Ce que femme veut

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« Alors, Tissina, que dit-on dans le monde des hommes ? »

Le guerrier tient sa promesse, il a rejoint Chinaca dans le grand champ de sa dot. Elle ne pouvait plus différer ses obligations : manipuler le roi et minimiser l'influence des coépouses implique que son champ soit entretenu et ses devoirs exécutés. Elle est partie du village en grimaçant, pour simuler l'effort produit et satisfaire les jalousies des autres femmes de Mongo.
Dans son champ de manioc et de maïs, deux enfants d'une dizaine d'années désherbent à sa place. Elle les surveille. Tissina résume la situation :
« Le roi a décidé d'une cérémonie Iboga, il voyagera avec la sorcière. Il dit que le village est peut-être menacé, mais il ne sait pas s'il s'agit d'un piège de molimo, de pembé ou si c'est Njambie et sa volonté d'accroître les forces de vie qui nous utilise. Si le roi meurt, Yembé tuera la créature, et si le roi meurt, ça ne me gênerait pas, je te veux pour moi seul.
— Arrête de penser un autre monde. Mongo me met à l'abri de bien des soucis, tu ne peux pas m'offrir tout ce dont j'ai besoin, profite de ce que je t'offre, il n'en a pas plus que toi.
— ...
— Et donc, cette créature ?
— Ton Mongo n'a pas voulu dire ce que c'est.
— Et si la sorcière mourait ?
— Il n'en a pas parlé.
— Moi, c'est elle que j'aimerais renvoyer aux Ancêtres… »

Elle n'est pas mécontente que Toubou l'ait débarrassée du petit monstre, mais elle aurait préféré que cette chair-là meure.
Elle a du mal à ne pas se sentir diminuée par la nature de la chose que son ventre a enfanté.
La punition est trop rude, après tout son démon blanc est toujours vivant ! Toubou le paiera !
Cependant, il reste un problème qui n'a pas été résolu : les deux sages-femmes. Elle sait que son secret et les mensonges de la Chamane ne tiendront pas devant les deux femmes.
Le scandale est trop grand et les tamanoirs trop gourmands.

S'il ne s'agissait que d'elle, ces femmes seraient déjà mortes. L'une d'elle, peut-être, pourrait mourir, ce sont des choses qui arrivent mais la seconde parlerait.
Il faut être plus subtile. Si seulement elle détenait les pouvoirs de la sorcière.

« Puisque personne ne peut nous entendre, je dois te parler de quelque chose. Tu te souviens de cette vigoureuse étreinte, quand nous avons repris nos activités ?
— Après ton triste accouchement ? Il remonte une main intrusive sur la cuisse et la regarde avec insolence, elle le repousse vertement en désignant du menton, les enfants dans le champ.
— Oui. Ce jour-là, il m'avait semblé voir quelqu'un. Or, ce matin, quand tu es parti, j'ai reçu la visite d'une des accoucheuses, elle m'a dit que si le fruit est mort c'est que la graine ou l'arbre est pourri. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire, elle a répondu, quand le fruit ne pousse pas, on ne peut pas connaître l'arbre dont il vient et que parfois c'est mieux comme ça. J'ai senti son mépris. Je suis sûre qu'elle sait pour nous. Je pense qu'elle est capable de tout dire à Mongo. C'est peut-être mieux si nous arrêtions de nous frotter quelque temps. »

Tissina pâlit, si Mongo apprend leur liaison, il est mort et Chicana livrée au clan qui la réclamera.
« C'est très dangereux Chinaca, très, très dangereux ! Même si on arrête de se voir, elle peut parler n'importe quand, rien que pendant la cérémonie, avec tout le lotoko qui circulera ! Je suis mort !
— Qu'est-ce qu'on peut y faire, ce sera sa parole contre la nôtre...
— Tu rêves ! La moitié des femmes du village veulent te voir rabaissée, sans parler des coépouses. Et tout le monde sait qu'un démon habite mon bâton ! On est mort !
— Ou ça peut être elle ?
— Ou ELLE ? Tu me demandes de tuer une femme ?
— Je ne te demande rien, je cherche un moyen pour que tu restes en vie ! Tu aurais une autre solution ? Tu étais prêt à tuer le démon blanc !
— Oui ! Un démon !
— Tu sais, elle est vieille, une charge pour ses enfants. Son mari est mort depuis longt...
— Tu y as réfléchi bien sûr, Tissina durcit le ton.
— Oui, c'est vrai, j'ai tellement peur pour toi, j'ai besoin de toi, de ta force, de ton affection.
— Et qui te dit que ce n'est pas trop tard, qu'elle n'a pas déjà parlé ? Je ne peux pas assassiner tout un village ! »

Tissina se sent piégé. Chinaca pleure avec talent et sanglote.
« Je vais m'assurer qu'elle n'a rien dit… »

*

La veille du rite Iboga, à la nuit venue, Toubou emmène Leki chez sa nourrice. Badou et Le Chien l'accompagnent, ils passent dans les champs pour contourner le village.
Peu importe désormais que les enfants la voient, quel que soit l'aboutissement de la transe, c'est l'avenir de Leki qui sera scellé. Soit elle appartiendra au destin du village, soit ils la tueront.
Badou préfèrerait être loin lorsque commencera le rituel. Les hommes et les femmes boiront et alors, il suffit que l'un d'eux ait envie d'écorcher le mabé pembé pour que sa peau sèche en plein air au même instant.
Toubou connaît ces craintes, mais elle lui recommande de veiller quand même, ici, avec l'Africanis.
« Imagine que Yembé ou un autre décident de leur faire du mal. Sans toi, le chien ne resterait pas avec Vuvu, mais je suis tout à fait sûre qu'il te défendrait. »

Elle enlève de son cou une petite pierre finement sculptée comme un cauris orné d'un visage. Il lui vient d'une des épouses avec qui elle a brièvement partagé sa vie.
« Ce cauris est magique Badou, il porte l'amour et le pardon d'une femme courageuse. Il te protègera. »

À Vuvu, elle enjoint de rester chez elle avec les enfants et de se faire oublier. La jeune femme fait la moue.
« Comment veux-tu que je tienne quatre garçons enfermés dans cette petite case ?
— Avec ça ! »

Toubou lui remet deux segments de bambous, ils contiennent la drogue qu'elle donnait à Leki, diluée dans de l'eau sucrée au miel. Vuvu n'est pas tranquille.
« Ça ne va pas leur faire de mal, n'est-ce pas ?
— Tête de chiot ! Je ne peux pas faire de mal à tes enfants ! Il faut vraiment qu'ils soient hors des regards pour que toi, tu sois hors des esprits. Je me méfie de Yembé, mais qui sait ce qui se raconte ? Six hommes connaissent à présent le secret de Leki alors tout le village est peut-être déjà au courant et avec les ragots, la menace grandit. Donne-leur la médecine en journée ; la nuit, tu tiendras les enfants plus facilement. J'espère que tout ira bien pour tout le monde. »

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