Toubou et le roi

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Leki dort chez sa nourrice. Chez sa mère la place est occupée par Chinaca depuis que Mosi lui a cogné la tête.

Le griot de la petite fille loge à côté, dans la maison « moche ». C'est une situation que Mongo doit arbitrer, mais pour l'instant rien ne se détermine : le roi n'est pas revenu parler d'une décision qu'il aurait prise au sujet de sa femme, ou aux sujets de possibles représailles contre Toubou.
Les gens qui passent chez la sorcière racontent son humeur bien sombre…

Ce matin, Toubou et Vuvu essayent de faire se lever Chinaca.
Elles y parviennent, difficilement. L'épouse du roi, se tient brièvement debout sur ses jambes tremblantes. Alors, contre toute attente, ses yeux cherchent le regard de la vieille femme et des larmes roulent sur ses joues. Puis à nouveau, son regard se perd. mais soudain sa bouche articulent les pires insanités…
Interloquée, la chamane se dit que Mosi a peut-être raison : il se passe des choses qui ne sont pas de ce monde dans la tête de la reine.
Petit à petit, l'Ancêtre retrouve des moyens d'exprimer sa rage. Pour ceux qui la soignent patiemment le changement de la convalescente est manifeste. Elle crie, jure, rue et parfois jette des objets à la tête de n'importe qui, puis s'en suit une longue période calme.

Bien qu'elle soit fatiguée, mais comme les crises de la reine se rapprochent, Toubou décide d'une incursion à la frontière du monde-demi.
Elle place Chinaca au centre de son invocation et absorbe un peu d'ibogaïne.
Ce qu'elle découvre dans les limbes dépassent largement ses inquiétudes. La reine est possédée : sur son visage amaigri se superpose le masque de l'Ancêtre qui avait abjuré la sorcière. Tout devient clair pour Toubou.

Même si la reine est une affreuse personne, ce qu'elle subit actuellement n'est pas une punition, c'est une torture sans fin.

*

Enfin, un matin, le roi se décide à convoquer la sorcière.
Le bâton du tabou est placé devant la case du chef, l'entretien est confidentiel.
« Alors tu as finalement décidé du sort de ta vieille Toubou ?
— Je n'ai rien décidé, j'ai besoin de te parler, mais il fallait, avant cela, que mon envie de te tuer se défasse et que je redevienne un homme raisonnable.
— Tu l'as toujours été, je te respecte pour ça.
— Donc Leki est ma fille. Qui sait cela ?
— Personne en dehors de Badou, Chinaca et l'accoucheuse encore en vie.
— Je n'ai pas revu Kymia depuis le jour où j'ai été blessé. Il hésite un instant. Le jour où Chinaca m'a blessé.
— Je ne sais pas si cela va t'aider, mais Chinaca est possédée par une entité maléfique. Je le sais depuis que j'ai regardé par Iboga. »

Le roi sait qu'un maléfice, même puissant, ne peut se développer que sur un esprit vermoulu. Cela en dit long sur la nature de cette épouse qu'il a tant aimée. Mais il sait aussi que le pire du mal fait ne vient pas d'elle, y compris peut-être son agression. Comme il ignore tout des trahisons charnelles de son épouse, il parvient à se pardonner ses choix, sa naïveté, son amour pour elle. Finalement il lui pardonne, à elle.
« Si tu peux l'aider, je t'en serai reconnaissant.
— Oui je vais l'aider. Mais séparer un corps d'une entité malveillante la tuera probablement. Es-tu prêt à cela ? En ce moment elle vit une horrible torture, à chaque brin de temps qui pousse.
— Si elle meurt en paix, c'est tout ce que je lui souhaite, une guérison ou la mort qui délivre.
— Au sujet de Leki, il faut garder le secret de ta paternité, tous les secrets de naissances qui entourent la Nzoi Nj'ambi amplifient sa renommée, sa puissance ; mais il faudra que tu règles le problème de l'accoucheuse, moi je ne vais plus pouvoir faire grand-chose. J'ai élevé ta fille du mieux que j'ai pu avec l'amour d'une mère. Elle est ma fille bien plus que la tienne pour le moment.
— Oui, je le sais Toubou. Mais tu aurais pu choisir de me faire confiance.
— Tu n'étais pas le même il y a six ans, je pense que Njambi a eu raison de te la prendre.
— C'est un peu facile, Njambi ! TU l'as prise !
— Un peu facile ? Tu as oublié sa condition de nourisson ? Et mon âge et le poids d'un secret et Badou que déjà j'avais en charge et le mensonge auquel lui aussi a consenti ? Un peu facile ?
— ...
— J'ai des projets pour elle et Badou. Parce qu'en échange des soins et de l'amour que j'ai donnés à ta fille, je veux que tu aies les mêmes égards pour mon fils.
— Je ne suis pas le problème, je n'ai rien contre Badou, mais notre communauté ne voit pas les choses comme moi.
— Sauf s'il me remplace comme chaman.
— Il n'a aucune formation !
— Détrompe-toi, il suit mes faits et gestes depuis toujours, il est dans ma pensée intime depuis notre premier contact, il me connaît corps et âme. La sorcellerie ne l'intéresse pas, mais il a plus de talent qu'une mère des cérémonies.
— Alors il faut un voyage Bwiti pour valider son rang ?
— Oui, et quand elle en aura l'âge, Leki le fera aussi. Tu seras le roi le plus puissant du Congo, avec à tes côtés un couple de sorciers à la peau blanche, qui commandent aux abeilles et dont Njambi même, approuve la fonction. »

Le roi rêveur contemple la sorcière :
« Tu as pensé à tout !
— J'ai pensé à sauver mes enfants. Badou, Leki et Mosi ont développé une langue, tu pourras toi aussi la comprendre finement. Le mystère de vos échanges entre toi et le sorcier blanc renforcera encore ton pouvoir. Et enfin, pendant que tu décidais si tu deviendrais ou non un roi juste, j'ai fait venir un griot pour Leki, il mémorise avec elle et pour elle les connaissances que je leur transmets. Si tu veux bien qu'il soit adopté dans le village comme son seul percepteur. Cela servirait tes intérêts et les siens.
— Et les tiens !
— Non Mongo, mon temps est terminé. Il ne sera plus jamais question de moi.
— Je suis tout a fait désolé de l'apprendre.
— En souvenir de moi, j'ai une dernière chose à te demander, prend soin de Vuvu et de ses enfants, ils sont la famille de Leki. »

*

Le Bwiti est décidé pour la pleine lune suivante.
Toubou refuse de se laisser emporter par le chagrin lorsqu'elle annonce son départ à tous ses proches.
« Pourquoi pleurez-vous ? Personne ne peut continuer sa vie au-delà du temps accordé par Njambi et j'ai fort bien occupé le mien pour que croissent le monde des hommes et celui des abeilles. Je deviendrai un Ancêtre puissant, je serai dans chacun de vos pas et je battrai vos derrières chaque fois que vous agirez mal ! Je vous aime tous, je serai tout près dans le monde-demi. Leki ma petite abeille, tu es mon seul regret parce que tu es bien jeune et que tu aurais besoin de ta mama encore quelques années, mais je t'ai trouvé plein d'amour pour habiller ton cœur, et le dernier, Coucoubi est un homme avisé et tendre, tu as remarqué cela Vuvu ? »

Au milieu de ses larmes, la jeune femme rougit violemment et le griot sourit.
Leki comprend que le départ de sa mama est proche et surtout elle réalise qu'il est définitif.

« Viens, mon petit caudis blanc, je vais te verser dans le cœur et dans l'âme tout l'amour que j'ai en moi pour te le donner. Tu auras de grands pouvoirs, tu me verras dans tes rêves et dans le monde-demi. Le roi est mon ami, il veillera sur toi, il me l'a promis. Ton père-frère et Vuvu et tous ses enfants et tes abeilles ma fille, tous t'aiment et veilleront sur toi.
— Oui, je sais tout ça, mais mama c'est toi que j'aime le plus. »

Toutes les douceurs n'y changeront rien, l'absence, pour une petite fille, c'est se sentir nue et seule dans un monde devenu froid et hostile.

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