Renaissance

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Rouge. Tout était rouge. Le ciel, la lune, les nuages, ses habits, sa peau, tout était teinté de cette couleur rubis, comme si un voile recouvrait ses yeux.

La douleur, atroce, l'empêchait de réfléchir, de se rappeler des derniers événements. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il voulait que cela cesse, que tout s'arrête. Plus de rouge, plus de souffrance, plus rien.

Alors il se pencha, regardant le vide qui se présentait à lui, l'étendue calme du lac sous le pont. Il semblait si attractif, l'appelant à soulager son mal, à mettre fin à cette vie de misère.

Adrian finit par répondre à cette attraction, rejoignant le froid de l'eau. Tout n'était qu'obscurité, et bientôt la douleur disparut. Lentement, la vie s'échappait de son corps, le rapprochant peu à peu de la fin. Le jeune ferma les yeux, se laissant emporter par la faucheuse venue le chercher.

~~~

Une douce chaleur se répandait sur son corps, surprenant Adrian. Avait-il atteint le paradis malgré son suicide ? Pourtant, ce geste était proscrit par Dieu, ou toute autre entité supérieure promettant le repos éternel.

Jamais il n'avait connu pareil confort non plus, ses géniteurs ne lui accordant que le placard sous l'escalier comme chambre, l'y enfermant quand il ne le passait pas sous les coups de ceinture. Alors se sentir comme sur un nuage, jamais ça ne lui était arrivé.

Ouvrant lentement les yeux, le jeune blond s'habitua à la douce lumière qui éclairait les lieux, suffisamment forte pour pouvoir détailler les lieux, mais pas assez pour l'éblouir.

La chambre, puisqu'Adrian remarqua qu'il se trouvait dans un énorme lit à baldaquin, était spacieuse, remplie d'objets luxuriants. La détaillant plus profondément, il vit une coiffeuse ornée de magnifiques gravures, un immense dressing tout aussi somptueux, d'immenses vitres laissant filtrer la lumière du soleil levant, ainsi qu'un bureau surplombé d'une bibliothèque que tout mordu de lecture voudrait avoir.

Tournant la tête vers la porte au bruit lui indiquant que quelqu'un venait d'entrer, Adrian tomba sur un homme de toute beauté. Sa peau pâle n'enlevait rien à son charme, au contraire, elle le rendait encore plus attirant. Ses cheveux, courts, châtains, coiffés vers l'arrière, le faisaient ressembler à tous ces jeunes chefs d'entreprise. Et son regard, sombre, rouge, l'attira, le captiva.

— Je dois être au paradis, c'est impossible autrement, marmonna le petit blond.

— Désolé de te décevoir, mais tu es dans ma chambre, bien loin du royaume des anges, le contredit le nouveau venu. Je suis Dragan Mela, propriétaire des lieux.

— Comment ? Je devrais être mort, j'ai senti la vie me quitter, fit surpris le blond.

— Il est vrai que la médecine humaine n'aurait jamais pu te sauver. J'ai dû te faire boire de mon sang pour te ramener des limbes, lui expliqua son hôte.

— Pourquoi ? Je n'avais pas besoin de vous. Je ne voulais pas être sauvé, pleura le jeune homme, au bord du désespoir. Je voulais mourir, que toute cette souffrance s'arrête, ne plus jamais avoir mal.

— Je sais tout ça.

— Comment pouvez-vous savoir ? Si c'était le cas, vous m'auriez laissé mettre fin à ma vie, hurla le jeune homme, sa crise de larmes s'intensifiant.

— Crois-le ou non, mais lorsqu'un vampire fait boire son sang à quelqu'un, il se crée un lien émotionnel entre le donneur et le receveur, contredit l'homme en face de lui d'une voix calme. Pendant un court laps de temps, les deux êtres ressentent toutes les émotions de l'autre. J'ai senti ta détresse, ta douleur, ton envie d'en finir, mais aussi cette colère profonde que tu voues au monde entier.

— Alors pourquoi prolonger mon supplice ? questionna-t-il, n'ayant pas relevé l'information sur la nature de son vis-à-vis.

— Je t'offre une chance de connaître une vie meilleure, un petit bout de bonheur, et même de te venger de tous ceux qui t'ont fait souffrir, lui proposa le châtain. Je veux te montrer que la vie vaut la peine qu'on s'y attache, même si c'est difficile.

— Pourquoi moi ? Si vous savez ce que j'ai ressenti en sautant de ce pont, vous savez que ces choses ne m'arriveront jamais, que je n'y ai pas droit.

— Parce que tu es un bébé non voulu ? Parce que tu es homosexuel ? Parce que tu es plus fin que d'autres ? Rien de tout ça ne devrait t'empêcher d'être qui tu es, de vivre ta vie comme tu l'entends.

— Vous ne savez pas de quoi vous parlez, hurla Adrian. Vous ne savez pas ce que c'est que de vivre la boule au ventre toute sa vie, de craindre le moindre mouvement de ses parents qui à tout instant peuvent décider que la moindre petite chose mérite des coups de ceinture. De se rendre au lycée en ayant la peur qui vous tord les tripes parce que vous savez que tous les élèves prennent un malin plaisir à vous humilier, à vous battre, à vous enfermer dans un casier, à vous traiter de lopette, de pédé, de sale enculé, de tarlouze, de tapette, de pédale, tout ça parce que les filles ne vous attirent pas. Vous ne savez pas ce que c'est que de sentir le regard haineux des gens quand vous passez dans la rue, de les entendre chuchoter dans votre dos parce que vous êtes simplement plus petit et mince que le sportif du lycée. Vous ne savez rien de ce que j'ai enduré.

— C'est là que tu te trompes. Nous sommes plus semblables que tu ne le penses. Les insultes, les coups, j'y ai eu aussi droit lorsque j'étais encore humain. J'ai passé ma jeunesse à cacher mon orientation sexuelle. Et si par malheur, elle était découverte, j'étais battu, fouetté, traîné dans la boue.

— Comment avez-vous fait ? Comment vous êtes-vous débarrassé de toute cette douleur, de cette souffrance ?

— Une vampire m'a transformé, me sauvant d'une mort certaine. Elle n'avait jamais pu avoir d'enfant, alors elle m'a adopté, m'a élevé. Elle m'a offert une famille, envers et contre tous.

— Une vampire ? Alors vous êtes ? releva enfin le blond, la peur le gagnant petit à petit.

— Calme-toi, je ne vais pas te demander ton sang, ni te transformer en nourriture sur pattes. Je veux seulement t'offrir ce qu'on m'a offert, il y a bien des années.

Le blond resta muet, ne sachant quoi répondre. D'une part, ce que le vampire lui proposait lui semblait si irréel, mais en même temps, qui n'avait jamais rêvé d'un peu de bonheur dans sa vie ?

— Alors, veux-tu vivre ? demanda le vampire, le coupant dans sa réflexion. Je n'attends pas une réponse immédiate, prends le temps de réfléchir à ce que je viens de te dire. Mais si tu tiens toujours à nous quitter, alors il en sera ainsi. En contrepartie, pour la semaine qui vient, tu devras me promettre que tu n’attenteras pas à ta vie, que tu profiteras de ce que je t'offre ici.

Sur ces mots, le vampire se dirigea vers la sortie, laissa son nouveau locataire se perdre dans ses pensées.

— Wouaf, entendirent les deux hommes au moment où Dragan ouvrait la porte.

— Pup, je t'avais dit non, fit le vampire sur un ton de reproche à l'immense chien de berger qui venait d'entrer dans la pièce.

N'ayant que faire des reproches de son maître, l'animal se dirigea vers le lit où il posa son museau, quémandant des caresses. Adrian, encore sous le choc de la demande du plus vieux, tendit maladroitement la main vers Pup.

— Je te présente Pumpking, un adorable berger australien que j'ai recueilli il y a maintenant trois ans, l'introduisit le vampire. Une adorable petite canaille, et il sait parfaitement se faire comprendre, même sans la parole. Je vais te laisser te reposer, je reviendrais te voir plus tard. Pup, viens ici mon chien, appela Drangan en sortant de la pièce.

De nouveau seul, comme il l'avait toujours été. Sentant les mauvais souvenirs remonter à la surface, Adrian bloqua le flux de ses pensées et se recoucha en priant Morphée de le prendre rapidement avec lui.

Un jour, deux jours, trois jours, quatre jours passèrent sans qu'Adrian ne prenne goût à la vie. Toutes les journées se ressemblaient, comme une routine ennuyante. Le jeune homme se sentait vide, sans la moindre émotion, sans l'envie de continuer à vivre. Dragan avait bien tenté de le faire parler, mais tout ce qu'il obtenait était un vague signe de la tête, montrant que son interlocuteur l'avait bien entendu, mais qu'il ne voulait pas discuter. Seul Pup avait réussi à s'approcher suffisamment, ou plutôt profiter de l'inconscience du garçon pour venir se blottir contre lui, lui servant de peluche géante, l'aidant à lutter contre ses cauchemars.

Le cinquième jour avait débuté comme les quatre premiers. Petit-déjeuner dans le jardin, matinée enfermée dans la chambre, Pup servant d'oreillers - Adrian avait bien essayé de l'éloigner de lui, mais rien à faire, il revenait toujours à la charge. Seulement, lorsqu'il fallut redescendre pour manger - notez ici picorer pour faire plaisir au maître de maison -, le jeune blond avait glissé dans les escaliers, s'écorchant le poignet. Sûrement alerté par le bruit, Dragan s'était précipité vers lui, jusqu'à voir le sang s'échappant de sa plaie.

Le châtain se rapprocha puis s'agenouilla devant le blond pour prendre son membre blessé et de le lécher, buvant le sang qui s'écoulait, avant de le mordre, procurant une sensation de bien-être chez le jeune homme. Une douce chaleur s'insinuait en lui, lui procurant un certain plaisir, un sentiment qu'il n'avait alors encore jamais ressenti. Il se sentait vivant pour la première fois de sa vie.

Malheureusement, comme toutes bonnes choses, elle prit fin lorsque Dragan s'éloigna de lui.

— Désolé, je n'aurais pas dû perdre le contrôle comme ça, ce n'était jamais arrivé avant, se justifia le vampire avant de s'enfuir en courant.

Pourquoi s'excusait-il comme ça, après lui avoir montré qu'il n'était finalement pas si mort que ça à l'intérieur ? Il était vrai que depuis qu'il était arrivé, Adrian n'avait pas souffert, mais il n'avait pas non plus pris goût à la vie. Mais ce à quoi il venait de goûter, il en voulait plus, il voulait découvrir un peu mieux cette sensation qu'il avait ressenti lorsque le plus vieux avait bu son sang. Mais pour cela, il devait d'abord le retrouver, lui expliquer qu'il ne lui en voulait pas, et que c'était même le contraire.

Cependant, le vampire semblait très doué au jeu de cache-cache, parce que même avec l'aide du berger australien, il resta introuvable jusqu'au lendemain matin. S'inquiétant sûrement pour son petit protégé, il était venu le voir pendant son sommeil, mais n'avait pas eu le temps de s'éclipser avant le réveil du blond.

— Ne pars pas, reste avec moi, s'il-te-plaît, le supplia Adrian.

— Je ne veux pas prendre le risque de te blesser ou de te faire mal. Je t'avais promis de ne pas te mordre, et à la première goutte de sang, je te saute dessus.

— Et je ne t'en veux pas, au contraire, lui expliqua le plus jeune. Je ne me suis jamais autant senti vivant que depuis que tu m'as mordu, que cette chaleur et ce bien-être ont envahi mon corps.

— Comment est-ce possible ? Tu aurais normalement dû avoir mal, pas ressentir du plaisir. Seul celui qui est parfaitement compatible avec le vampire qui le mord peut ressentir cela. C'est tellement rare que tout le monde pensait que c'était une légende.

— Et ça veut dire quoi concrètement ? demanda le blond.

— Que chaque morsure que tu recevras de ma part générera en toi une vague de plaisir, un besoin d'être intime avec moi pour assouvir tes envies, tes désirs, lui expliqua le châtain.

— J'aimerais bien que tu me fasses découvrir ces envies, après tout, c'est toi qui voulais que je profite de ce que tu pouvais m'offrir. Et ces sensations en font pleinement partie.

Sans plus attendre, Dragan fondit sur son cou, le léchant, le suçant avant d'y planter ses crocs. Aussitôt, la chaleur qu'il avait ressentie la veille se répandit de nouveau en lui. Le jeune homme se sentait bien, une douce sensation s'emparant de son bas-ventre, tel des papillons. Son cœur battait la chamade, s'emballait au point que le blond pensait le voir sortir de sa poitrine. Son visage le brûlait et sa respiration était laborieuse. Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, Dragan s'arrêta et recula, observant le résultat d'une simple morsure sur le petit blond.

— Je veux vivre, chuchota soudainement Adrian.

— De quoi, hermoso ? demanda le vampire surpris.

— Je veux vivre.

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