Temps de guerre

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Sous l'arbre à palabres les esprits s'échauffent. Yembé mène la harangue :

« Nous ne pouvons laisser impunis les guerriers de Ndaywel ! Ce sont des actes de guerre ! Ils veulent nos femmes, nos richesses, nos terres, nos ruches, notre bétail ! Ils n'auront rien que leur sang pour abreuver la terre ! ILS N'AURONT RIEN ! Et cent voix reprennent,
— ILS N'AURONT RIEN !
— Ils connaîtront la colère des clans du roi Mongo ! Ils connaîtront la colère de Yembé ! Ils connaîtront la colère de tous ses guerriers. Dix d'entre-vous garderont le village ! Tous les guerriers adoptés par le monkozi vont faire leurs preuves, vous attaquerez vos frères et vos sœurs, vos mères et vos pères ! Celui qui ne se sent pas prêt peut renoncer au monde des guerriers et cultiver les champs avec les femmes ! »

Trois guerriers reculent sous les huées et les coups donnés par tradition. Yembé ne fait pas de commentaires : pas de traîtres dans les rangs.
« Armez-vous ! Revêtez les couleurs de la guerre, demain nous fêterons la victoire ! Que les femmes préparent un festin ! »

Les hommes se dispersent rapidement, pressés d'en découdre.
Toubou se mord les lèvres. Mongo s'il reprenait connaissance, pourrait entraver ce qui semble implacable. Peut-être même dénoncer son agresseur et ses complices ! Toubou n'en doute pas, Chinaca est impliquée et Yembé est trop pressé de déclencher cette guerre.
Elle trotte vers sa case où le roi a été déplacé. Elle espère avec angoisse que Badou à des nouvelles. Yembé l'apostrophe de loin.
« Nous avons besoin de tous les guerriers, il faut que Mosi s'en vienne. Je ne veux pas de Badou, il est trop facile à repérer.
— Je ne sais pas si c'est possible, ils sont partis en forêt très tôt, je ne saurais pas les prévenir s'ils ne rentre pas !
— Envoie un guerrier s'il y a le moindre changement pour Mongo ! »

La sorcière acquiesce et se dit qu'il peut toujours y compter, ça n'arrivera pas !
À quelques pas de chez elle, le chien court dans sa direction. Les garçons sont rentrés !
Son soulagement est intense quand elle voit la mine chafouine de Leki. Vuvu et Badou l'accompagnent.
« Tu es là mon caudis blanc ! J'ai eu si peur !
— C'est Tissina qui m'a emmenée dans la forêt, le couguar l'a tué et c'est mon ami, comme les abeilles. Il a mangé un bout de Tissina mais il m'a rien fait. Et puis Badou est venu et mon ami est parti et puis Badou m'a portée sur son dos parce que je suis fatiguée. Et je ne sais pas pourquoi vous avez pas empêché Tissina de m'enlever, il a serré mon cou, il me faisait mal ! Leki pleure.
— Oh ! Ma petite abeille, je n'ai ni vu, ni entendu quand Tissina t'a enlevée. Badou et moi nous nous sommes réveillés très tard ! On nous a donné une drogue qui fait dormir. Tu comprends ? Ce n'était pas possible que nous t'aidions… Oh, je suis désolée que l'on t'aie fait du mal… »

La chamane jette un coup d'oeil à son fils, il serre les dents ! Le récit de Leki lui vrille les nerfs.
Badou pose la main sur son bras.
« Qu'est-ce qu'il se passe, pourquoi Mongo est ici, blessé. Pourquoi n'y a-t-il personne près de lui ? Les guerriers ont posé la couche à l'intérieur et l'ont laissé à la garde de Vuvu, ce n'est pas la façon !
— Quelqu'un a blessé le roi. Yembé prétend que ce sont les Ndaywel, nous savons que Leki n'a pas eu affaire à eux !
— MAIS IL M'A MONTRÉ LE RAPHIA D'UN DE LEUR PAGNE !
— Il t'a montré une preuve pour justifier sa guerre ! Il essaye de prendre la place du roi ! »

Mosi se montre dans la trouée de la clôture avec ses trois frères. Toubou réfléchit rapidement :
« Mosi, BadoU? pas un mot au sujet de ce matin et, Mosi, personne ne doit te voir, Yembé lance une guerre stupide sur les Ndaywel. Reste au loin, c'est une guerre sans gloire, crois-moi ! Tu ne te déshonoreras pas en gardant Mongo, cherche tes armes ! Vuvu et les enfants vous rentrez vous emmenez Leki et Le Chien, on doit tous devenir aussi invisibles qu'un Ancêtre. »

Tout le monde se met en ordre de marche. Mais la fillette traîne les pieds.
« Mama, c'est quoi la guerre ? et c'est quoi les Ndaywel ?
— Je n'ai pas le temps de t'expliquer en détail, je réponds et tu pars avec Vuvu. La guerre c'est une chose triste et douloureuse, une bataille entre de nombreuses personnes quand ils sont en désaccord et se fâchent ! Yembé veut la guerre, tous les guerriers du Roi Mongo, contre tous les guerriers de Ndaywel. Ils les accusent d'avoir fait du mal au roi et à toi ! Et maintenant file. »

*

Dans les bois, dans les champs, un ruban d'hommes se déplace en une seule ligne frontale. Yembé a donné l'instruction de tuer qui se trouve sur le chemin vers le village Ndaywel afin que l'alerte ne soit pas donnée.
Dans leurs sombres desseins, les hommes ont revêtu leur apparat de guerre et les marques de protections transmises par les anciens. Ils ont renoncé aux coiffes de plumes, il faut qu'ils soient invisibles jusqu'au dernier moment.

*

« Mais Vuvu, c'est quoi la guerre ? les Ndaywel, ils ont fait du mal à Mongo ? Parce qu'ils m'ont rien fait à moi ! »

La petite fille trotte derrière sa nourrice. La guerre semble quelque chose d'éminemment dangereu, les adultes en ont le visage fermé. Et tout le monde se précipite pour faire des choses qu'elle ne comprend pas.
Mongo dans la case de Toubou, saigne de sa tête, il est comme la chamane pendant le totolo.
Vuvu tente de la rassurer.
« C'est une grosse dispute, comme quand les garçons se tapent en criant ! Mais ils vont s'expliquer et Yembé verra qu'il s'est trompé. Ça s'arrêtera vite et tout redeviendra comme avant.
— Alors pourquoi t'as peur ? Et Mama ?
— Parce que quand même, c'est dangereux, il y a des gens qui peuvent mourir pendant la guerre.
— Ben alors, rien reviendra comme avant.
— Oui, c'est vrai, tu as raison, mais on ne peut rien raire, il faudra nous cacher et attendre. Ce sont les décisions des hommes et je préférerais te dire que tout ira bien.
— Et les Ndaywel, eux aussi, ils veulent faire la guerre ?
— Je ne sais pas, mais si nos guerriers attaquent, eux aussi vont se battre.
— On ne peut rien faire... »

Leki, ce disant, a un petit ton rêveur. Elle se souvient d'une dispute particulièrement violente entre les deux plus jeunes fils de Vuvu. Elle se souvient combien elle en avait été affectée, au point que ses abeilles avaient décidé que les garçons étaient une menace. Il s'en était fallu de peu pour que les garçons se fassent piquer… Mais ils s'étaient séparés : tout le monde craint les abeilles.
Sans la prévenir, l'enfant retire sa main de celle de sa nourrice et fonce, aussi vite qu'un couguar, vers la rivière.
« Moi je sais que je peux faire, je vais faire !
— Non ! Non ! Leki revient ! Vuvu court sur ses talons suivie par le chien ! Les garçons à la case ! Et quand Mosi sera reparti, personne ne sort plus jusqu'à mon retour ! »

Leki est véloce, jeune, entraînée. Vuvu la suit tant bien que mal, le chien est à la hauteur de Leki, il s'imagine qu'elle joue.
« Les ruches ! » pense Vuvu.

Les abeilles gardiennes ont pris de l'avance, déjà les ruches sont toutes en effervescence. Elles dessinent un nuage très impressionnant, la nourrice ferme la bouche. Une partie de la nuée se concentre sur la fillette, la recouvre et laisse sa place à la nuée suivante.
La femme ne peut rien faire, elle n'ose pas trop approcher. Elle décide de surveiller le mouvement : il se passe quelque chose qu'elle ne peut pas expliquer.

Le chien est légèrement en retrait, assis langue pendante.

Soudain comme si elles prenaient la même décision toutes ensemble, à la même seconde, les abeilles forment une ombre dense et mouvante. Elles précèdent leur reine, l'aimée de Njambi.
En passant Leki ne regarde pas Vuvu, son visage d'enfant a vieilli d'un savoir ancien, surnaturel.
Son regard a mille ans. Elle engage la course pour suivre les abeilles.
Vuvu se fait une raison et la suit, le chien sur ses talons.

Les avettes cherchent la trace des Hommes. Elles sont en mission. Le chemin qu'elles empruntent est suffisamment long pour que les coureurs ralentissent la course.
Les insectes procèdent comme elles ont l'habitude, elles explorent le terrain en rayonnant d'un centre que Leki matérialise.

Les Hommes !

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