Partie 01 : Réveils

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Couverte d'un châle différent de la veille, beaucoup moins coloré, les traits tirés et les épaules un peu basses, Cosmina rejoint tranquillement son petit frère qui se jette immédiatement à son cou. Le temps semble l'avoir marquée en quelques heures, lui conférant une aura légèrement différente et tremblante. Ses yeux paraissent moins vifs ; même la lumière du jour naissant ne capte plus autant la beauté juvénile et innocente qui la portait encore la veille. Dilane s'approche du duo, aperçoit les yeux rougis de la jeune mariée, et comprend.

- Bonjour, Cosmina.

- Bonjour.

- ... J'avais donc raison, n'est-ce pas ? Nous ne pourrons plus nous voir ?

- Si, bien sûr... simplement... c'était étrange...

- Que s'est-il passé pour que tu sois dans cet état ?

- Rien ! Rien de mal ! ... Je ne m'attendais pas à ce que cela se déroule... de cette façon...

- Il t'a violentée ? Il t'a fait mal ? Tu es blessée ? Dis-moi...

- ... Non...

- Alors que s'est-il passé ?

- Marius... s'est comporté comme un homme de chez nous... Écoute, tu sais aussi bien que moi que c'est un sujet un peu tabou, pour nous. Grand-mère n'a absolument pas pris la peine de m'expliquer tout cela une seule fois... Nous sommes toutes gênées d'en parler à d'autres femmes, même si elles font partie de la famille et...

- ...

- Je suis une femme, maintenant. Par mon mariage... et toi...

- Oui, je sais bien... Je suis une bâtarde...

- Non ! Non, ce n'est pas ce que je voulais dire ! Qui a bien pu te convaincre de ça ? C'est horrible !

- Alors, qu'est-ce qui te pose problème ?

- ... J'ai encore moins le droit d'en parler à toutes celles de la communauté qui ne sont pas encore mariées... Mais pour le reste, rien ne change, souviens-toi...

- Si, Cosmina... Tout est différent à présent... Mais tu peux te confier à moi ; je tiendrai parole... On se fiche bien de ce qu'ils peuvent dire ou penser...

- ... J'accorde une très grande importance à respecter scrupuleusement nos traditions... Tu comprends, c'est tout ce qui me reste de mes parents depuis qu'ils sont partis chercher du travail en Angleterre... Je n'ai pas une idée exacte de leur lieu de résidence... Ni de contacts réguliers... Et je dois prendre en charge Cezar... Je dois faire plaisir à la famille, à grand-mère qui nous a tous recueillis... J'essaie de tout mon cœur de me montrer reconnaissante... Et quand mon premier enfant sera né, j'affirmerai mon rang...

- Tu as donc hâte de connaître tous ces bouleversements ?

- ... Je dois bien t'avouer que j'ai surtout peur de ne pas être à la hauteur de toutes ces attentes... Mais oui, je veux des enfants rapidement, évidemment...

- Tu ne voudrais pas d'abord découvrir ton nouveau quotidien ? Prendre le temps de...

- Prendre le temps de quoi ?! Nous nous marions toutes vers cet âge-là, Dilane ! Tu devrais d'ailleurs sérieusement y réfléchir ! Les enfants sont un cadeau du ciel ! Il est temps pour moi de fonder un foyer, une famille nombreuse, idéalement ! Marius en veut au moins quatre...

- Et toi ?

- ... Je n'ai pas à discuter ses désirs... S'il en veut autant, je les porterai... C'est mon devoir d'épouse... J'ai été très chanceuse jusqu'à présent...

- Et si ton premier nourrisson est une fille ? Il en sera mécontent, c'est ça ?

- ... Je fais confiance à ma bonne étoile pour me donner au moins un garçon en bonne santé...

- Et dans le cas contraire ?

- Ne me porte pas le mauvais œil, Dilane ! Tu devrais plutôt songer à prendre le même chemin que moi ! Il est grand temps pour toi de t'établir ! C'est la coutume ! Voudrais-tu devenir vieille fille ?!

- ... Je suis désolée si mes questions t'ont heurtée... Je pensais qu'elles te trottaient dans la tête également...

- ... Quand bien même... Il est trop tard... Et parfaitement inutile de s'en inquiéter... Bon, je te remercie d'avoir veillé sur Cezar...

- ... Pourquoi es-tu aussi nerveuse ?

- Je ne le suis pas ! Pas du tout ! C'est probablement la fatigue de ces trois derniers jours, je suis déjà épuisée...

- ... Si tu le dis...

- Bon... je dois m'occuper du linge de Marius et puis du mien...

- As-tu besoin que je t'aide ? Grand-mère peut bien attendre un petit moment.

- Oh, surtout pas ! Je suis contrainte de laver mes affaires à part... comme je dors avec un homme, maintenant... enfin, tu sais... devenir une femme signifie que nous sommes perçues comme souillées... alors le rituel de la lessive est très strict à ce sujet... Il m'est interdit de nettoyer mes robes, mes sous vêtements et mes jupons avec les chemises ou les pantalons de Marius... Grand-mère a vraiment beaucoup insisté sur ce point... C'est très important... Une importance capitale, sinon, il faut les brûler... Le haut diffère du bas... Tout comme l'intérieur avec l'extérieur...

- Alors, quand pourrai-je te revoir calmement ?

- ... Surement quand j'aurai terminé toutes mes corvées pour nous... Ne t'inquiète pas, je ne vais pas m'envoler !

- J'aimerais planer, moi. Découvrir, explorer et réapprendre la vie à l'extérieur de cette communauté.

- Ne dis pas de bêtises, Dilane ! Tout le monde est heureux, ici ! Et tu penses à Cezar, si tu t'en vas ?

- ... Ah, Marius te regarde...

- Je dois y aller ! À plus tard !

Surprise et perplexe quant au contenu de sa brève conversation avec sa cousine, Dilane reste un instant immobile, observant Cosmina s'affairer avec un empressement et un entrain extrapolés à ce qui ressemble pour la jeune fille à un enfermement cyclique, dénué de toute vertu ou de réjouissances... Un cycle monotone et contrit, consenti jusqu'à la fin de ses jours... Elle s'aperçoit alors que Marius s'est figé aux côtés de Dragos, concentrant son attention sur elle. Pressentant qu'il serait en l'occurrence plus pertinent de faire profil bas, Dilane s'en détourne et, comme muée par une intuition fugace lui ordonnant de ne pas rester seule, prend place aux côtés de son arrière grand-mère Sorina, en pleine contemplation du paysage forestier lointain.

Cette dernière l'accueille d'un regard doux et assuré, un sourire déridant ses lèvres minces, comme si elle avait saisi l'urgence toute particulière de cette tranche de vie. Après quelques secondes comme suspendues dans le temps, Sorina passe délicatement sa main dans les boucles rebelles de Dilane, régulièrement et en silence, tout en continuant à fumer sa pipe. Les deux femmes n'ont jamais ressenti la nécessité de partager leur affection évidente avec de vaines paroles. Leurs silences de connivence ont toujours été intenses de complicité, à la grande incompréhension d'Ilinka, désireuse, avec maladresse, de partager une entente aussi puissante avec sa descendante.

C'est dans la douceur de ces gestes insignifiants pour le plus grand nombre que Dilane se plonge à nouveau dans ses divers questionnements, concentrée sur cet horizon tout à coup terriblement lointain...









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