SOLEIL

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On ne peut pas se contenter d’ignorer la part d’absurde du monde dans lequel nous vivons tous. Il faut regarder l’envers du décor, le reconnaître. En cela, il se pourrait que le nihilisme soit un passage nécessaire. Pour se révolter contre le non-sens et le dépasser, il faut l’avoir vécu pleinement et accueilli au plus profond de soi. C’est un coup de chaud, qui peut s’être appesanti sur vous depuis la ligne de départ, ou qui soudain un jour vous étourdit. C’est un soleil noir qui vous souffle que rien n’a d’importance, et surement pas votre vie ou vos actes. C’est ce soleil qui parfois frappe votre front et fronce vos sourcils, celui-là même qui a amené Meursault au meurtre et qui lui, l’a fait frapper à la porte du malheur. Meursault pensait que ce bout d’absurde allait simplement se noyer dans la mer d'indifférence qui l’entourait, sans demander son reste. Mais par cet acte insensé, il troubla l’équilibre d’une plage qui le rendait heureux. Ajouter de la souffrance à la souffrance revient à perpétuer le carnaval hypocrite du non-sens, à y participer à son tour. Cela ne vous apporte aucune réponse, seulement de l’affliction. Vous êtes maintenant coupable, et votre peine est incommensurable. Entre-temps, le nihilisme s’est bien installé. Il a tendu une toile à taille humaine entre deux siècles, et il faudra que tôt ou tard nous nous jetions dedans, tous, en espérant ressortir davantage imbécile heureux qu’imbécile triste. Imbécile mais tout sauf naïf. Il y a donc quelque part de l’espoir. Le souvenir vague d’une seule journée sur cette plage suffira à Meursault pour éclaircir cent jours passés dans l’écume des geôles. Ce tragique solaire au courage camusien et aux héritages méditerranéens se tient à la portée de chaque homme. C’est l’idée selon laquelle, dans les heures les plus difficiles, nous pouvons être sauvés par les images, la lumière que l’on garde en soi.

Nous sommes du soleil, t’en souvient-il ? Et comme dirait un certain philosophe de la table ronde, il serait temps de nous considérer en tant que tel. Ce soleil ne nous appartient pas, mais il n’appartient qu’à nous d’y trouver notre bonheur.

Nous sommes du soleil, t’en souvient-il ? Nous sommes tous nés sous une bonne étoile, la même, et pourtant, on voudrait nous faire croire qu’elle ne peut pas briller pour chacun d’entre nous ? La vie, un petit courant électrique qui trouve sa source dans ce puits de lumière. Oui, même quand le crépuscule bouscule le jour et que la nuit s’abat, ne ressentez-vous pas parfois cette vive chaleur qui nous enveloppe de toute sa tendresse ? C’est la preuve que nous gardons en nous quelques couleurs irradiées qui nous ont été données de voir.

Nous sommes du soleil, t’en souvient-il ? Je l’ai longtemps affronté du regard, à m’en cramer la rétine. Il va sans dire que je perdais à chaque fois... Je ne comprenais pas pourquoi cet astre passif m’ignorait. Pas seulement lui, j’attendais de tout ce qu’il y a d’immuable en ce monde qu’on me donne du sens et qu’on m’explique enfin pourquoi moi, et des milliards d’autres privilégiés, étions condamnés à une trajectoire finie et un mouvement borné. Mais tout ce que le soleil me renvoyait, c’était ma propre image : un peu moins durable, tout aussi incompréhensible. Aujourd’hui, je suis prêt à lui faire sacrifice de mon corps, à laisser mon crâne en ébullition se charger du reste. Dans mes transports comme dans mes voyages, je lui confie mon humeur et mes actes. Quand le ciel, affolé de lumière, perce nos fenêtres sur le monde de rayons mordorés, je l'accueille dans mes pupilles naïves. À présent, j’accepte mieux ce que je suis et ce que je ne pourrais sans-doute jamais changer chez moi. Quelque part dans ma course - ce serait mentir de donner une date précise - j’ai fait un vœu, ou une promesse, qu’importe. Je me suis juré de garder toujours avec moi ces fois où j’ai été heureux, et les laisser me peupler entièrement. Ces chaudes nuits d’été où la pluie ne fait pas mal, et ces plages où les grains de sable coulent différemment. Garder dans la poche trop grande de mon sweat, les personnes qui m’ont porté et qui m’ont grandi, parce qu’elles m’ont aimé ou parce que je les aime. Je voudrais que ces souvenirs réchauffent mon coeur l’année durant, que je puisse me reposer sur ce qui a été, et plus seulement sur ce qui sera. Je continue mon voyage, bien-sûr, ne serait-ce que pour revivre ces moments ou pour créer d’autres instants. J’y capture un peu de moi, et un peu de nous. Tout du long, je m’efforcerai de porter cette voix - assez fêlée pour laisser passer la lumière - comme ma croix, et j’espère qu’elle-même portera loin. Je rayonnerai ce trajet de ce que je sais, et surtout, de ce que je ne sais pas, car voyager c’est apprendre ; vivre, c’est apprendre. Là-bas, dans le futur, je me vois cueillir des pensées aux odeurs enivrantes, qui prennent leur envol en agitant leurs tâches noires fièrement.

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