Chapitre 2 : Dans l'unité est la force

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Maxence est assis en tailleur, en haut d'une des rampes du skatepark. Son regard plonge au loin et ses cheveux blonds de surfeur volent au vent. Sa main droite triture son pendentif Maori Hei Matau en os qu'il a rapporté de Nouvelle Zélande il y a déjà deux ans. C'est là-bas qu'il est tombé amoureux de la glisse en tout genre mais surtout amoureux de la mer. Il rêve depuis ce jour d'y repartir et de s'y installer. Il ne s'est jamais senti aussi libre que dans ce pays. Et pourtant, il n'en a jamais parlé à ses parents. Je le comprends. Ils sont bien trop étroit d'esprit pour comprendre son rêve. Eux le voient dans cinq ans maximum reprendre la firme familiale à Paris. En attendant d'avoir dix-huit ans, il se plie à contre coeur aux exigences familiales. Repas, soirées mondaines. Réunions d'entreprise les week-end et cours la semaine. Cela lui laisse très peu de place pour les sorties entre amis. C'est pour cela qu'il déteste le retard : ça lui enlève des minutes de liberté.

Maxence doit sentir ma présence car il secoue sa tignasse et tourne son regard brun dans ma direction. Pendant un quart de seconde je vois de la rancoeur dans ses yeux mais elle est vite remplacée par ses célèbres yeux rieurs. Il glisse le long de la rampe et me rejoint en trois enjambées.

- T'en as mis du temps Andy !

- Désolée, j'ai eu un accident.

- Quel genre d'accident ? T'as l'air intacte, rit-il.

- Le genre où je rentre dans une voiture presque à l'arrêt avec mon skate parce que j'étais trop pressée de voir ta tête de beau gosse.

Il me regarde avant d'éclater d'un rire franc. C'est bon, on est parti pour un le quart d'heure "Andy foutage de gueule". J'en ai l'habitude depuis le temps ! Mes aventures sont des trésors pour lui. Il les attend tous les vendredis. Je suis même pratiquement sûre qu'il les recopie quelque part dans un carnet juste pour me mettre la honte plus tard, quand on sera vieux.
Il me fait signe d'approcher et me prend dans ses bras. J'y plonge avec plaisir et me perds dans son sweat bleu.

- Tu sais que j'ai réussi à jouer un mauvais tour au conducteur, je lance fière de moi.

- Ah oui ? Quel genre de tour ?

Il s'écarte de moi et me sonde. Il pose un doigt sur mes lèvres avant que je n'ai le temps de lui répondre et secoue la tête. OK, il veut encore tester son foutu pouvoir. Enfin j'hésite encore entre super pouvoir et juste me connaître par coeur.

- Je suis sûre que tu lui as menti sur ton prénom.

- Pardon ? Comment tu fais !

- Un magicien ne dévoile jamais ses secrets... Tu devrais le savoir à force.

Je lui donne une tape sur l'épaule puis enfourche mon skate. Maxence me suit de près. Nous glissons sans parler, entendant juste le son des roues sur le bitume et le métal pendant près d'une heure. C'est dans ces moments-là que je me sens réellement en paix avec moi-même. Je me sens à nouveau proche d'eux. Peut-être que c'est ce qui m'a forcé à commencer le skate il y a déjà trois ans.

Quelques bleus et égratinures plus tard, Maxence me lance une bouteille d'eau qu'il a sortie de son sac. Je bois une gorgée et me rue sur mon paquet de cigarettes. Je sens le regard de mon meilleur ami se poser sur moi. Je sais qu'il n'aime pas me voir fumer. Mais, il comprend qu'il doit se taire et encaisser le fait que certaines choses ont réellement changé. Ça n'a jamais été vraiment simple pour nous. Je ne nous plains pas. Je n'aime pas la pitié.
Maxence a un avenir solide déjà tracé grâce à ses parents. Il deviendra le successeur de l'entreprise New Horizon de son père et habitera dans un grand loft à Paris. C'est plutôt rassurant même si ce n'est pas son rêve. Il pourra quitter le quartier de Midtown qu'il n'aime absolument pas. En quelque sorte, cela lui permettra de repartir à zéro sur certains points.
Moi, j'ai mes deux frères. Le grand Ander veille sur moi malgré le fait qu'il passe la plupart du temps en coup de vent à notre appartement à SoHo, préférant trainer dans les rues délabrées et sombres de Manhattan avec ses potes. Et le petit Lucas, avec qui, il est facile de rire et d'oublier quelques minutes les tracas du quotidien. C'est un peu le pitre de la famille. Il en faut toujours un, je pense. Et puis, mes deux meilleurs amis sont là : Maxence par téléphone et le week-end quand il peut, Sarah en semaine 24h/24. Ils m'empêchent de me prendre trop la tête comme j'ai tendance à faire et m'aident à rester la tête hors de l'eau, hors de tous ces problèmes qui me rattrapent sans cesse.

- Je vais devoir bientôt partir Andy.

Je me tourne vers Max, le regard encore ailleurs. Je regarde l'heure sur mon téléphone. En effet, il est déjà bien tard pour lui. Il ne peut pas rester longtemps dans mon quartier. D'après ses parents, il n'est pas assez bien. On peut en déduire que je ne suis pas assez bien non plus pour lui. Mais bon, on se passera de commentaire.

- Je sais.

Une boule se forme dans ma gorge, m'empêchant de dire plus que ça. Max le sent et m'entoure de ses bras pendant quelques secondes.

- S'il y a un problème cette nuit, tu m'appelles d'accord ?

- Comme d'habitude, oui.

Son regard me sonde. Je vais bien Max, je vais bien. Mais il n'y a pas besoin d'être devin pour savoir que c'est un mensonge. Je ne sais même plus ce que ça fait d'aller bien.

- Est-ce que Ander rentre ce soir ?

- J'en sais rien. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis mercredi.

Sa mâchoire se contracte, ses points se serrent. Max n'a jamais aimé Ander. Il le trouve trop égoïste et pas assez protecteur envers Lucas et moi. Même si je lui ai déjà dit qu'on avait chacun sa façon de faire le deuil, ça ne lui suffit pas. Selon lui, on mérite mieux qu'un petit con de trafiquant comme frère. Si je ne l'avais pas menacé plusieurs fois, il l'aurait déjà dénoncé.

- OK, je reste cette nuit chez toi !

- Quoi ? Non, tu vas rentrer chez toi comme c'était convenu ! Déjà que tes parents ne me portent pas plus que ça dans leur coeur, je n'ai pas envie qu'ils t'interdisent de venir dans mon quartier !

- Tu sais qu'ils ne m'empêcheront jamais de te voir ! Ils ne sont pas si horribles que ça.

- Bien sûr que si, ils le peuvent. Ils peuvent même détruire notre amitié s'ils le veulent. Pour eux, elle n'a jamais eu lieu d'être. La raison pour laquelle on traîne encore ensemble, c'est lui ! Et peu importe ce que tu peux leur dire, ils ont trop de pouvoir sur toi Maxence. Nous le savons tous les deux.

Ses yeux deviennent vitreux, se détournent de moi. Je viens de le blesser. Ce n'était pas mon intention, mais parfois je parle plus vite que je ne réflechis. Je n'ai pas le droit de le faire souffrir.
Sa mâchoire se sert, ses yeux se ferment. Puis, sans même dire quoi que ce soit, je sais ce qu'il va faire. Il souffle, attrape son sac. Ses yeux me reprochent mes paroles.
Pour lui, l'optimiste qu'il est, ses parents arriveront bien à comprendre un jour à quel point notre amitié est importante pour lui. Mais, jamais je ne peux m'arrêter de me demander ce qui maintient notre amitié en place depuis tout ce temps. C'est un futur homme d'affaire. SoHo n'est pas et ne sera jamais son monde. Et pourtant, j'ai toujours l'impression que la vie s'est trompée sur son compte. Peut-être que j'ai toujours été sa pièce manquante. Celle qui le raccroche à un monde inaccessible pour lui depuis des années. Celle qui lui permet d'oublier sa prison dorée. Celle qui le rapproche le plus de ce qu'il aimerait être.

Max recule lentement puis, refait quelques pas vers moi et pose ses lèvres sur ma joue. Un silence s'est installé entre nous. J'aimerais le briser. Lui dire que je regrette mes paroles. Mais la seule chose que je trouve à faire, c'est me taire.

- Passe un bon week-end, Andy.

Il part sans attendre ma réponse. De toute façon il la connait déjà. Un mur de silence.

KL.Phoenix

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