Mama fait de son mieux

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« Badou, aujourd'hui toi et Mosi vous ne partez pas à la pêche. Je me souviens de ce que tu m'as dit le jour du totolo. Je ne veux pas que tu restes seul au monde sans moi. Ton ami et Leki vont apprendre à parler ta langue et l'enseigneront à d'autres, avec toi. Tu peux dire ce que tu veux en désignant les choses. Mais tu ne peux pas parler de ce qu'on ne voit pas. Les choses cachées dans ton coeur et ton ressenti sur le monde. Tant que je peux te servir de bouche, nous allons inventer un langage tous ensemble.
Pourquoi faut-il que ce soit maintenant mama ?
— Je suis vieille mon fils, il me reste peu de temps. »

Badou ne relève pas mais son coeur s'arrête et repart sur une mer de chagrin.

Parallèlement au travail pour développer la nouvelle langue, Toubou ne laisse plus de temps libre à Leki, elle doit, au plus vite, lui enseigner le plus de ce qu'elle sait, concernant la médecine, la connaissances des âmes et l'usage des plantes. Mais une petite fille de six ans a des capacités limitées.
Il lui faut de l'aide : Leki a un sens de l'observation aiguisé et une bonne mémoire, mais c'est insuffisant, de plus elle ne pourra rien mettre en pratique avant longtemps.
La sorcière recherche pendant une lune entière un griot itinérant. Lorsqu'elle trouve celui qui lui convient, elle le fait inviter au village. Autour d'un repas qu'elle lui offre, usant de menaces et de promesses, elle tente de le convaincre de servir son projet :
« Griot, je loue ta mémoire. J'ai bientôt fini mon temps dans ce monde, les Ancêtres m'appellent. Leki est une enfant bénie de Njambi, mais je ne pourrai pas achever sa formation. Elle aura de grands pouvoirs et son cœur est bon. Si tu nous sers avec talent et sincérité, elle fera de toi un homme influent. »

Le griot est un brave homme, mais il n'aime pas la sorcellerie et puis, aucune femme ni aucune terre n'a jamais pu le retenir. Il se dit que s'il accepte, c'en est fini de sa liberté.
Ils en sont là, aucun des deux ne veut renoncer. Ils s'évaluent en silence, elle pour trouver l'argument qui changerait sa position, lui pour fuir sans subir une terrible malédiction.

Leki les surprend devant la case. Le silence qui règne est suffisamment pesant pour que la petite fille s'en aperçoive. Le griot observe l'enfant. Il ne sait pas ce qui le surprend le plus, sa peau, ses abeilles ou son chapeau. Leki s'adresse à Toubou :
« C'est qui le monsieur ? C'est pourquoi qu'il a des grandes plumes et des bijoux partout ?
— C'est un griot.
— Pourquoi qu'il est pas blanc comme les griots vieux ?
— Quand ils ont finit leur formation et qu'ils sont encore jeunes, certains griots vont d'un village à l'autre et un jour quand ils sont vieux, ils choisissent un endroit où s'installer.
— I'va s'installer ici ? Il est assez vieux ?
— Demande-lui…
— Tu vas t'installer ici ?
— Non, il n'y a pas de place pour moi ici…
— Si ! Y a la case vide à côté de la case à Vuvu. Personne la veut parce qu'elle est moche.
— Tu veux que je vive dans une case moche ?
— Mama, tu veux qu'il vive ici ?
— Je voudrais vraiment qu'il reste ici, parce que tu as besoin de lui.
— Ah ? C'est pourquoi que j'ai besoin de lui ?
— Il pourrait être la mémoire de Toubou et devenir ton professeur quand je partirai.
— C'est où que tu vas partir ? Moi, je vais partir avec toi !
— Oui, sans doute, mais il faudra que tu sois une vieille femme pour me rejoindre. Je t'attendrai.
— C'est pas grave, si tu veux pas rester, griot, on trouvera une autre mémoire. Comme ça mama elle reste avec moi, hein mama ? Tu vas aller où griot ?
— Dans le village d'à côté…
— Oh, ils sont pas gentils là-bas ! Ils ont tapé Badou. Moi j'ai fait un babizi qui soigne à Badou et après il avait plus mal.
— Oh si tu sais faire des babizi qui soignent, je resterai peut-être…
— Montre où tu as mal. »

Le visage concentré et très sérieux de Leki amuse le griot qui décide de jouer son jeu. Il lui montre le petit doigt tordu de sa main droite. La petite fille s'incline avec toute la grâce de son enfance. Son chapeau masque son geste, mais le griot sent la fraîcheur du baiser de l'enfant sur son doigt qu'elle frotte ensuite avec vigueur.

Elle se redresse et lui demande :
« T'as mal encore ?
— Presque plus !
— Alors tu vas rester ! Ses yeux se remplissent de larmes. Et mama va partir.»

Toubou la caresse, personne ne peut rien contre l'ordre des choses.
Le griot fait une grimace d'hésitation, cette petite fille étrange a touché son coeur.
Il regarde Toubou qui sourit gentiment.
« Peut-être… on pourrait essayer... un peu. Si tu me fais chaque jour un babizi… Pourquoi pas. Il jette un coup d'oeil à la sorcière. Je n'aimerais pas que tu sois seule. »

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