Emprise

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Les images atroces évoquées par le tragique récit d'Erik continuaient néanmoins à me hanter. J'avais beau me dire que cette histoire ne pouvait être vraie, elle était désormais associée à mon fiancé, d'une manière qui me paraissait irrémédiable.

Je laissai Lev aller au lit le premier, restant dans le salon à regarder la télé jusqu'à tard dans la nuit. Pour la première fois depuis que je le connaissais, je ne voulais pas avoir de rapport intime avec lui. Et lorsqu’il enroula son bras autour de moi comme il le faisait à chaque fois, ayant l'habitude de dormir contre mon dos, je me faufilai en douce pour aller me pelotonner à l'autre bout du lit. Le lendemain soir, il exprima son désir de manière plus consistante, et quand je sentis sa main entre mes cuisses, je me raidis.

— Je suis fatiguée, Lev, lui fis-je d'une voix lasse, dans le noir. Tu ferais mieux de dormir aussi, d'ailleurs.

Il soupira et posa sa grande main sur mon ventre. Il n'insista pas, mais s'endormit dans cette position qui m'était devenue inconfortable, me serrant étroitement contre lui.

Il prit ses distances, cependant. Lev était un fin psychologue, et ayant probablement compris que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, il me laissa tranquille. Quant à moi, je lui annonçais que je partais chez ma mère, lui disant qu'elle était tombée subitement malade. Il me laissa partir comme si c'était normal, et nous nous quittâmes en bons termes. Je pensais que c'était la fin de notre couple, et comptais lui annoncer plus tard, bien à l'abri chez mes parents, que je ne comptais plus l'épouser.

Mais je ne faisais que parler du mariage avec ma mère, ne pouvant me résoudre à dire que je voulais rompre notre engagement, et au bout d'une semaine, n'y tenant plus, je rentrai à Helsinki. Je ne pouvais plus me passer de lui, c'était trop tard. Je savais que je ne tomberais pas deux fois sur un homme comme Lev. Il fallait que je l'épouse, et vite. Je me précipitai chez lui, et le trouvant dans le salon en train de faire le ménage, je me jetai sur lui comme un assoiffé sur un lac dans le désert.

— Tu m'as trop manqué, lui murmurai-je en attrapant ses lèvres, me repaissant de son odeur, de la chaleur de sa peau et la douceur de ses cheveux. Je veux rester avec toi, toujours.

— Je savais que tu reviendrais, dit-il dans un sourire, les deux mains posées sur ma taille dans une attitude conquérante.

Mais malgré son air tranquille et assuré, je devinai qu'il était terriblement soulagé.

— Retire tes vêtements, lui ordonnai-je en lui jetant un regard provocateur, et je fis passer mon t-shirt par-dessus ma tête d'un geste souple. Je crois que le moment est venu de passer à la vitesse supérieure.

À dessein, je ne portais pas de soutien-gorge, et la vue de mes seins libres, aux pointes dressées par le froid, parut grandement émouvoir mon futur mari.

— Je n'ai jamais vu une femme aussi belle que toi. Tu es une déesse, Fassa.

Je n'avais rien à craindre de Lev, quel qu'il soit réellement. Je l'aimais trop pour passer mon temps à m'inquiéter sur son passé : qu'il soit un ancien agent russe ayant tué des gens en Tchétchénie ou un prince démoniaque et immortel né il y a plus de quatre-cents ans, ça m'était égal. Je n'aurais pas été aussi excitée, je le lui aurais dit, mais sur le moment, je ne voulais qu'une chose : qu'il me prenne, et tout de suite.

Je me jetai sur lui, enroulant mes bras autour de son cou et mes jambes sur sa taille. Si Lev n'avait pas été si fort, il serait tombé en arrière, mais il m'accueillit dans ses bras aussi facilement que si j'étais une gamine et non une femme d'un mètre soixante-quinze. La tête penchée en arrière, saoulée de plaisir, je le laissais me sucer les seins avec avidité, portée par ses deux mains me tenant fermement les fesses. Puis, prise d'une fièvre sans précédent, je dévorai son cou, lui déchirai sa chemise, ne pouvant attendre d'avoir ce corps magnifique sous les yeux. Lorsque Lev se retrouva entièrement nu, je me dis qu'en effet, je ne retrouverai jamais un homme avec un physique aussi parfait.

— Fais-moi l'amour, Ulfasso, le suppliai-je sans me rendre compte que j'utilisais le nom de la Némésis démoniaque d'Erik, qui même pour moi, je dus me l'avouer, n'était pas dénuée d'une aura de sombre fantasme. Vite, et fort.

J'ignore si Lev s'était rendu compte que je l'avais appelé autrement que par son prénom, mais sur le moment, il n'y fit pas attention. Ce qu'il avait retenu, c'était « vite », et « fort ».

*

Je me retrouvais enroulée dans le tapis du salon avec lui un peu plus tard, repue et satisfaite, mais aussi étonnée de ma propre audace. J'étais une femme, désormais. Allongé sur le dos, Lev fixait l'aspirateur abandonné en plein milieu de la pièce, objet incongru et déplacé après la partie de sexe passionnée que nous venions d'avoir.

— Dans les films, c'est toujours au moment où la fille passe l'aspirateur en petite tenue que le type arrive et lui saute dessus sauvagement. Mais là, c'était le contraire ! gloussa-t-il.

Les observations bizarres de Lev, qui avaient toujours eu le don de me faire rire, étaient en général tirées des comédies postsoviétiques qu'il regardait souvent à la télévision.

— C'est parce que tu regardes trop de films russes débiles, lui dis-je d'une voix quelque peu fatiguée en me resserrant contre lui. Tu devrais arrêter, ça ne t'aidera pas à mieux comprendre les femmes finlandaises.

Lev se tourna sur le côté, posant son regard vert sur le mien.

— C'est justement pour ça que je t'aime, Fassa, dit-il en passant le bout de ses doigts sur ma joue. Toi, tu n'hésites pas à me sauter dessus pendant que je passe l'aspirateur.

— Si tu passais l'aspirateur en tenue de soubrette comme le font les nanas dans les films russes, fis-je en riant, tu peux être sûr que je ne te sauterais pas dessus, Lev.

Cette image le fit participer à mon hilarité, puis nous nous retrouvâmes silencieux, à écouter le seul bruit ouaté de la neige qui nous parvenait de dehors.

— Tu n'as pas eu mal ? finit-il par me demander.

Je secouai la tête. Bien sûr, j'avais eu mal : son sexe était tellement imposant ! Mais il s'était montré très attentionné. Et j'avais été si excitée...lorsqu'il s'était retrouvé nu devant moi, si beau et conquérant dans sa chair virile, je l'avais accueilli sans la moindre hésitation.

— Tu ne regrettes pas ? me demanda-t-il encore.

Je me tournai vers lui. Il avait l'air inquiet. Les hommes sont si fragiles, sur ces questions là !

— La seule chose que je regrette, c'est d'avoir attendu tout ce temps. J'ai beaucoup aimé, Lev. 

Une fois rhabillés, la pièce rangée et le ménage fini, nous regardâmes la télé en mangeant des spaghettis à la pâte d’œufs de saumon. Lev ne me demanda pas d'explications sur mon départ, se contentant de prendre des nouvelles de ma mère d'une voix distraite. Il n'est pas dupe, pensai-je, il sait parfaitement que j'ai bien failli le quitter.

Il s'assoupit un moment à la fin du film, un drame américain niais, la tête sur mon ventre. Je siégeai dans le canapé, assise en tailleur, la télécommande posée sur l'accoudoir à mes côtés et une bière dans la main, l'autre jouant distraitement avec les cheveux et l'oreille de Lev qui avait réussi par je ne sais quel miracle à replier son mètre quatre-vingt-sept en position fœtale sur le divan. À la façon dont ses mains accrochaient le large t-shirt que je lui avais piqué, je sentais bien à quel point il avait flippé pendant mon absence. Je le regardais dormir, encore incrédule. Je ne parvenais pas à relier je ce que je savais de Lev avec l’histoire incroyable d’Erik. Comment ce dernier avait-il pu se convaincre que cet homme si gentil était un dangereux psychopathe immortel ?

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