Chapitre 8

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Le prisonnier sentait la douleur cogner avec force contre son crâne, les bruits alentour approfondissaient son mal. Son regard vitreux se posait sur les silhouettes qu’il distinguait difficilement. Elles bougeaient trop rapidement autour de lui, accentuant ses maux de tête. Il maudissait ces barbares.

Depuis qu’il avait été amené ici, ils essayaient de le faire parler, d’extirper des informations de sa part. Mais aucun d’eux ne le prenait au sérieux lorsqu’il leur disait la vérité, qu’il n’était qu’un simple prisonnier. À chaque réponse qui ne leur convenait pas, ils le frappaient. Autant dire qu’aucune d’elle ne leur avait plu jusqu’à maintenant.

Thassafer était assis un peu plus loin à contempler ce carnage. Le corps du garçon était meurtri, le bas de son pantalon déchiré, taché de son sang. Sa chemise déboutonnée laissait une grande partie de son buste nu. Les mercenaires ne se distrayaient pas qu’à frapper au niveau de son torse, ils s’en prenaient également à ses membres pour le faire hurler.

À chaque cri, le capitaine souriait, fier de ce spectacle. Les hurlements d’agonie d’Earl résonnaient comme une douce mélodie aux oreilles de ce tyran. Ses hommes continuaient, et les cris retentirent de nouveau dans la grande salle, résonnant contre ses murs, et ne semblait pas en sortir. Mais un mouvement de sa part fit perdre le sourire du chef qui se releva pour s’approcher. Le détenu était recouvert de sang, qui glissait en sillons le long de son corps pour se répandre à terre.

Il redressa le visage du captif afin de l’observer plus en détail. Les yeux bleutés du garçon vinrent s’ancrer dans ceux émeraude de son ravisseur. Il y déversa toute la haine et la rancœur qu’il possédait à ce moment précis. L’idée lui vint même de lui cracher à la figure, mais le capitaine fut plus rapide et heurta de son poing l’estomac du garçon, le faisant geindre de douleur.

— Je ne t’avais pas reconnu, mais il me semble t’avoir déjà vu quelque part.

Il tira sur la chevelure du garçon et sourit en contemplant attentivement les traits meurtris de sang et d’hématomes du prisonnier.

— Oui, je me souviens maintenant, je t’ai vu à Corak. Tu étais avec ton père là-bas, tout aussi amoché que maintenant.

Le concerné déglutit. Il ne voulait pas se rappeler de cette époque.

— Je suis surpris d’apprendre qu’un fils comme toi puisse se trouver à bord d’un navire pirate.

Earl ne répondit rien, pinçant ses lèvres.

— Je ne pensais pas qu’Arawn te garderait en vie en découvrant ton rang.

Le sourire de Thassafer s’agrandit lorsque les yeux du jeune homme se baissèrent.

— Ah ! Alors il ne le sait pas !

Il laissa un rire guttural lui échapper, ce qui fit frissonner le prisonnier sans défense.

— Je serais curieux de savoir comment il réagirait en apprenant cela !

Il examina les blessures du garçon, fier du travail de ses hommes. Il tira un peu sur la manche droite de la chemise pour dévoiler la clavicule à nu du détenu.

— Et aussi… Comment il réagirait en découvrant ceci.

Il tapa doucement sur l’épiderme noirci du garçon. Le blessé déglutit face à ce contact qui le répugnait, mais surtout face à une partie de son secret qui pourrait être si facilement découvert par ces mécréants.

L’envie était trop tentante. Il cracha au visage du pirate. Le capitaine recula de quelques pas, surpris, la main portée à son visage pour essuyer le mélange de salive et de sang sur sa peau. Son regard s’assombrit, et se porta sur la silhouette attachée de son prisonnier.

— Apportez-moi mon fouet.

Earl pâlit et regretta immédiatement ses actions, mais il était trop tard. Le fouet claqua dans l’air, proche de sa joue. Il ne bougea plus. Les iris colériques du capitaine se posèrent sur lui tel un poignard, l’immobilisant d’effroi.

Le pirate leva le bras, et abattit son premier coup. Le cri qui déchira la gorge du garçon résonna avec puissance dans l’entrepôt. Un trait rougeâtre se forma sur son épaule. Il se mit à trembler de douleur et de peur.

— Je pose une dernière fois ma question. Que sais-tu sur l’équipage du Phoenix, et pourquoi te trouvais-tu à son bord ?

Dans un élan de folie, Earl releva la tête, et lui répondit d’un ton arrogant.

— Allez au diable.

Le capitaine ne dit rien, il leva son bras, prêt à abattre un second coup plus violent que le précédent. Mais un cri d’alerte l’arrêta dans sa lancée. Il n’eut pas le temps de se poser de question, une puissante détonation parvint soudainement à leurs oreilles. Et les portes de l’entrepôt explosèrent en mille morceaux.

Earl regarda le spectacle les yeux ébahis. À travers la poussière de l’explosion, il perçut des silhouettes se tenant à côté d’un canon. Trois d’entre elles lui furent familières : le canonnier, le second, et le capitaine du Phoenix.

Les hommes du Sparrow avaient été surpris et n’étaient pas prêts à contre-attaquer, déstabilisés par cet assaut soudain. L’équipage de l’Oiseau de feu attaqua de plein fouet, laissant leur colère envahir les lieux.

Le garçon ferma ses paupières pour ne pas assister au massacre. Il sursauta lorsque des mains se faufilèrent entre les cordages qui le retenaient. Il laissa son corps basculer lorsque les liens furent coupés, ses forces l’avaient définitivement abandonné. Il s’attendait à heurter le sol, mais fut rattrapé par un pirate qu’il n’avait encore jamais vu. Le trait distinctif qu’il retint immédiatement fut sa chevelure blanche munie de reflets coralliens. Cet homme le maintenait contre son buste, enroulant ses bras autour de son corps exténué pour le protéger des combats.

Les hommes du Phoenix se battaient avec effervescence, ils ne se laissaient pas dominer. Il aperçut le second capitaine confronter à la femme qui l’avait amené ici. Le garçon pensait que par sa nature féminine, Asan allait être plus clément dans ses mouvements, mais il se trompa. L’homme l’a mis à genoux en trois coups.

Earl compris. Bien qu’ils soient tous des pirates, ils ne faisaient pas partie du même équipage, et semblaient être ennemis, bien avant son enlèvement. Les confrontations ne s’éternisèrent pas. Plusieurs hommes de Thassafer périrent, et leur capitaine fut capturé.

Il se retrouva à genoux devant Arawn, mains liées dans le dos. La couleur claire de sa chemise était mouchetée de sang, la partie de son torse en lambeau. Des sillons fraichement découpés trônaient sur ses bras et sa poitrine. Un frisson parcourut Earl lorsque son regard se posa sur la silhouette du capitaine du Phoenix. Sa main était serrée sur la poignée de son sabre, laissant ressortir les veines de son bras. Ses cheveux flamboyants retombaient sur sa nuque, prenant une teinte plus rougeâtre encore, comme s’ils se nourrissaient de sa haine et sa rancœur.

Les bras qui l’entouraient le sortirent de ses pensées. Son regard se tourna vers le mercenaire qui le maintenait contre lui, et se permit de le détailler. Il n’était pas très grand, sa peau était claire, signe qu’il ne travaillait pas souvent sur le pont. Ses yeux bruns se dirigèrent naturellement vers le visage du blessé, et l’examinèrent.

Mais leur attention fut reportée sur les deux capitaines qui venaient de briser le silence pesant de la pièce. Thassafer venait de cracher au pied du phénix, qui ne réagissait pas.

— Tu sembles avoir changé de camp, Arawn.

Un sourire malicieux se forma sur son visage tandis que son regard émeraude se posa sur les traits durs et froids de son ennemi. Il tentait de se contrôler face à la rage qui essayait de l’emporter sur sa raison.

— Tu cours à ta perte en protégeant le fils d’un commodore.

Thassafer reporta son regard vers le garçon. Ce dernier trembla face à la révélation qu’il venait de faire, mais tressaillit davantage lorsque les iris du phénix se posèrent sur lui. C’était un mélange entre la colère et la surprise.

— Tu ne sais même pas qui il est, alors que tu l’accueilles sur ton navire. C’est lamentable de ta part. Garder l’enfant d’un ennemi.

Thassafer ricana sans retenue, la mâchoire d’Arawn se contracta.

— Le phénix écarlate a perdu de ses couleurs depuis notre dernière rencontre.

— J’aurais dû t’écraser à cette époque.

— Tu étais trop peureux pour le faire.

— Plus aujourd’hui.

Une main se posa sur les yeux d’Earl, sa tête reposa sur le torse du pirate. Le sabre du phénix fendit l’air, et le corps du capitaine du Sparrow tomba au sol, inerte.

Le silence s’installa. Le jeune homme peinait à rester éveillé. Il n’avait plus de force, jusqu’au bout des doigts. Son corps meurtri avait besoin de repos.

Il sentit quelqu’un s’approcher de lui. La main qui cachait sa vue se retira, et il se retrouva nez à nez avec le capitaine du Phoenix. Ce dernier posa un étrange regard sur le prisonnier, qu’il n’arrivait pas à cerner.

Était-ce de la colère ? De la haine ? De la tristesse ? Il n’en savait rien.

Il préféra baisser la tête, et ferma les yeux par peur d’apercevoir le massacre. Les grandes paumes du pirate vinrent se glisser sous les jambes du blessé et dans son dos pour le soulever du sol. Le garçon ne protesta pas. Le petit groupe sorti de l’endroit dans le calme et le silence, laissant l’équipage du Sparrow à la merci des charognards.

Les hommes du Phoenix regagnèrent leur navire, et Asan en prit le commandement tandis que le capitaine disparut dans le pont principal. Ils passèrent une porte, et le détenu fut déposé sur un lit. Il ouvrit les yeux lorsqu’une main se posa sur son avant-bras. La présence du médecin le rassura davantage. Il se savait entre de bonnes mains, il pouvait enfin se reposer.

Chell retira les vêtements déchirés et salis du garçon avec délicatesse, en évitant de toucher à la moindre plaie vive. Une fois cette tâche effectuée, le soigneur commença son travail sous le regard attentif du chef de bord.

Le corps du jeune homme était parcouru de sillons saignants, d’hématomes violacés. Son visage était amoché, la peau de ses poignets écorchés. L’équipage du Sparrow n’y avait pas été de main morte. À chaque fois que le médecin passait une compresse sur une plaie, une grimace se formait sur le visage du blessé, qui peinait à retenir ses larmes. La douleur était insupportable, elle lui montait à la tête. Il aurait voulu mettre fin à cette souffrance, mais c’était une chose impossible.

Il se questionnait sur la réaction qu’aurait le capitaine à son réveil. Il se doutait que cet homme allait lui poser des questions sur son lien avec Thassafer. Mais aussi sur son rang, maintenant que ce barbare en avait révélé une partie lors de leur confrontation. Ses secrets n’allaient pas rester cacher longtemps.

Il finit par abandonner sa conscience à la douleur, et sombra dans l’inconscience. Le capitaine le regarda attentivement. Il était perdu dans ses pensées lorsque son attention fut captivée par une parcelle de peau située proche de la clavicule droite du garçon. Un point légèrement noirci, comme une goutte d’encre sombre qui aurait taché l’épiderme clair et laiteux de cet enfant. Une marque que le capitaine connaissait bien, et qu’il n’avait vue qu’en de rares occasions.

Une goutte d’encre, celle de l’océan sur une âme humaine.

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