SANS SUITE 55/ Jour 10 : Les adieux

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Il n’est plus là, quand je me réveille. J’entends des voix sur la terrasse ; il s’est déjà levé, anxieux du voyage qui l’attend. Je m’étire dans mon grand lit, et mon odorat repère son parfum sur l’oreiller. Je m’en approche, glisse mon bras dessous et le respire, assaillie par le souvenir de nos derniers ébats.

Je ne suis pas pressée de me lever. Je sais qu’il va se montrer encore fort désagréable avec moi. C’est sa façon de me faire payer l’attirance que je lui suscite. Il n’a pas compris qu’elle est réciproque et que ce serait plus simple s’il acceptait les choses telles qu’elles sont. Nos amis savent depuis le début qu’il passe ses nuits auprès de moi, et que nous dormons très peu ; alors pourquoi se cache-t-il toujours derrière cette attitude dédaigneuse ?

Dans quelques heures, ce sera fini, alors je vais faire en sorte que ce dernier laps de temps efface toutes les méchantes paroles que j’ai dû supporter pour ne garder que le souvenir de son beau visage, de son sourire, de la tendresse dont il sait faire preuve, et de l’humour dont il est capable.

Je saute donc du lit, forte de ces bonnes résolutions, enfile un top et un short, et rejoins mes amis. Je les salue, guillerette, et dépose à chacun d’entre eux un bisou sur la joue. Lukas n’est pas là. Sa chaise est vide, et la nappe, à sa place, propre. Bon, il s’est levé juste avant moi et doit être dans la salle de bain, ou aux douches.

— Il est parti.

Angie, tout sourire, m’assène un coup en plein cœur. Je reste sans voix, mais elle n’en a pas terminé avec moi :

— Tu ne croyais tout de même pas qu’il allait t’offrir des adieux tristes et larmoyants ?

— Non. Je n’espérais rien, en fait. Je constate juste une fois de plus l’étendue de sa lâcheté.

— Laisse-moi t’expliquer ; c’est très simple. Il t’a baisée, puis il a attendu que tu t’endormes pour s’éclipser.

— Ça suffit, Angie ! s’énerve Sybille. À quoi ça t’avances de lui dire tout ça ?

Elles se disputent ; je distingue leurs tons énervés, mais je n’écoute pas. Ma peau a perdu toute couleur, je le sens, et ma gorge me brûle à force de retenir mes sanglots. Mes yeux sont gonflés et sans aucun doute brillants de larmes contenues. Elle a raison, il a réussi à me faire mal sans être là. Pourtant, je ne leur donnerai pas la satisfaction de me voir pleurer, ni à lui, ni à sa sœur. Leandra débarrasse la table pour s'occuper, tandis que je surprends John à m’observer, dans une concentration profonde. Ok. Seule issue, m’enfermer dans la salle de bain et prendre une longue douche bien fraîche pour remettre mes idées à l’endroit.


John est venu me trouver avant de partir, deux heures auparavant. En taxi, puisque Monsieur l’égoïste a pris la fuite avec la voiture. Il m’a expliqué que Lukas a laissé les deux robes, la blanche et la bleue, ainsi que les accessoires sur son lit, à mon intention. Il a aussi laissé les achats qu’il avait choisis pour moi, dans les boutiques du centre commercial.

— Il a eu tort, je rétorque, acerbe, en les offrant à une œuvre de charité, il aurait fait le bonheur de quelqu’un. Ça fera quand même plaisir à la femme de ménage.

— Je dois les prendre, si tu les refuses. Accepte-les. C’est sa façon de te faire comprendre qu’il tient à toi.

— Emporte tout ça, John. Il ne tient pas à moi, car les seules choses auxquelles tient Lukas sont son casino et sa propre personne. C’est pour ça qu’il cherche à se débarrasser de toutes ces choses dont il n’a plus l’utilité.

— Je suppose qu’il les donnera à la prochaine escort girl qui l’accompagnera.

— Excellente idée ! Tu devrais y aller si tu ne veux pas rater ton avion.

Quelle bande de créatures sans cœur ! Aucun des trois ne vaut mieux que l’autre, car jusqu’à la dernière minute, ils m’auront pourri la vie !


Voilà maintenant deux bonnes heures que John et Angie sont partis. Je n’ai pas pleuré. C’est la colère qui me donne la force de ne pas craquer. Néanmoins, le regard compatissant de mes amies sera plus dur encore à supporter, et c’est pourquoi je prends tout mon temps pour boucler mes valises.

On frappe à ma porte, avec délicatesse. Je n’ai pas envie d’être dérangée, et lance un morne « oui ». C’est Sybille qui vient s’asseoir sur mon lit. Elle m’observe en silence. Elle attend que l’amalgame de mes émotions explose, que cette fusion jaillisse de mon corps par ma gorge serrée, ma bouche crispée et mes yeux brûlants. Je me retiens malgré tout. Je lutte contre cette dernière faiblesse, preuve de ma bêtise et de ma honte.

— John est parti ? je demande, mon intérêt qui sonne faux et parfaitement au courant du départ des américains.

— Oui.

— Comment te sens-tu ?

— Ça va. Nous sommes d’accord pour peut-être nous revoir. On a échangé nos numéros de téléphone pour garder le contact, dans un premier temps.

— C’est super. Enfin, si tu le prends aussi bien que tu le montres.

— Je vais bien, m'assure-t-elle avant de marquer une pause. Je ne suis pas là pour parler de moi. Je te connais et je sais que tu souffres. En parler ou pleurer te soulagerait et je veux être présente à ce moment-là pour te soutenir.

— C’est trop tôt pour que je puisse en dire quoi que ce soit. Par contre, tu peux m’expliquer ce que tu penses de toute cette mascarade. Fais-toi plaisir, lâche-toi.

Je ris, jaune, car je sais qu’elle ne mâchera pas ses mots. Que je ne serai pas d’accord avec son point de vue et qu’elle balaiera toutes mes fausses excuses. Elle prend son temps avant de reprendre la parole. Elle me fixe de ses yeux bleus transperçants, étudie les expressions qui traversent mon visage, épie le moindre de mes gestes et analyse mes déplacements dans cet espace exiguë. Elle me stresse juste encore un peu plus. Elle veut me forcer à craquer, convaincue d'apaiser ainsi ma douleur.

Je contourne le lit pour fouiller une énième fois la table de chevet quand mes yeux se posent sur une bougie éteinte, la cire liquéfiée, puis figée, comme moi. Je l’envoie cogner le mur d’un coup de pied rageur. L’effet de soulagement attendu ne se fait pas ressentir. Au contraire, le pot en plastique qui entoure les restes est toujours intact, attisant encore cette torture de mon âme et de mon corps à laquelle je suis impuissante.

— C’est vrai, Carly. Il n’y a rien à en dire. Tu dois faire le deuil de cette histoire, et ça viendra avec le temps. Pour l’instant, console-toi à l’idée de revoir ceux qui t’aiment le plus, tes enfants. Dis-toi aussi que plus jamais tu ne seras maltraitée de la sorte.

— Il ne me maltraitait pas. Il sait aussi être tendre et affectueux, joueur aussi.

— Stop, Carly ! Comment tu appelles cette façon de te traiter pire qu’une merde après avoir pris son pied ? Une merde, on la ramasse à la pelle ; toi, il te laissait par terre et c’est limite s’il ne t’écrasait pas ! Tu sais comment on appelle ça ? Du harcèlement moral, Carly !

Elle a raison, et ça fait mal, très mal. C’est encore plus douloureux de l’entendre. À tel point que je me laisserais bien tomber au sol, pour y mourir. Reprends-toi, Carly ! Ne pleure pas pour cet homme qui ne mérite aucun intérêt, pas plus que tu ne dois verser de larmes sur ton propre sort. Tu as été faible ; cela ne se reproduira pas. Tu trouveras le courage et les arguments pour minimiser tes erreurs et tu finiras par en rire. C’est ça, ta force, n’accorder aucune importance à ce qui te ronge.

Sybille n’en a pas terminé :

— Tu n’étais pas de taille à lutter contre lui. C’est un jeu qu’il connait très bien, et auquel tu n’avais jamais participé. Il avait l’avantage dès le départ. Tu t’es laissée séduire par son physique dès son arrivée ; ensuite, c’était facile, il t’a coincée dans sa toile et a joué avec toi, encore, et encore, avec ses sales pattes qui étreignaient ton coeur.

J’éclate de rire à cette comparaison grotesque, mais somme toute plutôt juste. Puis un sanglot jaillit de ma bouche, en même temps que de grosses larmes roulent sur mes joues. Non ! Je refuse cette détresse ! Je ne m’effondrerai pas ! Je respire un grand coup et sèche avec acharnement mon visage humide et mon nez coulant.

— Laisse-toi aller, Carly, ça te soulagera.

— Non ! Pas question. Je trouverai un autre moyen pour m’en remettre. Tu dis que c’est son physique qui m’a séduite. En effet. Il me semble que Leandra et toi l’avez vu les premières et vous n’étiez pas insensibles non plus, si je me souviens bien.

— Exact. Leandra est une femme honnête, et mariée. Elle l’a trouvé très beau, mais c’est tout. Quant à moi, j’ai apprécié tout de suite sa plastique parfaite, mais j’ai aussi remarqué quel genre d’homme il est. Rappelle-toi de quelle manière il t’a parlé dès le premier soir.

— Qu’est-ce que je pouvais faire ? Il avait déjà jeté son dévolu sur moi ; il avait trouvé sa proie facile ! Il n’aurait eu aucune chance auprès de toi, et il le savait. Surtout que personne n’a manqué vos coups d’œil à John et toi.

— Je suis d’accord, mais il aurait pu s’en prendre à Leandra, tenter de lui faire tourner la tête. Je suis sûre qu’il aurait jubilé à l’idée d’exercer son charme et son pouvoir sur une femme mariée, et de faire de son mari un cocu. Toi, par contre, tu aurais dû le repousser ! Si tu étais autant en manque de sexe, il y en avait un autre qui ne demandait qu’à te satisfaire, Carly !

— Qui ? Mickaël ? Impossible, je ne l’aime pas de la même manière !

— Pardon ?

J’ai dit quoi, là ?

— J’aime beaucoup Mickaël, mais c’est un ami. De plus, je ne le connaissais pas encore !

Elle balaie mes paroles de la main :

— Et… tu aimes Lukas comment ?

— Je ne l’aime pas, je le hais !!!

— Bien sûr. Médite sur ce que tu viens de dire. Je vais boucler ma valise.

Je peste contre moi-même, et contre Sybille qui m’incite à dire ce que je n'ai pas envie de dire, mais qu'elle veut entendre. J’étais attirée par Lukas, pas amoureuse. Comment l’aurais-je pu ? Il aurait fallu que je sois folle pour éprouver de tels sentiments, malgré son acharnement à m’écraser, et en sachant que cette histoire ne serait qu’éphémère.

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