Chapitre 12

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Le soir venu, l’équipage mit pied à terre. Ils étaient montés dans la barque du navire et se retrouvèrent sur la plage d’une île. Earl observa les alentours et comprit le choix du capitaine. Les autres cayes de l’archipel étaient rongées et escarpées. Il était quasiment impossible de les atteindre. Au contraire de cette petite île, une petite plage de sable blanc s’étirait.

Après avoir remonté et caché l’embarcation, ils s‘aventurèrent dans la forêt. Le sol était jonché de racines énormes serpentant entre les arbres et les buissons. Le jeune homme essayait de suivre le groupe sans trébucher. Son regard se porta vers une masse assise sur une branche.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un singe hurleur. Il y en a pas mal sur l’île.

— Il y a d’autres animaux qui vivent dans des lieux isolés comme ici ?

— Oui, des prédateurs et des proies. Cochon sauvage, iguane, singe, oiseaux, et j’en passe.

— Et chacun d’eux constitue un repas potentiel pour nous.

Earl observa l’animal fuir à leur approche. Il courut et sauta de branche en branche en s’aidant de sa queue comme d’un cinquième membre. Le garçon n’en avait vu qu’en cage, lors des retours de voyages de certains commodores ou lieutenants, et toujours de petite taille, jamais aussi gros que celui-ci.

— Sont-ils dangereux ?

— Ils sont plutôt craintifs, mais leurs mâchoires sont un vrai hachoir.

Ils continuèrent leurs chemins vers une place dégagée, situés sur les hauteurs de l’île, et laissaient une vue sur l’horizon. Earl fut surpris d’apercevoir le Phoenix. Sans équipage à bord, la mâture vidée de ses voiles, le brick prenait l’allure d’un vaisseau fantôme. Il constata qu’un feu de camp était déjà prêt. Il questionna le capitaine du regard, qui lui sourit.

— Cette île est un repaire pour certains pirates. Ce n’est pas la première fois que nous nous arrêtons ici.

— Et ce soir, c’est crabes grillés !

Le coq réprimanda son apprenti et lui demanda main forte pour préparer les crustacés pêchés dans l’après-midi. Earl remarqua les nombreuses brûlures sur les avant-bras du garçon. Ses cheveux bleus retombaient sur son front et ne semblaient pas l’aider davantage pour voir ce qu’il faisait.

Chacun avait trouvé une place assise autour du feu ; il restait debout, se mettant lui-même à l’écart. Zenem saisit sa main et l’incita à s’asseoir entre lui et Arawn. Le garçon s’exécuta timidement. Syllas déposa au sol une caisse en bois qui contenait quelques bouteilles en verre, et tendit certaines d’entre elles à ses compagnons. Ferum lui proposa l’une d’elles, qu’il apporta à son nez, et grimaça en reconnaissant l’odeur du rhum.

— Tu n’aimes pas le rhum ?

Le quartier-maitre l’observa tout en buvant une gorgée.

— Je n’en ai jamais bu…

— Il y a un début à tout ! s’exclama Ferum en incitant le jeune homme à boire.

Earl porta la bouteille à ses lèvres et prit une petite gorgée de la boisson alcoolisée. Mais il ne parvint pas à l’avaler. La liqueur lui brulait la langue et le palais. Il grimaça en déposant la bouteille face à lui, et le capitaine se pencha, soucieux.

— Ne te force pas. Recrache.

Il ne se fit pas prier. Il suivit le conseil et secoua la tête en tirant la langue. Sa réaction déclencha un fou rire chez l’équipage.

— Je n’avais jamais vu quelqu’un recracher du rhum, avoua Zenem en lui tapant le dos.

— Vous en buvez tout le temps ?

— Non, seulement le jour de Sabbat ou durant les célébrations.

Les crabes furent cuits et distribués. Les hommes continuèrent de boire et bavardèrent sur divers sujets. L’ambiance était festive. Earl écoutait les récits des gabiers, des combats que l’équipage avait menés, et des richesses sur lesquels ils étaient tombés en attaquant certains galions.

— Mais… Vous n’avez pas attaqué l’Isenor pour ses richesses ?

— Non. Nous étions à la recherche de documents.

— De documents ?

— Oui, sur le traité d’Amphéo. Des ordres de traque ou des lettres de marque.

— Comment avez-vous su que ce navire en aurait ?

Les conversations s’estompèrent. Il obtint une réponse de Meribi, sur un ton quelque peu mystérieux.

— Notre capitaine a établi une hypothèse pour savoir quel navire attaquer : lorsqu’un galion est accompagné de schooner : sa cargaison recèle de richesse inestimable. Mais un navire gouvernemental qui voyage seul est suspect : il transporte souvent des munitions ou de simples vivres. Si l’équipage se bat avec acharnement lors d’un abordage, c’est qu’ils cachent des documents ou des prisonniers !

— Une hypothèse mise en place après de nombreux abordages, poursuivit Helm, un sourire en coin.

— Donc vous ne saviez pas que…

— Nous ne savions pas que tu te trouvais à son bord, ni même pour quelle raison, le coupa Arawn.

Le silence plana un instant, avant d’être brisé par le concerné.

— Je ne regrette pas de vous avoir rencontré. Je vous en suis même reconnaissant.

Les pirates accueillirent ses paroles, surpris. Les paroles d’Earl étaient vraies. Il leur était redevable pour l’avoir sauvé de sa mort.

La nuit avança, et certains forbans furent emportés par l’ivresse, chantant à tut tête la même chanson, sous les applaudissements et les rires de leurs camarades. Puis le calme revint, certains sombrèrent dans le sommeil, d’autres essayaient de tenir le coup, sans trop de succès.

Earl se noya dans ses songes, allongé proche du capitaine. Ce dernier se débarrassa de son manteau pour couvrir le corps du garçon, et laissa sa main sur son épaule. Ainsi, il était sûr de le savoir à côté de lui, même s’il s’endormait.


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Les hommes se réveillèrent au premier rayon du jour. Certains étaient encore perdus dans leurs songes, d’autres préparaient déjà leur retour à bord du Phoenix. Earl fut l’un des premiers à sortir du sommeil, réveillé par le chant des oiseaux marins et le bruissement des vagues. Il se redressa et observa les alentours avec calme. La soirée avait été animée et la plupart des pirates étaient déjà bien saouls au zénith de la lune.

Il se leva et aida les subrécargues à rassembler les bouteilles et les restes du repas. Ils ne devaient laisser aucune trace de leurs passages, au risque d’être suivi par des ennemis. Le capitaine le remercia de son aide, et lui demanda d’aider Meribi à réveiller le reste de ses hommes. Le jeune homme n’était pas très confiant de s’exécuter, mais Kora prit les devants en revenant de la plage avec un seau d’eau de mer.

— Si j’étais toi, je m’éloignerais.

Le concerné s’exécuta, et contempla le spectacle que lui offrit le musicien en vidant le seau sur les derniers paresseux. Ils se redressèrent en prenant de grandes inspirations, les yeux exorbités. Leurs regards se tournèrent vers leur bourreau matinal, qui lâcha son seau pour fuir les lieux, très vite poursuivis.

Le garçon se décala pour les laisser passer, mais fut bousculé dans la course. Il trébucha, mais ne tomba pas, rattraper par le phénix dans son dos.

— Habitue-toi à ce genre d’évènement, même à bord.

— C’est fréquent ?

— Presque tous les matins, ricana Ocon dans leurs dos.

Il regarda son capitaine et le garçon d’un œil joueur, le phénix avait toujours ses mains posées sur les épaules du jeune homme, torse collé contre son dos et aucun d’eux ne l’avait remarqué.

— Je vois que tu as enfin accepté sa place dans l’équipage, capitaine.

Arawn se rendit enfin compte de la situation, et lâcha sa prise sur Earl. Ce dernier se tourna pour comprendre ses gestes, mais tomba sur le regard fuyant du pirate. Le clandestin ne put s’empêcher de ricaner avant de partir sous le regard noir de son supérieur.

— Retournons à bord, déclara le phénix en prenant en main deux caisses de rhum vidées de leur contenu.

Les hommes quittèrent le lieu pour rejoindre la plage, Earl en arrière avec les canonniers. Il n’avait pas vraiment compris la réaction qu’avait eue le pirate, mais obtint une tape dans le dos de la part de Wynric.

— Il finira par t’apprécier, n’en doute pas.

— Il ne m’affectionnait pas avant ?

— Disons que ta présence à bord n’était pas prévue, et les informations qu’il a obtenues l’ont un peu tourmenté. Surtout que tu lui ressembles vraiment.

— À qui ?

— Hum, à S-

— Wynric !

Leur conversation fut coupée par Syllas face à eux, qui intima au canonnier de se taire jusqu’à nouvel ordre. Le silence plana sur le groupe jusqu’à ce que chacun ait rejoint le brick. Earl n’osa pas poser de question sur leur discussion, qui pourtant le taraudait.


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De retour à bord, les hommes se mirent à leur poste pour préparer leurs départs. Le jeune homme ne souhaitait pas les déranger, et décida de rejoindre Dihu dans le faux-pont. Il n’avait pas encore pris le temps de visiter correctement le navire et trouver la cuisine après s’être trompé cinq fois.

En ouvrant la porte, il découvrit le cuisinier et son apprenti de dos, occupé à ranger leurs ustensiles. Il fut étonné de la grandeur et de la propreté de la pièce. Lui qui s’attendait à de vieux meubles abîmés de bois pourri, trouva une cuisine équipée et en bon état. Des barils se trouvaient contre le mur de gauche, fermé par des couvercles, des filets de fruits et de légumes étaient suspendus au plafond. Quelques étagères hébergeaient les plats et outils de cuissons et de préparation.

— Je n’avais jamais vu une cuisine comme celle-ci…

Il murmura ces mots plus pour lui-même que pour le coq et le sous-coq.

— C’est parce qu’elle est unique ! s’exclama joyeusement Im en lui faisant face.

Dihu se tourna à son tour, n’ayant pas remarqué la présence d’Earl.

— Tu voulais quelque chose en particulier ?

— Je ne sais pas vraiment quoi faire, et je ne veux pas déranger l’équipage dans leur travail…

— Viens m’aider alors. Dihu m’a chargé une corvée.

L’apprenti cuistot étala des pommes de terre sur l’ilot central. Le garçon s’approcha de la table, Im lui tendit un couteau et prit une patate en main.

— Tu sais comment éplucher ?

— Euh… Je pense ?

Dihu se tourna vers eux d’un air soucieux.

— Ne le laisse pas se blesser ou tu auras Syllas et Asan sur le dos.

— Je sais, je sais… Bien, je vais te montrer.

Il s’exécuta lentement, sous le regard attentif d’Earl. Puis, le nouveau mousse accomplit la même tâche avec assiduité, sous les yeux ébahis des deux hommes.

— Il est plus rapide que toi Im.

— Impossible, je suis le meilleur apprenti qui puisse exister.

— Prouve-le alors.

Il commença sa corvée avec plus de sérieux, et Earl essaya de suivre sa cadence. Mais Dihu passa dans son dos pour lui murmurer quelques mots importants.

— Ne l’imite pas, tu risques de te blesser inutilement. Je le pousse pour le motiver, mais ce n’est pas une tâche urgente, alors prends ton temps.

Il ouvrit l’un des barils et en sorties des morceaux de viande recouverts de sel puis repartit vers la bassine en métal. Tout en épluchant les légumes, le jeune homme observa de temps à autre le coq utiliser cet étrange mécanisme.

— Comment est-ce que ça fonctionne ?

Il pointa le dispositif d’irrigation qui se terminait dans une bassine en métal.

— Il te suffit simplement d’appuyer sur le manche juste ici. C’est un système unique, fabriqué par Badic.

— Tu ne le verras sur aucun autre navire, se vanta Im avant de reprendre. En fait, il y a beaucoup de choses que tu ne verras que sur le Phoenix.

— Ce navire est si unique que ça ?

— Un peu. Il a été construit dans l’arsenal de Dakroa par un ancien architecte de l’armée. Arawn lui a fourni des plans qui semblaient irréalisables, mais avec un peu d’ingénierie, ils ont réussi à créer cette merveille.

Earl se souvint de la vitesse à laquelle ce brick avait rattrapé l’Isenor, et cela faisait sens à sa construction différente.

— D’autres pièces ont été aménagées différemment ?

— Il me semble que la cahute a été faite pour accueillir tout l’équipage. Elle devait être beaucoup plus petite à l’origine, mais Arawn a exigé sa grandeur actuelle, répondit le cuisinier.

— Il devait savoir que nous allions être nombreux à rejoindre le navire.

— Ou il souhaitait un grand équipage. Je crois que ce sont les seules salles qui ont subi un aménagement différent. Si tu désires en savoir plus, demande aux canonniers ou directement à Badic.

Il les remercia pour leurs réponses, et décida de les aider jusqu’à tard dans la matinée.

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