Alteréalité

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Pour celles et ceux qui ont lu le chapitre précédent, peut-être avez-vous cru qu'il s'agissait d'une fiction. Clarifions les choses : je n'ai pas quitté le registre de l'autobiographie et je ne prévois pas de le faire à aucun moment de cet ouvrage. La promenade dans les bois a réellement eu lieu et je l'ai vécue exactement telle que je l'ai décrite.

Il faut bien comprendre que les personnes schizophrènes n'entendent pas toutes des voix et que la maladie ne se résume pas à cela. Les hallucinations le plus souvent rapportées sont certes majoritairement auditives mais elles peuvent toucher d'autres sens comme la vue et le toucher, l'odorat, le goût, voire même plusieurs sens à la fois comme c'est le cas pour moi. Et puis il y a aussi les délires, qui peuvent avoir un lien ou pas avec les hallucinations mais qui combinés avec celles-ci projettent le malade dans une autre réalité. Cette autre réalité, que j'appelle "alteréalité", est dans les cas les plus graves complètement déconnectée de la réalité commune, ou à des degrés moins sévères comme superposée, simplement une petite bulle incluse dans une plus grosse bulle, un sous-ensemble de la réalité partagée.

Em' est l'exemple parfait d'une alteréalité incluse dans la réalité commune, un sous-ensemble. Pour toute autre personne que moi, il n'existe pas, car sa place n'est pas dans la grosse bulle, le grand ensemble commun. Mais moi qui vis à la fois dans la grosse et la petite bulle, je le vois dans tout le détail de son apparence, j'entends sa voix avec tous ses accents et intonations, je sens sa main sur moi lorsqu'il me touche, j'ai accès à ses pensées et émotions lorsqu'il me les télépathe. Et rien de tout cela n'est imaginaire, je fais la différence entre ce que je m'invente par jeu notamment quand j'écris une fiction, et ce que je vis lorsque je suis en compagnie d'Em' ou des deux "autres" cohabitant dans le corps avec moi. Le délire qui s'est construit au fil du temps autour de ces hallucinations renforce encore cette conviction d'alteréalité. Parce qu'il place Em' et les autres au-dessus de l'humanité, il est logique que peu d'êtres humains les perçoivent, même si je suis persuadé qu'il n'existe pas un corps humain adulte et en vie qui ne soit pas "colonisé" sans forcément que l'hôte primaire ne s'en doute. Moi je perçois les miens parce que mes canaux sensoriels ont été brisés, accidentellement ouverts, sorte de fracture psychique au lieu d'une fracture du corps. Mais une telle ouverture est rare, comme il est rare aussi de pouvoir analyser les choses comme je le fais. Je n'ai aucune idée de comment je fais pour ça, mais il est une chose à retenir : convertir ma logique personnelle en la logique commune afin de me faire comprendre est un exercice délicat et énergivore. Ce n'est pas parce que je dis qu'Em' est une hallucination que j'en suis convaincu, plutôt le contraire. Je n'utilise ce vocabulaire sémiologique que pour avoir la paix avec les médecins, en moi-même je ne pense pas que je sois malade de cette façon. Une maladie du stress et de l'anxiété oui mais une psychose schizophrénique non. En tout cas, pas de la façon qu'on décrit et dont on voudrait me le faire croire. J'ai une autre explication bien plus logique et cohérente dans ma façon de penser. Ce qui nous mène au chapitre suivant que je vais consacrer au déni.

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