Le serpent

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Le lendemain, tôt, Mongo prend discrètement le chemin de la case de Toubou.
Il est heureux que Chinaca soit sortie de son apathie, mais ce qu'il ressent à son égard a évolué, d'un amour dévorant, vers une tendresse indulgente, le voila mal à l'aise en sa présence. Son épouse a changé et elle le change. Il n'aime pas l'homme qu'il devient.
La veille, il a refusé fermement ses avances. Il ne veut plus jamais revivre la nuit qu'il a passée avec elle, il s'était métamorphosé en animal, privé de son être pensant, soumis à des pulsions indignes d'un homme.

Il passe la palissade de bambou et n'entend pas les signes d'une activité autour de la case de Toubou.
Il décide de s'asseoir et d'attendre. Il a besoin de cette solitude pour réfléchir un peu. Sa colère est tombée. Si la sorcière a pris de tels risques c'est qu'elle avait un impératif, il ne se sent pas obligé de tout contrôler, c'est une mystique, pas lui, elle sait mieux sans doute. Mais vis-à-vis de ses sujets, il doit toujours être celui qui décide. Elle ne s'appartient pas, la chamane appartient au village.

Le gris levant fait place à la lumière. Doucement le soleil parait. À l'abri des regards, Mongo savoure la paix que sa fonction lui refuse souvent. Il entend des mouvements dans la case.
Badou sort, depuis longtemps il aurait dû rejoindre la case de célibataires, avec Mosi, pas question ! Pas question de vivre auprés de ces exités méprisants, maltraitants, souvent méchants.
En voyant Mongo, le garçon se tasse, il s'apprête à retourner sur ses pas. Mongo le retient.

« Viens ici Badou ! Je ne sais pas trop quoi penser de toi. La coutume désigne les êtres blancs comme des démons. Mais quand un éléphant est blanc, on l'admire, on le respecte, quand c'est toi, on te craint, on te maudit. »

Des larmes montent aux yeux du garçon.
« Est-il vrai mon garçon qu'une ébembé a volé ta semence ? «

Badou baisse le nez, Mongo ne sait pas ce qu'il doit en conclure. Il fait un geste de la main. Badou s'éloigne pour procéder à ses ablutions matinales. Le roi le suit pensivement des yeux.
Mais il a passé trop de temps à rêvasser, il interpelle les habitantes de la case. Leki sort comme un molimo d'un champ de maïs :
« Ho ! C'est le roi, mama ! Pourquoi t'es là ? »

Leki ne porte pas encore son chapeau, Mongo ne se rappelle pas avoir vu l'enfant sans lui. Son crâne blanc, sans cheveux, posé sur son corps de fillette, lui donne l'air d'une statue gracieuse. Ses yeux noisette sont des taches d'ombre et de lumière. Ils ressemblent à des pierres dorées miroitant au bord d'une mer qu'il n'a jamais vue, comme ceux de sa mère. Ils éclairent son visage. Elle a des traits qui lui sont familiers. Il ressent une étonnante tendresse pour elle à laquelle, néanmoins, il ne peut guère s'ouvrir.
Une abeille vole, indolente, vers l'enfant, bientôt suivie par une dizaine de ses sœurs. Elles ont salué leur trésor, elles vont coloniser le roi.
La petite fille sourit :
« C'est gentil les abeilles, hein ? Pourquoi t'es là ?
— Petite curieuse ! Les petites filles n'ont pas à demander pourquoi, leur roi ou les adultes font ou ne font pas les choses. »

Contrite et vexée, Leki plisse le nez. Le roi sourit.
« Je veux parler à Toubou, elle se sent assez bien pour sortir ou je dois entrer dis-moi ?
— MAMAAAA ... Tu viens ? Je vais faire pipiiiii.
— Oui, attends-moi je t'accompagne. »

En sortant Toubou passe devant le moto dont elle évalue l'humeur d'un coup d’œil.
« Tu nous attends une minute, il y a des obligations qui ne peuvent être différées. »

Sauf Badou, qui n'est pas revenu, ils se sont posés sur des nattes, autour du feu que le roi a allumé. Ça lui fait du bien de se conduire comme un homme, sans le protocole. Il est fatigué d'être roi, un fils lui manque vraiment. Son hôtesse lui propose de partager la collation du matin. Des fruits, de la purée de maïs, une infusion.
« Je veux savoir, Toubou, pourquoi tu as pris seule le risque du Totolo ? Et puis te faire le reproche de ne pas avoir demandé la permission, ça fragilise ma position, tu dois le comprendre. Tu sais les hommes n'ont pas de respect pour leurs femelles, elles sont des ventres, des cuisinières, des amantes, l'une ou l'autre, souvent, ça ne compte pas ; selon l'adage, si on peut se supporter, faisons des enfants. Il se trouve que tu m'es importante, pour tes talents évidemment mais pour toi-même, et je te fais confiance, tu ne m'as jamais menti ! Et puis je m'adoucis avec l'âge. »

De gêne et d'émotion, la peau de Toubou fonce brutalement.
« Ce que tu dis est précieux mais je suis obligée de te confier que j'ai parfois menti, pour les intérêts de Njambi…
— Tu as menti pour elle ? »

il désigne la petite du menton. Leki le regarde avec sérieux, sa bouche est barbouillée de purée de maïs. Toubou la chasse :
« Bon, petite tamanoir, tu as fini ! Va te laver à la rivière ! Et ne traîne pas ! Emmène le chien !
— LE CHIEN ? LE CHIEN ! Ha ! Tu es là ! Non ! Ah ! Pouah, me lèche pas ! Viens, on va jouer à la rivière !
— Se laver Leki ! Se laver, ne traîne pas !
— Oui aussi se laver ! »

Leki récupère son chapeau qu'elle attache habilement et tourne les talons en sautillant, puis à cloche-pied, puis en courant… Une enfant gonflée d'énergie.

« J'ai menti au sujet de l'enfant. Mongo, je ne suis pas prête, encore, à te dire la vérité, trop de questions sont sans réponse… Bien sûr tu pourrais me forcer, mais tu dis que tu me fais confiance, alors il faut que tu acceptes le délai. Un jour, quand le danger sera passé, je te promets que je te dirai la vérité. »

Le visage du roi se ferme. Il n'apprécie pas la confidence.
« Je ne suis pas venu te voir que pour te réprimander, je voulais te parler de Chinaca. Son comportement m'inquiète Toubou, elle a changé. »

Mongo raconte tout ce qu'il peut raconter.
Intuitivement Toubou comprend que l'Ancêtre et Chinaca se sont liés. Le serpent a frappé, il recommencera. Leki n'est pas tirée d'affaire. Toubou congédie le roi avec tact, leur fille ne doit plus jamais rester seule.

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