La fin de la Garde Blanche

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Le combat sans merci entre Chovsky et Ulfasso avait duré toute la nuit. Déjà l'aube se levait, dardant ses premiers rayons sur le lac majestueux derrière nous. Je me précipitais au chevet de mon ami, dont le sang s'écoulait par flots. Le féroce et impitoyable Ulfasso ne l'avait pas raté : il était couvert d'entailles profondes des épaules jusqu'aux bras, même au visage, et il avait été transpercé juste sous le plexus, la lame ayant traversé l'armure comme dans du beurre.

— Chovsky, lui criai-je en tentant de calmer la panique dans ma voix. Tu m'entends, Chovsky ?

Ce dernier, qui hoquetait du sang, déplaça son regard à présent vitreux sur moi.

— Erik, murmura t-il en attrapant mon bras. Tu dois arrêter Ulfasso... Quoiqu'il arrive, tu dois l'empêcher de détruire la Russie. Tue-le, et donne lui la paix. Nous nous retrouverons au Ciel, tous les trois, Ulfasso, Irvine et moi.

Sentant les larmes me monter aux yeux, je jurai, me faisant le serment intérieur que ce serait là ma dernière promesse.

— Ulfasso était mon ami, continua-t-il en levant les yeux au ciel. Comme Irvine, il a juste été frappé par cette malédiction sans nom qui fait tomber les héros lorsqu'ils sont au sommet. Il n'est pas mauvais... Donne lui la paix, Erik, et sauve la Russie. Je compte sur toi.

Prenant alors ma main, il la referma sur la poignée de son yatagan, cette arme si caractéristique qu'il ne quittait jamais.

— Fais ce que je t'ai dit. Puisse le Ciel te seconder dans ta tâche.

Il me fit un sourire éclatant, qui éclaira son visage, puis il rendit l'âme.

— Non, murmurai-je alors en le secouant, incrédule. Ne me laisse pas... Je ne peux pas venir à bout d'Ulfasso seul... Chovsky, non !

Ma supplique se termina sur un hurlement, alors que je réalisais que mon seul véritable ami, Anton Zakharine Chovsky, venait de rendre l'âme. Les nuages choisirent de rendre leur oraison funèbre à ce grand héros injustement méconnu à ce moment précis, déversant leurs larmes sur son visage, qui vinrent se mêler aux miennes. Le dernier capitaine de la Garde Blanche, cette armée au destin glorieux et tragique, n'était plus. Anton Zakharine Chovsky, le guerrier droit et brave qui avait acquis le respect de l'orgueilleuse noblesse russe par la seule force de son bras, venait de rejoindre les hauteurs célestes.

Je m'écroulai sur son corps, intarissable. Notre quête s'arrêtait là. Moi seul, je n'avais absolument aucune chance de vaincre Ulfasso, dont la puissance comme la folie augmentaient de minutes en minutes. Comment l'arrêter ? Du reste, il pouvait bien s'emparer de la Russie, décapiter le tsar, déclarer la guerre à la terre entière et faire régner la terreur, en quoi cela me concernait-il ? J'avais toujours vécu dans l'ombre des autres, rêvant éveillé à de grands exploits en voyant les autres écrire l'histoire à ma place. Je n'avais plus de pays, plus de guide, plus rien. Contrairement à Chovsky, je n'étais pas de taille à jouer avec Ulfasso dans la cour des grands. Et même lui, Chovsky, avait été vaincu par ce dernier : il était mort pour rien.

Alors que j'étais pris dans ces sombres pensées, totalement détruit, ma main buta sur la poignée de l'épée de mon maître et ami. L'ayant oubliée, je relevai les yeux vers elle, stupéfait. Cette arme avait été le meilleur compagnon de Chovsky, son âme. Il ne s'en servait que très rarement, seulement lorsque la situation l'exigeait, disant que les meilleures lames ont un âme qu'il faut invoquer avec parcimonie. Elle se trouvait là à présent, inutile, condamnée à être enterrée avec le corps de son compagnon par un gamin qui ne pouvait même pas la soulever.

Je vais l'enterrer avec lui, pensai-je en me relevant, et je me mis au travail dans la cour même du château en ruines, qui avait acquis à la lumière du jour une paisible aura. Mais ayant terminé, lorsque je voulus la soulever pour déposer Chovsky dans la fosse, je me rendis compte que je pouvais la manier aisément, comme si elle avait été faite, finalement, pour moi. Ces dures années au sein de la défunte « Garde Blanche » et les entrainements incessants que m'avait imposé mon maître d'armes m'avaient forgé une musculature me rendant à même de manier ces lourdes épées russes.

Je jetai un regard à mon ami, qui, toujours allongé par terre, semblait sourire. Tu m'as bien eu, pensai-je. Tu me forces à respecter mon serment.

Je me baissai alors sur son corps, défis le fourreau qui était attaché par une lanière en travers de sa poitrine, l'attachai à ma mienne et empoignai l'épée, avant de la faire basculer dans mon dos comme j'avais si souvent vu mon capitaine le faire. Elle ne pesait rien : j'étais à présent capable de la porter.

Je sauverai la Russie, Anton Zakharine Chovsky, lui promis-je alors, je le ferai pour toi. J'arrêterais Ulfasso, quoi qu'il arrive, dussè-je y laisser mes dernières forces.

Chovsky m'avait appris à me regarder en face, grâce à lui, j'étais devenu un homme et un guerrier. Je lui devais tout.

Je décidai de ne pas l'enterrer, et le portant sur mes épaules, je le déposai sur une barque près du lac en contrebas, les mains croisées sur le manche de ma propre épée, avant d'y déposer une torche enflammée et de la laisser voguer sur l'eau. Ce sont des funérailles de viking que tu mérites, Chovsky, pensai-je en regardant la barque prendre feu au milieu du lac. Ceux des sagas, car tu étais un héros comme il n'en existe que dans ces dernières.

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