Partie 02 : Babette

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Plantées sur leurs chaises antiques à hauts dossiers dans un immense salon ayant traversé les époques, Dilane et Fanta se complaisent dans un silence un peu gêné. La demeure de Babette de Moustier force le respect et l'admiration des riverains devant les parterres de fleurs, d'arbustes et d'arbres centenaires s'offrant à leur vue au quotidien. Une grande bibliothèque massive couvre un pan de mur entier, abritant des ouvrages visiblement de grande valeur puisque reliés en cuir, des tapis aux motifs légèrement délavés et de tailles variables se superposent, le plafond s'habille de poutres claires et bien entretenues, la grande table en chêne rectangulaire ajoute à la démesure du lieu et, en son centre, trône un joli bouquet de roses immergé dans ce qui devait servir autrefois de grande cafetière en porcelaine ornée de fleurs, elle-même déposée sur un petit empilement de livres sans âge narrant vraisemblablement de belles histoires d'amours lyriques et romantiques à souhait. Un lustre imposant surplombe l'ensemble et interpelle Dilane : ce ne sont pas des bougies ou même des simples pampilles qui le décorent, mais des verres à pieds assemblés judicieusement, conférant à l'objet une silhouette particulièrement arrondie et féminine... à l'image de Babette qui arrive finalement à grands renforts de chantonnements légers.

Rondelette et de petite taille, cette dernière arbore un visage presque enfantin. Son regard pétillant ne manque cependant pas de malice et de ruse. De belles lunettes pointues vers l'extérieur surmontent son nez en trompette, et ses cheveux violets sont soigneusement tirés sur le haut de sa tête en un chignon fixé à l'aide d'une baguette chinoise et ce qui ressemble à un stylo. Vêtue d'un legging noir, d'une tunique souple multicolore et de baskets montantes à faire pâlire de jalousie les plus adeptes de la dernière mode, Madame de Moustier démontre clairement que les qu'en dira-t-on du village n'atteignent pas le moins du monde son envie de fantaisies.

Toute fière de déposer devant ses invitées son plateau débordant de tasses de café et de tout un assortiment de biscuits, Babette s'installe en face de Dilane et lui sourit offre un magnifique sourire bienveillant. Les craintes de la jeune femme commencent alors à s'envoler, et la vieille dame entame la conversation.

- Alors, comme ça, tu es la petite-fille miraculée de Fanta ? J'ai beaucoup entendu parler de toi ! Combien de fois ton papa m'a-t-il montré des photos de toi ! Qu'est-ce qu'il taimait, cet homme ! Tu peux être fière de lui ; c'est un héros ! Tu es d'accord avec moi, Fanta ? Tu sais, notre amitié dure depuis... pfff ! très longtemps maintenant, avant même que je ne rencontre mon défunt mari Lucien, c'est pour dire ! Ta grand-mère est la seule amie sur laquelle je puisse compter. Elle ne m'a jamais laissée au bord du chemin, comme je lui ai toujours tendu la main, n'est-ce pas Fanta ? C'est une femme extraordinaire et teeeeeellement gentille ! Et discrète aussi ! Bon sang, tu pouvais déjouer l'attention de tout le monde, c'était innnnncroyaaaaaable ! Il faut vraiment que tu te joignes à nous quand j'organise mes après-midi entre femmes, ou même en soirée ! Mo peut bien se débrouiller quelques heures sans toi, après tout ce que tu as fait pour lui ! Entre deux mojitos maison, tu ne raterais rien des potins qui courent ! Oh, à ce propos, rappelle-moi que j'ai beaucoup de choses à te raconter au sujet de mon rendez-vous passé avec Armand ! Mais siiii, tu saiiiis, celui qui porte encore un veston comme s'il était de noces tous les jours de la semaine ! Oh, il a été... plus que charmant... si tu vois ce que je veux dire... Ahahahahahahahahahahah ! Olympe et Célestine ont joué les prudes effarouchées quand je les ai mises dans le secret, mais nous nous sommes amusés comme des petits fous, lui et moi ! Tu le sais aussi bien que moi : à notre âge, nul besoin de s'embarrasser des convenances, faisons ce qui nous plaît ! Je me souviens de ce que me disait ma bonne maman : "Babette, la vie, c'est comme un bonbon, une fois déballé, ne résiste pas à le dévorer ! " Je pense qu'elle ne croyait pas si bien dire ! Ahahahahah ! Pris dans mes filets, le gentil Armand a virevolté ! Ahahahahahahah ! Oh ! Mais, attendez, je manque à mes obligations ! Servez-vous ! Servez-vous !

Fanta part d'un rire léger et prend le relais.

- Babette...

- Oh, appelle-moi Bet', comme d'habitude, sinon, j'ai l'impression d'avoir le même âge que Gandalf !

- Ahahahaha ! Ok, Bet'... Je t'ai présenté Dilane parce que j'ai non seulement envie que tu fasses sa connaissance, mais également parce que j'aurais besoin que tu me rendes un service.

- Mais bien sûr ! Je t'écoute.

- Dilane voudrait passer du temps avec nous, puisque nous sommes la seule famille qui lui reste du côté paternel.

- Oooooooh...

- Seulement, nous sommes tombés d'accord sur la nécessité de lui trouver un travail dans les environs et...

- Ah, je vois ! Il se trouve justement que j'ai besoin de quelqu'un pour assumer les fonctions d'hôtesse pour les chambres d'hôtes que je rénove une par une. Dilane, te plairais-tu dans ce milieu ?

La jeune femme acquiesce lentement et pioche une énième fois dans la boîte de biscuits que lui tend Babette.

- Bon ! Eh bien, c'est réglé ! Allons les visiter ! Allez, Fanta, suis-moi !

- Oh, Bet', je reviendrai un peu plus tard, mais je te remercie pour ton soutien. Je vous laisse faire plus ample connaissance. Dilane, à tout à l'heure. 

Fanta embrasse sa petite-fille sur la joue et se retire discrètement, et d'un bon pas, comme à son habitude. 

Prestement, Babette prend sa boîte de biscuits sous un bras et passe sous celui de Dilane pour la mener avec entrain à l'intérieur du corps de ferme attenant à la maison. Toute de pierres bâtie, la récente rénovation de sa façade lui donne un air champêtre et buccolique chic au beau milieu de cette petite bourgade de Dordogne.

- Bon, pour l'instant, seules deux chambres sont disponibles car les autres sont réservées pour les travaux. Tu commenceras donc en douceur, d'autant plus que ce ne sont pas les plus demandées. J'ai contacté un entrepreneur dont l'amplitude d'action s'étend sur tout l'ouest du pays. Tu seras évidemment amenée à le croiser, lui et ses ouvriers, d'ailleurs. Si j'avais eu quarante ans de moins, je l'aurais fait virevolter, lui aussi ! Ahahahahahahahah ! En tous cas, à la moindre hésitation, n'hésite pas à me consulter, d'accord ?

- Oui, Madame.

- Oh, appelle-moi Bet' aussi ! Pas de froufrous entre nous ! Tiens, prends donc un biscuit ! Là ! Tu l'auras compris, j'aime ces douceurs, les cocktails, les hommes et danser jusqu'au bout de la nuit ! Ou, tout du moins, tant que ma prothèse à la hanche me le permet ! Ahahahahahahahah !

- Ahahahah...

- Maintenant que les formalités sont accomplies, pourrais-tu répondre à une question ?

- Je ferai de mon mieux. Allez-y.

Babette s'approche de Dilane et, sur le ton de la confidence, sort de sa poche un smartphone dernier cri qu'elle tend à la jeune femme en chuchotant.

- ... Sais-tu comment on fait un selfie ?


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