Chapitre 4 : Un doigt bien levé

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La matinée passe à une vitesse folle. J'ai à peine le temps de discuter avec les professeurs à la fin des cours. A la pause de midi, je rejoins Sarah qui m'attend à notre table. Je la vois me faire de grands signes, un large sourire plaqué sur son visage d'ange.
Sarah m'a prise sous son aile quand j'ai débarqué d'Espagne à l'âge de huit ans. Mon anglais était plus que mauvais mais avec son aide, j'ai réussi pas à pas à aligner les mots correctement. En échange, je lui apprenais quelques mots d'espagnol. Je me rappelle avoir été l'attraction de l'école pendant plusieurs semaines jusqu'à ce que Maxence arrive avec ses gros sabots et envoie bouler tous ces idiots. Depuis ce temps, on forme un trio assez bizarre et fort. Mais, les parents de Max ont décidé qu'il était plus judicieux qu'il fasse ses années de lycée dans un établissement privé, dans son quartier. Autrement dit, plus on est éloignés, mieux c'est.

- Salut Andy ! Alors ce début de semaine ?

- M'en parle pas ! On a attaqué la mécanique en physique...

Sarah éclate de rire avant de poser une main sur sa bouche. Elle essaye de s'excuser mais repart de plus belle. Je m'assoie en face d'elle et pose mon déjeuner sur la table. Sarah n'est pas au courant de mon cauchemar. Je prefère ne pas l'embêter avec ça.

- Vraiment l'enfer ça ma pauvre ! J'espère que Dieu est avec toi !

- Que Dieu aille en enfer ! S'il était assez intelligent, nous n'aurions pas ça au programme, je grommelle.

Nous attaquons notre repas tout en continuant à discuter. Sarah m'apprend que son frère, James, a enfin pu reprendre le basket après s'être tordu le genou.
James était le joueur favori au lycée et grâce à tous ses efforts, il a été recruté par une université qui lui paye ses années d'études en échange d'un contrat de deux ans. Plutôt beau parcours pour quelqu'un qui était destiné à reprendre le garage de son père adoptif.

- Max m'a prévenu que lui et ses parents partent en France cette semaine, vendredi au plus tard. Il m'a sorti l'excuse officielle, celle de la réunion de crise mais...

- Quoi ? Quand est-ce qu'il t'a dit ça ?

- Tu n'étais pas au courant ?

- Tu crois que je suis comédienne ? m'exclamé-je en levant les mains au plafond.

Je prends ma tête entre mes mains et souffle un bon coup.

- Excuse-moi... On s'est quittés en froid vendredi dernier.

- Il s'est passé quoi ? demande ma meilleure amie.

- Des mots sont sortis trop vite de ma bouche...

- T'en fais pas, il te pardonnera. Il sait que tu ne les pensais pas.

Le problème, c'est qu'au fond de moi, je les pense réellement. Mais c'est tellement dur et horrible d'entendre ça, que je comprendrais s'il ne me parlait plus jamais.
Je fixe Sarah. Elle attend de pouvoir enchaîner. Je l'aime pour ça. Elle ne pose pas de question. Elle me comprend.
Je lui fais un léger signe de la tête, elle reprend.

- Samedi soir, il m'a expliqué qu'il n'allait pas revenir avant un moment. Il a laissé sous-entendre que ses parents ont vendu le loft.

- Mais c'est du n'importe quoi !

- Quand il m'a appelée, il était dans un de ces états. Je ne savais pas quoi faire Andy...

- ¡ Joder de mierda ! (Putain de merde !)

Dans un élan de colère, j'envoie valser mon reste de sandwich par terre. Ce n'est pas possible !
í Dios Mio ! Comment ses parents peuvent-ils faire ça !
Je me lève de ma chaise qui tombe au sol dans un bruit sourd. Les discussions cessent et les regards sont braqués vers nous.

- Vous voulez ma photo ? crié-je.

Tous retournent à leur occupation en baissant la tête. Tous sauf une personne. Au fond du réfectoire, son regard essaye de me percer à jour. Je serre et desserre les poings sans le lâcher du regard. Puis, avant de ramasser ma chaise et de reprendre place à table, je lui lance un majestueux doigt d'honneur.
Mon sang chaud d'espagnol semble me rattraper. Comme m'a toujours dit mon père, on ne peut pas cacher éternellement nos origines. Penser à lui me fait mal, mais je ferme les yeux sur cette sombre pensée. J'ai assez donné la nuit dernière.

Sarah pose une de ses mains sur la mienne pour essayer de me calmer. Je repense alors à cet exercice. 1, 2. J'inspire. 3, 4. J'expire. Je le fais pendant quelques minutes avant de reprendre enfin mes esprits.

- Est-ce qu'on peut empêcher... ça ?

- Si oui, je ne vois pas comment Andy...

Pourquoi, lorsque je suis née, on ne m'a pas prévenu que les proches filaient entre les doigts comme des grains de sable ? Trop facilement, trop rapidement.
Je soupire et attrape mon sachet d'abricots secs. J'en croque un, le regard dans le vide.

- Je peux savoir ce que c'était ce cirque tout à l'heure ?

- Salut, moi c'est Sarah. T'es qui toi ? lance mon amie en jugeant le garçon de haut en bas.

Les deux s'observent longuement.

- Ryan.

Il a fallu que je connaisse son prénom seulement lorsque Sarah l'a demandé. Pathétique.
Il se tourne vers moi et tente d'attraper mon regard qu'il n'obtient pas.

- West, c'est quoi le problème ?

- West ? rigole Sarah.

- Quoi ? grogne-t-il.

- Non, rien vas-y. Tu as toute notre attention, Ryan.

Il grommelle plus ou moins une réponse, comprenant que mon amie se moque de lui puis m'attrape le bras pour que je le regarde.

- Oh, tu me réponds West ?

Sarah me regarde du coin de l'oeil, me demandant si elle doit intervenir. Je secoue légèrement la tête. Je pense pouvoir gérer.

- En fait, ça ne te regarde absolument pas, Ryan. On n'est même pas amis, alors ça peut te faire quoi ?

J'attrape le bras de mon amie et l'attire loin de lui. Sarah jette un dernier coup d'oeil derrière nous avant de réellement me suivre.
Nous entrons dans les premières toilettes que nous croisons. A l'intérieur, des filles se refont une beauté.

- Allez, dégagez ! crié-je. Ce n'est pas un salon de coiffure ici.

Les trois filles me lancent chacune un regard noir avant de quitter les lieux, la tête haute. La fierté les tuera un jour.

- Bon, tu m'expliques... West.

Je souffle quand elle prononce ce prénom. Puis, avec le peu de courage qu'il me reste, lui raconte tout depuis le début. Il n'y a pas grand chose à raconter, mais chaque détail semble être important à ses yeux.

- En tout cas, moi je suis prête à t'appeller West si ça me permet de pouvoir reposer mes yeux sur son beau corps.

Je lui donne une tape sur l'épaule en riant à sa remarque. Sarah a toujours été comme ça. Toucher à tout ce qu'elle trouve de beau. Au collège, quand j'ai commencé à comprendre que chez elle, être populaire était naturel, je me suis demandé ce que je faisais avec elle. Puis, j'ai très vite compris que ce n'était pas ce système de popularité qui devait définir une amitié. Même si elle sort tous les quatre matins avec quelqu'un de différent et que moi j'ai dû avoir deux relations dans ma vie, on ne s'arrête pas d'être amies pour autant.

- Bon ce n'est pas tout mais moi j'ai cours d'espagnol je te rappelle, miss "j'ai-pas-cours-avant-quinze-heures" !

- Ce n'est pas moi qui ait choisi espagnol approfondi !

Je m'installe à ma place habituelle et attends que les autres fassent de même. Le professeur a la tête plongée dans son sac. Il fouille plusieurs minutes avant de sortir, tout fier, un tas de copies. Il veut une médaille peut-être ?
Il nous fait son petit discours de début d'heure et nous rend les copies. Des "minables", "mauvais" et "tu t'es trompé de matière" résonnent pendant sa distribution. Lorsqu'il arrive à ma table, il me fixe droit dans les yeux et s'exclame:

- Je m'attendais à mieux.

Je me jette sur ma copie. D. C'est une blague j'espère ! J'ai travaillé plusieurs heures et je récolte la médiocre note D ! Mon sang, comment peut-il noter aussi sec le travail d'une pure espagnole ?

- Je peux savoir pourquoi j'ai eu cette note ? m'exclamé-je.

- La prochaine fois, vous lirez mieux la consigne Señorita García, grince-t-il.

Je roule en boule ma copie et la fourre au fond de mon sac. Qu'il aille en enfer ce prof !
Il s'approche du tableau et commence une nouvelle leçon. Aujourd'hui on étudie Guernica. Je devrais sauter de joie mais Monsieur Satan m'en a coupé l'envie.

Mes doigts triturent le bord de ma table lorsqu'ils se posent sur un chewing-gum. Je frissonne et essuye mes doigts sur le mur. Beurk !
Je passe discrètement ma tête sous la table pour voir l'horreur. J'aperçois au fond un papier vert. Je me souviens alors de vendredi dernier. J'en avais mis un mais il était blanc. Attiré par lui, je plonge ma main dans ce champ de chewing-gums puis la retire une fois sûre d'avoir attrapé ma trouvaille.
Je redresse la tête. OK, la voie est libre. Je déplie lentement le papier. Ce n'est pas mon écriture, c'est sûr. Les lettres sont plus épaisses et écartées que les miennes. Ce ne sont pas mes mots mais ceux d'un autre.

"Je suis d'accord. J'ai pas signé pour une vie merdique."

KL.Phoenix

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