La paix des abeilles

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Sur une pseudo plaine, un champs de bataille est délimité par la forêt d'où les combattants sont sortis et se prolonge devant eux vers les cultures de leur cible.
Leki continue à courir, Vuvu s'affole, elle ignore complètement les intentions de la petite qui se précipite vers les guerriers en ligne à dix pas les uns des autres.

Leki crie de toutes ses forces, trois guerriers à portée d'oreilles se retournent dans un sursaut ! La vision qu'ils saisissent échappe momentanément à leur compréhension. Une armée d'abeilles autour de la fille blanche se déplace vers eux à toute vitesse. Leki demande, toujours criant :
« OU EST YEMBE ?
— LEKI ? les Ndaywel t'ont relâchée ? L'homme le plus proche répond surpris,
— C'est pas eux, c'est pas eux, c'est Tissina, c'est pour ça que je veux voir Yembé ! C'est dangereux la guerre, des gens peuvent mourir ! Il faut pas faire la guerre !»

Le guerrier hésite un instant, se redresse et désigne la ligne vers le soleil.
Il s'est arrêté d'avancer. Il ne cherche même plus à se dissimuler derrière la végétation. Les abeilles sont de toute façon beaucoup trop voyantes !
Leki poursuit sa course vers la rangée menée par Yembé et répète ce qu'elle vient de dire. Sur son chemin les guerriers se relèvent et constatent que tous les autres avant eux sont debout ! Autant dire que l'effet de surprise ne jouera pas.

Yembé réalise soudain qu'il se passe des choses anormales et vocifère contre ses guerriers, contre Leki mais entraîne la charge sur le village que tous peuvent désormais entrapercevoir.

Leki ressent une panique qui la pousse à courir le plus vite possible.
Seule, la pointe de la charge guerrière suit le chef, la moitié des hommes, restés en arrière, sont bras ballants incapables de prendre une décision.
Les abeilles, elles n'hésitent pas, elles s'égayent au milieu des Hommes qui tentent de les chasser au moyen de larges moulinets. La ligne se brise, les guerriers aux prises avec les avettes commencent à ressentir la brûlure de leur venin !
Les abeilles servent leur reine humaine de leur mieux en piquant ces hommes aux membres agités.

Aux cris du clan répondent tout à coup d'autres cris, le village d'en face prend part à la charge.

*

Mosi hésite un instant, laisser ses frères tout seuls, le dernier est bien jeune mais le cadet à quatorze ans ; suivre sa mère, non elle est trop loin déjà. Et puis Toubou sait certainement ce qu'elle fait, il va observer le plan initial, si elle devait cha…
Par la porte ! Chinaca ! Cette femme que Mosi aperçoit a une étrange attitude, elle marche un rien courbée, un rien bancale, la tête tendue en avant légèrement décalée par rapport à sa colonne vertébrale comme si elle se tendait vers quelque chose avec circonspection. Son expression est tout à fait inquiétante, hantée et ses yeux sont révulsés. Elle se dirige vers la case de Toubou.
Il chuchote au grand de garder les petits, de ne faire aucun bruit et de rester là. Mosi se glisse dans la peau d'une ombre pour suivre la femme du chef.

*

L'Ancêtre assiste en temps réél à la charge des villageois Ndaywel. Il s'est glissé derrière la vue d'un esprit faible, l'homme vide. Un guerrier très adroit à la sarbacane mais dont l'intelligence est celle d'un enfant, sans doute une malédiction…

L'homme-enfant est à côté de Yembé, celui-ci préfère le garder sous les yeux. Soudain la charge s'arrête, l'Ancêtre n'entend rien, mais lit dans l'esprit de l'idiot.
« Des abeilles, plein, toutes les abeilles de la Terre ! Le démon blanc, qu'est-ce qu'elle vient faire ? Il faut qu'elle se taise ! On a dit, pas de bruit ! On a dit, il faut pas qu'on entende les hommes !
Vois comme Yembé est furieux...
Yembé est furieux !
Avance
J'avance, j'obéis au chef… Les abeilles ! Elles attaquent !
C'est le démon, elle veut vous perdre !
Elle veut que les Ndaywel gagnent la guerre, elle veut qu'on meure.
Tu dois défendre les tiens !
Attends sale démon blanc ! »

L'homme-enfant charge sa sarbacane d'un dard enduit de poison, mais la course des villageois se fait entendre et détourne son attention, son pas, dans la rotation subite de son corps rencontre un obstacle invisible.

*


Depuis le milulu du Totolo, Zamba garde l'œil ouvert, et surveille tous les liens des probables concernant la vie de la petite Nzoi Njambi.
Il pousse l'idiot d'une intention ferme pour l'empêcher d'agir. Dans son esprit, il remarque le Malveillant, celui qu'une fois déjà, il a chassé du monde-demi des Ancêtres. Il souffle sa volonté sur ce plan astral. L'entité se retrouve expulsée.

*

Sous les yeux, de Mosi, Chinaca trébuche, il l'entend jurer dans un langage ordurier inhabituel dans son village.

La femme se relève, Mosi, inspiré, se recule silencieusement derrière un arbre.
Chinaca lance un regard circulaire autour d'elle, il ne faudrait pas qu'on la voie.
Sa posture a retrouvé sa grâce naturelle, son pas plus rapide et assuré.

Elle se presse vers la case de la sorcière.

Devant la haie en bambou de la vieille femme, il n'y a personne. Ce peut-il qu'enfin l'Ancêtre ait de la chance… Il s'avance prudemment vers le seuil. Tire un tube en bambou de son pagne et l'arme avec des gestes précis, Toubou ou Mongo, peu importe la mort de l'un ou l'autre, la partie finira dans un chaos réjouissant.
En réfléchissant, il se dit qu'ill préférerait tout de même tuer la sorcière, après tout, Chinaca aussi a pu le contaminer de sa volonté. Ce constat improbable l'amuse. Il ricane en dirigeant sa pensée sur la pauvre âme recroquevillée dans sa prison.

Un pas dans la cour, un pas sur le côté pour sortir de l'angle de vue de la case, trois pas chassés vers l'entrée, la sarbacane en main. Toubou, penchée sur le corps de Mongo, ne voit rien. Badou semble chercher quelque chose en prenant en main différentes bottes de simples. L'Ancêtre porte l'arme à ses lèvres, une douleur fulgurante déchire son crâne. L'Ancêtre reste conscient mais le corps se dérobe, lâché par le cerveau tuméfié.

Toubou, Badou et Mosi contemplent la femme de Mongo inconsciente, étendue à leurs pieds.

*

Sur le champ de bataille, le chaos règne.
Les Ndaywel se sont approchés, mais pas assez pour que la force de leurs souffles plante les dards-poison dans la chair de leurs agresseurs. Ils voient les clans de Mongo s'agiter dans tous les sens, des essaims d'abeilles en quantité tout à fait incroyable volent furieusement au-dessus et dans la mêlée. D'un camp ou de l'autre, quelques javelots s'envolent. Les protagonistes sont encore trop loin : chacun peut anticiper l'arc du lancer et l'éviter.
Lorsque les Ndaywel reprennent leur avance, ils se trouvent à leur tour assaillis par les insectes déchaînés.
En retrait, Vuvu a rejoint Leki et la retient contre elle. La fillette essaye de diriger ses troupes. Elle les encourage à effrayer les guerriers mais voudrait qu'aucune ne se sacrifie.
Les abeilles servent le grand Dieu, les vœux de la reine debout sont secondaires.
Concrètement, peu de temps s'écoule dans ce face à face entre les hommes. Ils renoncent en même temps, les uns vers la forêt, les autres vers les cultures.
Les abeilles ne les suivent pas, elles occupent un front entre eux, visiblement prêtes à en découdre encore.
« Tu vois Vuvu, j'ai raison, les abeilles veulent pas la guerre, parce que je veux pas la guerre ! Il faut que tu me lâches, je dois encore faire quelque chose, j'entends une voix dans ma tête !
— Non tu ne fais rien du tout sans moi !
— Alors on y va ! »

Main dans la main, elles se mettent en route vers la ligne des avettes. Leur clan, qui les avait oubliées, les suit des yeux !

En passant à quelques pas de Yembé, Leki s'arrête et dit à Vuvu de l'appeler :
« il doit venir ; la voix dans ma tête l'ordonne. »

Yembé refuse tout net.
De la nuée d'insectes, un détachement se dirige vers eux, vers lui !
Vuvu vengeresse, ne peut s'empêcher de trouver la situation comique. Et c'est en riant qu'elle lui conseille d'obtempérer et de laisser ses armes.

Yembé, escorté par les insectes, précède la femme et la fillette. Ils progressent vers le centre du champ de bataille. Voyant ce qu'il se passe, le chef des Ndaywel, fait la même chose, cela commence à ressembler à un pourparler.
Il essaye néanmoins d'être à portée de voix, mais pas à portée des piqûres. Il n'a pas le choix, à son tour une délégation volante l'encadre. Il s'approche, méfiant et furieux.

Les deux hommes ne disent rien. Leki ouvre l'échange :
« Pendant la guerre des hommes meurent, les enfants et les femmes ont peur ! Yembé croit que vous avez attaqué Mongo et que vous m'avez enlevée. »

Arrogant le meneur des Ndaywel ne regarde pas l'enfant étrange, le démon au chapeau ridicule, mais il grince :
« Depuis quand les petits démons parlent-ils au nom de Mongo ?
— Depuis que Njambi dirige les combattants sur les ennemis !
— Personne n'a été agressé par mon ordre et si quelqu'un a attaqué votre roi c'est en suivant son propre dessein !
— Tu as peur ! Tu parles mais tes mots ont une odeur de mensonges ! »

Yembé devient très agressif, il se rend compte que son ambition l'a mis dans une situation difficile. Il se défend avec les preuves mensongères qui lui ont permis de déclencher la guerre.
« J'ai trouvé les tresses de Caudis et de pierres noires dans la case du mongozi ! J'ai trouvé votre raphia puant dans la case du démon blanc que vous avez enlevé ! »

Vuvu ouvre la bouche :
« C'est Tissina qui a enl…
— Tais-toi ! Impure ! Leki voit rouge,
— Tu cries pas ou les abeilles te piquent ! Et Vuvu, elle sait ! Elle a droit de dire ! »

Le chef Ndaywel sourit, goguenard : l'affront décrédibilise totalement Yembé… Vuvu reprend férocement.
« Tu es un menteur Yembé ! Tu voulais la gloire et la place de Mongo. Peut-être même est-ce toi qui l'a blessé ! Leki a été enlevée par Tissina ! Et toi tu as trouvé « des preuves » ! Menteur ! C'est à la Nzoi Njambi qu'on doit l'incroyable chance que personne ne soit mort et tu vas payer ton ambition, tu peux me croire ! Sans le regarder directement, Vuvu s'adresse au chef des Ndaywel. Mongo ira bientôt mieux, ses conseillers et les griots sauront ce qu'il convient de faire de ce traître et de la compensation que vous attendez sans doute... Si vous faites confiance à la bonne foi des innocents. Je vous le dis, la Nzoi Njambi entend des voix, commande aux abeilles et vient de nous sauver d'une guerre. Peut-être pouvez-vous reculer vos intentions. »

Sans la regarder, le guerrier Ndaywel acquiesce et dit à Yembé :
« J'accepte la proposition, fourbe, traître des tiens ! Dis à Mongo que nous nous verrons ici au jour qui suit la prochaine lune. »

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