Le sabre et le yatagan

7 minutes de lecture

— Tu es invité à mon mariage, annonçai-je à mon ami quelques heures après. J'espère vraiment que tu vas venir, Erik.

Ce dernier releva un visage à la fois stupéfait et désespéré sur moi.

— Fassa ! gémit-il finalement en réponse, ses yeux faisant ceux du chat Pixar.

— Pas de mais, fis-je en lui mettant le doigt sur la bouche. C'est important pour moi.

Erik baissa la tête, vaincu.

— C'est lui qui t'a autorisé à me faire venir ? demanda-t-il d'une voix sombre.

— Lui ? C'est qui, lui ? répliquai-je, légèrement irritée qu'Erik se fasse prier pour assister au plus beau jour de la vie de sa meilleure amie.

Il leva un regard étonnamment dur sur moi.

— Ulfasso.

Encore, constatai-je. Il ne lâchera pas le morceau.

— Tu veux dire Lev, sans doute ? En effet, Lev, insistai-je, m'a dit qu'il ne verrait aucun inconvénient à ce que tu viennes, au contraire. Et sache que Lev ne m'autorise rien du tout, je fais ce que je veux. En revanche, c'est moi qui l'autorise à accéder à mes désirs.

— Pour combien de temps ! lâcha nerveusement Erik en ramassant ses affaires, étalées sur le canapé.

J'y discernai une photo de lui, bras dessus bras dessous avec Konosuke à la neige, servant de marque-page à son bouquin.

— Pour toujours, puisque Lev et moi allons-nous jurer fidélité éternelle devant le pasteur dans moins d'une semaine.

— Il se marie à l'église, en plus ? s'écria Erik, qui était malgré toutes apparences, très religieux, en baissant un sourcil courroucé sur son œil bleu. C'est la meilleure !

— Non Erik, répliquai-je en lui tendant la photo de Konosuke que, en pleine panique, il cherchait partout. Lev ne décapitera pas le petit Jésus sur l'autel, tu peux dormir sur tes deux oreilles.

Attrapant le cliché entre deux doigts rageurs, Erik se planta devant moi, soudain très agressif. Cependant, il était toujours plus petit que moi. Il est trop mignon pour me mettre en colère, pensai-je, émue.

— T'as raison, Ulfasso n'en est plus à décapiter des statues. En revanche, te violer sur l'autel, éventrer le prêtre et tenter de m'empaler sur son sabre lorsque je viendrais à ton secours, ça, c'est plus son genre !

Je n'en revenais pas. Erik était donc incorrigible ! Impossible de lui faire sortir son idée de la tête.

— Lev n'entrera pas dans l'église avec un sabre ! Et toi non plus, d'ailleurs ! Car ce ne sera pas une partie d'AD&D grandeur nature, mais un mariage !

— Arrête de croire au père Noël, Fassa ! hurla-t-il en retour. L'homme que tu t'apprêtes à épouser s'appelle Ulfasso, et sa sorcellerie est si puissante, qu'il lui suffira d'invoquer cette arme pour qu'elle apparaisse immédiatement dans ses mains !

Stupéfaite, j'assistai à la transformation terrible de ce jeune homme doux et rêveur en loup enragé, qui s'opérait subitement devant mes yeux. Totalement en crise, persuadé de la véracité de ses propos hallucinants, Erik me regardait, la haine sur le visage.

— Pourquoi déteste-tu autant ce pauvre Lev ? Qu'est-ce qu'il t'as fait, enfin ?

— Mais t'es bouchée, ou quoi ? s'écria-t-il. Je t'ai déjà tout raconté ! Est-ce qu'il a déjà commencé à t'hypnotiser ? Je le savais bien, qu'il chercherait à t'influencer ! Il est dangereux, c'est un démon, doublé d'un tueur sanguinaire à la personnalité tyrannique et d'un sorcier maléfique ! Il a exécuté son meilleur ami Chovsky parmi des centaines d'autres innocents et a tenté d'anéantir la planète !

— Stop ! hurlai-je en levant les mains. Chovsky, comme cet Ulfasso, n'existe pas, Erik !

C'était sorti. Erik me regarda pendant quelques secondes, interdit.

— Alors c'est ce que tu penses, murmura-t-il d'une voix blanche. Tu penses que je suis fou, tu ne me crois pas...Très bien, je vais te prouver, tout de suite, que Chovsky a bel et bien existé, puisque la présence d'Ulfasso parmi nous ne te suffit pas !

Et avant que je puisse faire quoi que ce soit, il courut dans sa chambre. Il en revint cinq secondes plus tard, une énorme épée sortie de je ne sais quel magasin pour black-métalleux norvégiens sur l'épaule, qu'il planta dans le parquet sous mes yeux éberlués.

— Voilà le sabre de Chovsky, murmura-t-il en serrant les dents, la main sur la poignée de cet objet hallucinant. Je suis allé le chercher à Trondheim dernièrement, m'étant juré que c'est ce que je ferais si Ulfasso se sortait de ce trou où les Mongols l'avaient cloué. C'est ça qui me servira à faire sauter la tête de ton démon de mari, et à l'empaler définitivement sur sa croix, s'il émet la moindre menace sur ta vie !

Face à des propos aussi violents, je poussai un cri, mettant immédiatement la main devant ma bouche. Il ne me fallut pas plus d'une seconde pour m'enfuir de la pièce, les larmes aux yeux.

— Fassa ! s'écria Erik à ma suite, mais c'était trop tard.

Effondrée, je sortis dans la rue, sautant dans le premier taxi.

Mais je ne savais pas où aller. Sûrement pas à Espoo chez Lev, à qui j'irais tout raconter séance tenante vu l'état dans lequel j'étais. Plus j'y réfléchissais, plus je me rendais compte que c'était tout sauf une bonne idée. Finalement, je demandais au taxi de me déposer en pleine rue, et entrai dans le premier bar venu, où je vidais une demi-bouteille de schnaps.

Erik débarqua peu après. Poussant doucement la porte du bar à demi-éclairé, il vint se planter devant moi, les mains dans les poches. Je le voyais, sincèrement désolé, entre mes doigts écartés, mes mains sur mon visage. Erik finit par s'asseoir et il me prit dans ses bras, où je me précipitais.

— Pardon, Fassa, murmura-t-il d'un ton contrit. Je ne voulais pas te dire tout ça. Je viendrai à ton mariage, promis.

Je me redressai, essuyant mes larmes.

— Vraiment ? Tu ferais ça pour moi ?

— Oui, répondit-il. J'éviterai d'adresser la parole à ton mari plus que nécessaire, mais je viendrai.

— Merci, Erik, murmurai-je entre deux sanglots.

— Ne serait-ce que pour te protéger, ajouta-t-il en caressant mes cheveux. Je ne te laisserais pas seule dans l'adversité face à lui. Je serais toujours à tes côtés, Fassa, je te le promets.

J'ignorais si c'était réellement une bonne nouvelle. Erik me faisait plus peur que Lev... Mais devant une si adorable contrition, je ne pus qu'acquiescer.

— D'accord, répondis-je avec un sourire. Mais laisse l'épée d'Isildur à la maison, ok, Erik ?

Il me regarda, plantant ses yeux bleus dans les miens.

— Si tu me donnes l'assurance que le no-dachi de ton fiancé y restera également, je laisserais mon arme à l'appartement, déclara-t-il avec tout le sérieux du monde. Seulement si je suis sûr qu'il est sous bonne garde, Fassa.

À nouveau, je hochai la tête. J'ignorais comment Lev allait prendre la nouvelle, mais j'étais déterminée à confisquer cette antiquité, si ça pouvait suffire à rassurer Erik et à garantir qu'il ne pète pas les plombs pendant la cérémonie. Du reste, Lev n'était pas contrariant, et j'étais certaine qu'il n'y verrait pas d'objections, même si je ne lui fournissais aucune explication.

Le soir même, arrivant à la maison la première, je me rendis dans la chambre, embarquai le sabre exposé sur le portant, et le planquai dans ma voiture. Lorsqu'il rentra du bureau, Lev ne mit que trente minutes à s'apercevoir de sa disparition.

— Fassa ! me lança-t-il de la chambre. Qu'est-ce que tu as fait de mon sabre de collection ?

Lev ne tarda pas à arriver, me lançant un regard accusateur. Pourquoi fallait-il que les mecs s'amusent à collectionner ce genre de trucs ? J'y devinais une bien agaçante obsession phallique.

— Je le confisque jusqu'à notre mariage, lui dis-je en croisant les bras. Je ne veux pas risquer que tu te ramènes avec pendant la cérémonie.

Lev ouvrit des yeux stupéfaits.

— Mais pourquoi je ferais une chose pareille ? me demanda-t-il, un peu sur la défensive.

— J'en sais rien, murmurais-je, mais je préfère le garder au cas où.

— Fassa, fit Lev en croisant les bras à son tour, tu sais combien vaut ce sabre ?

Je ne répondis pas. Tournant mon regard face à la télé, je pris ma tasse et commençais à boire à petites gorgées, choisissant d'ignorer mon fiancé.

— Plusieurs millions de yens, continua-t-il. C'est probablement le truc le plus précieux de toutes mes possessions. T'as pas intérêt à le perdre, ou à te le faire voler, parce que tu ne pourras jamais le rembourser.

— Comme si t'étais à ça près, Lev, lui lançais-je, ayant eu un rapide aperçu de ses comptes dernièrement.

Il me regarda, un peu interdit.

— Ce n'est pas bien ce que tu dis, Fassa, fit-il en fronçant les sourcils.

Je me tournai vers lui.

— Écoute Lev, c'est comme ça, répondis-je, agacée. Je le ramènerais une fois qu'on sera mariés, alors pas la peine de t'inquiéter pour tes millions, ok ? J'ai eu une sale journée, aujourd'hui.

Lev grinça des dents, mais il n'insista pas. Il se rendit dans sa chambre et en revint avec une longue boîte oblongue, recouverte de laque noire.

— Range-le là-dedans, me lança-t-il en posant la boîte sur le canapé. Et fais attention à cette boîte aussi : elle vaut deux millions de yens.

Agacée par les préoccupations financières de mon fiancé, je jetai un œil sur l'objet : c'était une simple boîte noire. J'avais du mal à comprendre comment un truc aussi simple pouvait coûter autant. Je m'en emparais néanmoins, pour le faire taire, et me replongeais dans mon feuilleton. Lev tourna autour de moi comme un requin dans son aquarium pendant quelques temps, mais il n'osa rien me dire, et finalement, comme je l'ignorais, il finit par abandonner la partie. Je jetai un regard vers lui alors qu'il quittait le salon. S'il n'avait vraiment rien à se reprocher, alors il n'avait pas besoin de ce sabre que de toute façon, j'allais lui garder bien au chaud. Même si cette arme n'était pas celle du démoniaque prince Tchevsky, elle valait tout de même plusieurs millions, et ça pouvait toujours empêcher les baleines de se faire tuer ou racheter quelques hectares de forêt en Amazonie.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0