ne suis guère convaincue, mais devant leur enthousiasme à toutes les deux, je fais face et braille mon approbation. Sybille essayait de me dérider, et satisfaite, elle lance un retentissant cri de joie.


Je coupe le moteur. Nous sommes arrivées devant l’accueil du site. Je respire un grand coup. Cette fois, c’est Leandra qui a la charge de rendre les clés. Un doute, cependant, m’oblige à la suivre et à poser une ultime question à la réceptionniste :

— Rassurez-moi, le service nettoyage est bien prévu pour notre villa ?

— En effet Madame, ça a été réglé ce matin par carte bancaire.

— Merci.

Je déteste les mauvaises surprises, pourtant, j’en ai essuyé un certain nombre ces dix derniers jours, et je n’apprécierais pas de trouver une telle facture dans ma boite aux lettres ; qui plus est, sans moyen de renvoyer la balle.

Retour de mes idées noires, mais je n’y peux rien. Plus je les réfute, plus vite elles reviennent.

J’approche de mon but. Retrouver une vie normale. Ma vie de femme et de mère. Plus que deux lignes droites, rendre la voiture et monter dans l’avion. Je suis convaincue qu’une fois à bord je vais retrouver mes esprits. Pour l’heure, il nous faut rejoindre l’aéroport.

Sybille passe d’une station de radio à une autre. Elle bannie direct les airs moroses. Quelle amie elle est ! Elle sait dans quel état je suis, et elle tente de me soutenir, par tous les moyens. Elle est la seule à me comprendre ainsi. À elle, je peux dire sans aucun complexe que je l’aime. Non ! Je n’ai pas viré de bord ; niveau sexe, je préfère toujours les hommes. Elle est honnête, toujours à dire ce qu’elle pense ; elle ne vous dira pas qu’elle vous apprécie, elle vous le montrera. Ce qui ne l’empêche pas d’être une personne hyper-sensible, capable, si elle vous estime, de vous confier ses peurs et ses larmes. Par-dessus tout, elle vous écoutera si vous craquez, elle vous secourra, et si vous lâchez prise, elle sera toujours là. J’ai besoin de son amitié, et de sa force. Là, elle s’apprête à appuyer encore une fois sur le bouton de l’autoradio.

— Laisse ! J’aime beaucoup cette chanson.

Je ne manque pas son regard de travers, mais passer Hello de Adèle constitue pour moi un sacrilège. Je murmure les paroles tout en me rappelant le clip vidéo. Certaines phrases auraient-elles été écrites pour moi ? La douleur m’empêche d’ouvrir la bouche pour chanter encore, et j’ai beau lutter de toutes mes forces, mes larmes me trahissent lorsque l’interprète parle de leur différence et du million de kilomètre qui les sépare. Je n’arrive pas à déterminer ce qui me fait le plus de mal ; est-ce le fait de savoir que je ne le reverrai plus jamais, ou la colère que j’éprouve pour la façon dont il m’a traitée ?

— Tu te fais mal toute seule, Carly.

— Il faudra bien qu’elle laisse tout ça sortir, intervient Leandra, de sa douce voix.

De la même manière qu’un peu plus tôt, j’essuie mon nez et mes joues. Puis, je me racle la gorge avant de leur répondre d’une voix sourde :

— C’est déjà passé et ça va aller de mieux en mieux. Si je dois me laisser aller à pleurer, ce sera à l’abri des regards, et non aujourd’hui, alors que nous avons un avion à prendre.

Mes amies se regardent mais n’insistent pas et j’empêche encore Sybille de zapper aux sons de What now de Rihanna. Je chantonne, mais surtout, j’écoute les paroles, et, c’est incroyable, je suis cette femme que la chanteuse décrit ! Je comprends alors, ce que voient mes amies. Je n’attends pas la fin pour à mon tour, et sans prévenir, changer la station. Je suis nostalgique, c’est un fait, mais ce n’est pas une raison pour entrainer les autres. Cependant, la grisaille de mon âme ne connaît aucun répit et il semblerait que ce phénomène s’étende au reste du monde car une nouvelle fois, je reconnais une mélodie que j’adore, mais qui me fend le cœur. « Je te pardonne », de Maitre Gims et Sia résume parfaitement ma situation actuelle.


Je tends les clés de la voiture à l’homme qui s’apprête à en faire le tour. Je n’ai qu’une hâte, qu’on en finisse ! Le bougre prend tout son temps pour examiner chaque rayure, chaque coup de portière, toutes ses traces qui existaient déjà lorsque j’en ai pris possession et qui figurent sur le contrat. L’avantage, c’est que les minutes défilent et que je ne vois pas l’heure passer. Au moins, je ne me lamente pas et quand enfin, il accepte de me rendre la caution, nous sommes obligées de nous précipiter pour accéder à la porte d’embarquement. Par chance, nous avons pris la peine d’enregistrer nos bagages avant de nous rendre chez le loueur de véhicules ! Nous attendons à peine cinq minutes avant d’être appelées pour monter à bord.

C’est au moment où je m’assois sur mon fauteuil que je décide de clore définitivement cette parenthèse de ma vie, durant laquelle je n’ai fait que me donner en spectacle.

Dès que l’avion décolle, je branche les écouteurs et me noie dans les films récents proposés par la compagnie aérienne ; je bannis tous les albums de musique proposés, dont une seule chanson pourrait faire jaillir la gerbe de sanglots qui menace.


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