L'enfer c'est les autres

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J'ai commencé le précédent chapitre en écrivant que ma mère m'avait un peu trop couvé. Et puis l'émotion de se rappeler les choses m'a fait dériver sur un autre sujet. Je voudrais commencer à entrer dans le vif de mon récit, l'aspect de ma vie qui me motive le plus à écrire en cette nuit d'insomnie. Parce que ma schizophrénie ou en tout cas une large partie de mes souffrances psychiques auraient pu être évitées et je veux témoigner de cela, que ça ne reste pas dans l'ombre du non-dit ou plutôt en ce qui nous concerne du non-écrit. Parce qu'en même temps que je me débattais dans toutes les nuées parasites de ma petite enfance, que j'ai décrites dans les chapitres précédents, j'ai dû me battre contre quelque chose de bien plus sournois et insupportable qu'un obstacle posé par la nature. Un obstacle posé par l'Homme. Et quand j'écris "obstacle" je pourrais y mettre un o majuscule aussi parce qu'il est tellement haut qu'il en est immensurable. Ça aussi, ça faillit causer ma mort. Mais je suis dur en négociations avec la Faucheuse, j'ai une carte chance "sortez de prison".

Je dis souvent aux psychiatres et soignants que je rencontre pour la première fois que ma mémoire autobiographique directe, c'est-à-dire constituée par mes propres souvenirs intègres et non des reconstitutions de souvenirs comme ceux que j'ai vus sur les vidéos filmées par ma mère, commence le premier jour d'école. Je pense que j'avais déjà une prédisposition pour les maladies psychiatriques mais c'est clairement ce jour-là que tout a basculé. C'était un grand, très grand cheval de Troyes à bascule.

J'ai énormément pleuré ce premier jour d'école maternelle, je réclamais ma maman qui m'avait laissé au milieu de tous ces enfants inconnus qui me terrifiaient rien que par leur proximité. Pour la première fois, je crois, je devais affronter le monde extérieur à la maison sans la protection de ma mère. Je ne sais pas trop ce que je percevais sur les autres enfants qui me terrorisait à ce point, toujours est-il que les adultes présents n'ont pas réussi à m'apaiser, sans doute parce qu'ils ne comprenaient pas mon comportement que moi même je ne comprends toujours pas. Je suis resté debout au milieu de l'espace de jeux à pleurer et trembler comme une feuille sous la pluie d'automne. Toute la journée. Quand ma mère est revenue me chercher après le temps de classe, l'adulte lui a dit que ça avait été très dur mais que j'allais prendre confiance et m'habituer, elle semblait croire qu'il me fallait juste un petit temps d'adaptation.

C'est le deuxième jour que, moqueurs de mes pleurs de "bébé", un petit groupe d'enfants s'est intéressé d'un peu trop près à moi. Leurs moqueries méchantes et gratuites m'ont de plus en plus profondément déstabilisé en même temps qu'elles les solidarisaient entre eux. Ce n'est pas moi qui ait pris confiance en l'école mais eux qui se sont sentis de plus en plus forts à me faire du mal. La violence des moqueries et des insultes, surtout répétée sur une longue période, ça peut être aussi destructeur qu'une agression physique. Et leur agressivité malsaine a enflé car mon cerveau a réagi comme il a pu, en l’occurrence je suis devenu mutique, et mon silence torturé les confortaient dans leur position de domination. Après les moqueries, ils sont passés aux coups. Coups de pieds, coups de poings, tirage de cheveux, coups de règles en métal, coups de cartables dans le ventre... Cela se tenait pendant les récréations et malgré mon enfermement alarmant dans le mutisme et d'autres signes de mal-être, personne n'a vu ou voulu voir. J'ai encore beaucoup de colère envers les surveillants de cour qui ne surveillaient rien du tout, trop occupés à bavarder le fessier collé à leur foutu banc. En moins d'une semaine, mon corps et mon esprit étaient complètement dévastés. Escalade de la violence jusqu'à rentrer un midi avec un coquard dans l’œil. Là ma mère a compris que c'était allé plus loin que de simples "bousculades", elle est allée parler aux instituteurs puis grondé très fort mes tortionnaires. C'était vers le début du CP, soit 3-4 ans de violences physiques et verbales répétitives. Je ne sais pas exactement ce qu'elle leur a dit mais ça a été efficace, je n'ai plus été frappé pendant plusieurs mois.

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