En attendant que leur mère revienne, ses enfants alimentent les braises pour que la cuisson du ragoût reprenne. Badou prend en charge la confection d'une galette de manioc. C'est Vuvu qui concasse les racines mais c'est un travail long et pénible, si on est seul. Alors souvent, la pêche de Badou sert de troc, notamment pour obtenir le manioc ou la grossière farine de maïs.
Au pied du foyer de braises, dans un grand plat de terre cuite, la famille de Toubou prend son repas. Les doigts de leur main droite, agiles, pressent la bouillie pour en faire une boulette qu'ils portent à leur bouche. Lorsqu'ils ont terminé, Badou invite la chamane à une conversation silencieuse pour lui relater la matinée et les incidents qui l'ont ponctuées.
Comme son fils, la sorcière s'inquiète plus de la réaction des abeilles que du projectile lancé. Mais elle ne doute pas que les deux évènements soient liés et qu'il s'agissent de sorcellerie. L'auscultation et les soins par les plantes seront insuffisants.

Bien qu'elle désire ne pas inquiéter l'enfant, Toubou insiste pour que Leki reste à la case parce qu'il faut s'occuper de l'avertissement des abeilles.

Dans une jatte de terre cuite, mainte fois utilisée, Toubou mets des braises rouges et pose le tout dans la maison de torchis. Elle invite Leki à rentrer, elle frotte tout son corps avec de la cire, en insistant particulièrement sur l’omoplate. Elle considère que cette substance est bénéfique pour la petite. Ensuite, elle glisse un petit flacon tenu par un lacet de cuir autour de son cou. Le flacon contient des abeilles mortes. « Mort » dans l'éther des molimo, ça ne veut rien dire, alors certainement, les insectes existent sous une forme ou une autre dans les mondes-demi. Elle fait asseoir Leki en face d'elle et place des statuettes représentant symboliquement Njambi.
Les protections en place, Toubou peut commencer. Elle jette sur les braises, la sève d'un arbre à encens. Une fumée épaisse et irritante s'envole et envahit l'espace. En se balançant d'avant en arrière, assise, les mains sur les genoux Toubou entre en transe, ses yeux regardent à l'intérieur, le monde-demi des Ancêtres. Leki arrondit le dos et se détend pour tâcher de dormir. Elle ne doit pas se lever. Et une transe cela peut durer longtemps.

« J'ai besoin de vous. J'ai besoin de vous. J'ai besoin de vous... »
En même temps que la prière, les images de Leki et de ses abeilles tapissent le fond de sa pensée, portent ses inquiétudes ; l'espace sur son épaule, la terre jetée… Le serpent ? Le jaguar ou peut-être un autre danger ?
Sans le Bwiti, les visions sont plus fugaces, les symboliques moins évidentes.
L'arbre à palabres tremble dans une brume lointaine, Toubou se concentre, mais ses pas ne la rapprochent pas des Ancêtres qu'elle distingue mal.
L'un deux essaye de venir à elle. Il est vite empêché par une ceinture, comme un rideau de lumière. Avec l'index d'une main, il désigne dans l'autre, un petite boule d'énergie comme un fulminion…. Comme un fulminion ?
COMME LE FULMINION ! Celui que l'Ancêtre gluant a volé dans l'esprit de Toubou !
De l'autre côté du rideau, l'ancien venu à elle hausse les épaules et reprend le chemin de l'arbre à palabres.
Elle est seule, coupée de cette famille précieuse, elle ne peut plus leur parler ! Elle va devoir se débrouiller sans eux ? Elle se colle au rideau de lumière, le force de sa volonté. Là-haut, les Ancêtres crient, l'un d'eux lance un végétal dans sa direction, comme si c'était une pierre. Avant que la plante ne se désagrège en gerbe d'étincelles, Toubou reconnaît Totolo ! Le poison du jugement !

Le choc est rude et rompt sa transe. La sorcière ouvre les yeux. Elle regarde la petite fille endormie devant elle. Elle l'aime tellement, comme son enfant. Elle est prête à tout pour elle, même au dernier des sacrifices.
Elle doit parler au roi.