CLIMAT

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Des rames de nuances de gris, les couleurs de la routine. De longs quais aux courbes sans surprises. Voilà pour le cadre.

Du côté des objets, des esprits vides qui remplissent distraitement le train-train quotidien. Des âmes qui s’en vont et qui reviennent chaque jour un peu moins.

Pour le scénario, une danse effrayante qui prend ses habitudes. Une chorégraphie aux airs sectaires, mais les dieux comme les gourous ont été mal choisis. Un torrent de vie me direz-vous, mais semblable à un long fleuve trop tranquille.

Quant à la liberté, elle doit bien se cacher quelque part.

Aujourd’hui, je me suis assis côté soleil. Ses rayons affolés foncent sur moi, pour ceux qui ne s'étaient pas encore jetés sous les roues du train. Ils brûlent mon visage d’une chaleur autoritaire. Enivré, je me surprends à tendre l’autre joue et à regarder à travers la vitre ; depuis mon siège, immobile, je vois le monde passer. Les immeubles et les maisons se succèdent dans mes yeux qui, par saccades, et pour quelques instants seulement, les allègent de leurs allures sédentaires. Des îlots de verdure sèment tendrement leurs éclats dans mes pupilles et des arbres, réduits en nombre, regardent sagement les trains se courir après.

J’aime le mouvement. À peine ai-je fixé mon regard sur l’objet de ma curiosité, que ce dernier laisse sa place à une forme plus étrange encore. Mes yeux oscillent ainsi frénétiquement de gauche à droite, avides d'images. De nouvelles images ? Ce n’est pourtant pas la première fois que je prends ce train, je dois même connaître le trajet par cœur. Mais je ne me lasse pas de me laisser surprendre, et le temps, grain de sable par grain de sable, de se laisser suspendre. Comment est-ce encore possible ? Il me semble que la curiosité ne vient pas de l’objet en lui-même, mais du regard que l’on daigne poser dessus. Et aujourd’hui, j’ai décidé de m'émerveiller de tout, comme des parents devant les premiers dessins de leurs gosses, avec toujours ce même soleil au coin de la page.

M’émerveiller, même de ces graffitis que je regarde pour la millième fois. Sans doute les ais-je plus vus que regardés. Bien sûr, je suis reconnaissant d’avoir d'autres décors à me mettre sous les yeux que des murs grisonnants et des façades vides de sens. Mais ce n’est pas tout. C’est comme si le lettrage, les couleurs et le message sonnaient différemment à chaque fois. Comme si ces tâches d’art brut bazardaient une apparence pour en emprunter une autre, au gré de mes humeurs et de mes envies. Le décor, les objets, les gens, il m’arrive de les voir plus ternes qu’ils ne le seront jamais, et il m’arrive de les voir comme ils sont. Mais parfois, je les regarde avec mon cœur, je les vois ainsi comme ils devraient être pour qu’en les observant, je sois soudain pris d’un sentiment, non, d’un état singulier : le bonheur. À tous ceux qui se disent impuissants, vous changez déjà le monde avec votre regard ! Vous lui imposez votre vision des choses, littéralement. C’est évidemment au prix d’un effort constant, d’un optimisme à glisser la main dans un nid de frelons. Et quelquefois, on a beau creuser profondément, on ne tombe que sur du gris, des pelleteuses entières de gris. Il faudra alors en faire quelque chose, apprendre à modeler cet argile aux formes de notre cœur. Le principal étant de garder un peu de soleil en soi afin d’éclaircir les journées tristes à en crever.

Car elles ont le nombre, faut-il vraiment le rappeler ? Elles, qui ponctuent notre existence, comme ces virgules qui alourdissent la narration et ces points qui viennent clore les joies. Souvent, trop souvent, sans prendre la peine d’annoncer leur arrivée. On peut les anticiper, bien sûr. Elles viennent plus nombreuses quand, l’hiver grisâtre approchant à pas de loups, les côtés soleil se font plus discrets. Quand la nuit, tombant chaque jour un peu plus tôt, chaque instant un peu plus noire, couvre la terre de son corps immense et nous contraint à puiser dans nos dernières réserves de lumière. Elles, ce sont les journées pluvieuses, dont les gouttes algides nous trempent les os et le moral. Ce sont les journées orageuses, qui grondent les innocents comme les coupables, et qui s’élèvent de nulle-part pour déchirer tout sur leur passage. Ne t’en fais pas papa, du climat maman. Tempère grand-mère ! Tempère ta tristesse sans pour autant la cacher, sois fière des larmes qui mouillent tes joues car elles font partie de toi. Aussi certainement que le bonheur se trouve là, à portée de main.

Mais comme si cela ne suffisait pas, même les beaux jours subissent leur lot de microclimats. Des giboulées qui jouent avec nos nerfs. Et quand le temps se montre trop mauvais, trop de fois le même jour, et que l’on ne sait quoi lui opposer, communément on appelle ça une journée de merde. C’est une véritable unité de mesure, vous savez. Très prisée par votre cerveau, et moins explicite qu’on pourrait le penser. Ces journées, on les compte sans vraiment le savoir, sans dire leur nom. Ainsi, les journées de merde s’additionnent, s’accumulent, sans crier gare. Elles finissent par peser sur vous et par vous faire de l’ombre ; vous êtes en colère sans même savoir pourquoi. Si vous en avez quelques unes en trop, si vous avez des doublons, vous pouvez toujours essayer de les refiler à votre voisin. Mais les journées de merde ne se divisent pas, elles se multiplient quand on les partage. Elles se prêtent volontiers, mais tandis qu'elles se propagent, leur empreinte, tenace, reste accrochée à vos failles. Il ira aussi loin qu’on lui permette d’aller, ce virus qui se transmet de proche en proche à la vitesse de nos liaisons synaptiques. Il n’y a pas que les bonnes ondes qui aient de la portée.

Le train quant à lui constitue un joli lieu de propagation. Autour de moi, des homo sapiens en nombre, fidèles à eux mêmes. Ils ont l’air figés comme des graffitis. Parfois sans couleurs, sans émotions, semble-t-il, mais ce n’est qu’une façade. Il leur arrive aussi de tirer la gueule. Essayons de se détacher de ces visages vides qui peuplent nos rames, Impassibles. Essayons d’échapper à l’envie de s’accorder à ces tronches sinistres. Impossible, ils vous appellent de leurs grimaces d’impatience et de frustration. Ils vous tirent vers le bas, eux qui se promettent des hauts pour plus tard. Je me fais violence pour rester imperméable à celle qui se produit autour de moi, mais rien n’y fait. Me voilà pris dans la chaîne, de celles qui nous privent de la liberté d’être heureux. Je suis alors entraîné dans cette cascade de réactions que je peine à maîtriser : je baille en parfait neurone miroir puis, comme les autres, je tais ma matinée dans le silence assourdissant qui m’enserre. Un passager vient finalement m’extirper de cet ascétisme forcé, en laissant perler quelques gouttes d’aigreur sur son front. Je me mets alors à bouillir, à vibrer d’agacement en parfaite synchronie avec lui. Ça y est, Il vient de me transmettre sa journée de merde. Je vous présente le revers de la médaille de l’empathie. Enchanté ; et voilà qu’elles se propagent comme une traînée de poudre.

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