S'acharner

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Ne fais pas de bruit… Leki ! Laisse la dormir ! Va rejoindre ton frère ! »

*

« Bois, doucement. Ça va aller Toubou, repose-toi. »

*

La très vieille mère, mal à l'aise, se tord les mains. Le roi la regarde sévèrement.
« Et si elle était morte, hein ? Il n'y a pas une mère qui ait plus que le petit doigt de ses connaissances ! Est-ce que tu es sûre qu'elle est tirée d'affaire ?
— Oui Moto.
— Es-tu en mesure d'aider Chinaca ?
— Il faut que je la vois, peut-être…
— Je crois que ça relève de la sorcellerie, pas des simples. Elle est prostrée depuis deux jours. Elle ne s'est pas lavée, n'a pas mangé et fait sous elle, je crois qu'elle a perdu la raison.
— La sorcellerie, je ne peux rien faire, mais avec les mères nous pouvons prendre soin de son corps, ou tes épouses ?
— Non. J'ai menacé pourtant, mais elles ont encore plus peur d'elle que de moi, elles refusent de s'en occuper.
— Toubou a survécu au milulu, malgré son âge, c'est que Njambi estime qu'elle a autre chose à faire. Je vais chercher ma médecine et veiller sur ton épouse. Demande que les mères me rejoignent. »

Mongo jette un coup d'oeil où Chinaca est allongée. Elle n'a plus rien de la panthère malicieuse et splendide qu'il a épousée. Elle n'a même rien à voir avec le fauve qui s'est offert à lui corps et âme il y a quelques jours de ça. Tout le monde change, lui-même se sent vieux.
Il quitte la case en même temps que la très vieille mère.

L'Ancêtre les regarde partir. Il ne décolère pas. Même la torture qu'il inflige à son hôte en l'obligeant au silence et à l'immobilité ne le soulage pas. Il voudrait hurler et arracher la tête à tous ces pathétiques grouillants.
Le molimo l'a humilié. La vieille sorcière est prête à tout. Il était trop sûr de lui. À présent il sait qu'il ne peut pas dévorer le monde, que son ambition est démesurée, maladive. Mais il est certain de vouloir détruire l'abeille de Njambi. Il a trouvé comment faire mal à celui qui décide de tout, il ne s'en privera pas !
Il ne sert personne, mais surtout pas lui et il sert d'alternative au monde de Njambi, l'Ancêtre décide de croire à cela. Il décide que sa pause colérique peut prendre fin.

Quand la très vieille mère revient, Chinaca la chasse mais garde les plus jeunes pour nettoyer les reliefs peu ragoutants de ces deux jours d'amertume.

*

Il a fallu à Toubou le même temps pour que son organisme se débarrasse du Totolo.
Quand elle ouvre les yeux, Vuvu lui prend la main.
« Comment te sens-tu ?
— Comme je suis : très, très vieille. Je vous ai entendus, je suis heureuse de savoir que Leki est tirée d'affaire.
— Le roi Mongo est venu hier, il paraît que Chinaca va mal. Toubou hausse les épaules. C'est comme ça qu'il a appris pour le Totolo, il n'était pas content.
— Évidemment qu'il n'était pas content : je me suis passée de son autorité.
— Pas seulement Toubou, il avait vraiment l'air inquiet.
— Alors il pardonnera.
— Toubou ? Que s'est-il passé sur la terre des molimo ?
— J'ai rencontré Zamba, il m'a aidée à contenir la menace ça m'a permis de chasser l'ébembé.
— Alors Leki est hors de danger ?
— Je ne sais pas. L'Ancêtre qui m'a quittée, veut vraiment la tuer. Pour le mom… LEKI, ma petite abeille, comme tu as grandi depuis deux jours ! «

La fillette rit de plaisir et de soulagement. Elle désigne d'un geste, sur la planche de soin, toutes les petites bottes de simples qu'elle a confectionnées.
« Je savais que tu te réveillerais quand j'aurais fini ! Je t'ai vue mama, dans un rêve. Je t'ai vue chasser l'ébembé de mon ventre. J'avais peur dans mon rêve… BADOU ! BADOU ! MAMA EST RÉVEILLÉE ! »
Badou entre dans la case les larmes aux yeux, il s'agenouille et prend la main de Toubou..
« Quand tu seras morte, je serai condamné au silence... »

Toubou n'y avait jamais pensé. Elle peut sans doute remédier à cela.

*

Tissina n'a pas vu Chinaca depuis trois jours. Les pulsions de son bâton entravent sa pensée. Il surveille la case de Mongo depuis le matin. Lorsqu'il voit les mères enfin se retirer, il passe par la porte de discrétion. Soulagé de trouver Chinaca seule, il se jette sur elle.
« Je vais à la rivière me laver Tissina, rejoins-moi. »

Tissina est dans un état proche du rut d'un éléphant. Il se jette sur la jeune femme la tète partout comme un chiot. L'Ancêtre le laisse faire un moment et quand le guerrier s'apprête à assouvir sa faim, il se dérobe. Finalement l'homme pourrait bien servir à quelque chose. Frustré, Tissina s'insurge.
« Mais qu'est-ce que tu fais ? »

Les mains de Chinaca attrape le visage de l'etumba. L'Ancêtre ouvre la porte des mondes-demi et ainsi, accède à l'esprit de son amant.
« Le démon blanc… Tissssina… Le démon blanc nous tuera tous si tu ne t'en occupes pas, elle a cinq cycles, presque sssix et elle est déjà puissante comme un molimo… Tue-la Tissina, il le faut. »

Un homme dont le désir obscurcit le jugement est très sensible à la suggestion. Et pour l'ancrer davantage, pendant que l'Ancêtre le pousse à pénétrer Chinaca, il continue à l'hypnotiser de sa litanie « Tuer l'ébembé Leki, la tuer... »

Après leurs ébats, Tissina n'est plus tout à fait le même. D'une obsession à l'autre, il est prêt à s'occuper de la menace répugnante. C'est vrai qu'elle est dangereuse cette Leki, cachée dans le corps d'une enfant, elle a charmé Mongo, elle tient sous ses griffes le démon blanc, Toubou et la famille de Vuvu.

Yembé ! Yembé pourrait l'aider, il est terriblement contrarié de n'avoir pas pu posséder Vuvu. Ils ne sont pas vraiment amis, mais Tissina peut lancer quelques appâts. À cause de la sorcière, l'affaire doit se régler autrement que pour la vieille accoucheuse. L'Ancêtre l'encourage en pensée « Tu es intelligent Tissina et un amant vigoureux. Tu prends une décision courageuse. Tu vas sauver ton village. »
Il referme la porte dans l'esprit de Chinaca, elle l'entend ricaner.
« Occupe-toi de la petite Nzoi, je vais m'occuper des autres, tous ces grouillants m'impatientent. Je ne vais pas rester beaucoup plus longtemps avec les tiens Chinaca, je les trouve tellement vains, mous, peureux, serviles. Que sont devenus vos guerriers ? Où sont vos guerres ? Une guerre, cela pourrait me réjouir… Je ne peux peut-être pas te détruire Njambi, mais je peux te contrarier et ça me contentera, à défaut... »

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