Dernière journée

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Hier était mon dernier jour, ma putain de dernière journée dans l'armée. Trois mois en Russie et je suis revenue avec deux pertes humaines. J'ai décidé de quitter tout ce merdier et de me concentrer sur un avenir un peu plus bienveillant. Servir le pays ne me dérange pas en soi, mais perdre mes camarades m'arrache les entrailles. Je ne supporte plus de devoir informer la famille et de les voir chialer. Ce n'est plus pour moi ce genre de chose alors j'ai préféré prendre ma retraite.

J'habite à Austin, une ville accueillante et chaleureuse. Les maisons sont identiques, que ça soit l'architecture ou la couleur de la façade. Une petite rivière ne se trouve qu'à quelques kilomètres de là. Ici, le mode de vie est plutôt agréable, il y a un terrain de basket pour les jeunes, un petit parc, une piscine municipale et une salle de gym. L'odeur des fougères est entêtante.

Les voisins sont sympathiques à part la vieille peau au coin de la rue avec son caniche qui hurle nuit et jour. Je vis seule, non par choix, mais avec mon métier, ça a été difficile de garder une longue relation. Mon ancien compagnon n'a pas supporté la distance et a préféré déguerpir aussi vite qu'il est arrivé. C'est regrettable de se dire qu'à vingt-huit ans, je n'aurai peut-être pas de progéniture, mais je me suis faite à l'idée.

Je finis par me lever, car l'odeur de mon corps émet des effluves nauséabonds. Je file prendre une douche dans la salle de bain qui se trouve à proximité de ma chambre. Je m'habille simplement, sans trop de manières, jean basique et débardeur noir que j'accompagne d'un chignon.

Je franchis ensuite la porte d'entrée, respirant cette délicieuse fraîcheur. Le climat est harmonieux, le paysage est charmant. C'est une belle journée qui commence. Le soleil s'est levé, mettant ma peau blafarde à rude épreuve. Le petit Mathis livre les journaux, Katniss, la voisine me fait signe de la main pour me saluer, toujours avec son air arrogant. Je ne l'aime pas et elle non plus. J'esquisse un sourire d'hypocrite pour paraître être un minimum aimable.

Le vent ébouriffe quelques mèches de ma longue chevelure brune. Le ciel est limpide. Je peux attendre le bruit strident et monotone des cigales, le feulement de Klaus, le chat du voisin d'à côté.


—Même le soleil ne veut pas de toi.

—Daryl, dis-je surprise.

—Je ne savais pas que tu étais revenue.

—J'ai débarqué à la maison qu'hier.

—Hum, dit-il perplexe. On déjeune ensemble ce midi ?

—Oui, ça peut être attrayant.

—Va te préparer, je t'attends ici.

—Bah euh, comment dire, je suis prête, souris-je stupidement.


Il hoche la tête, sceptique et monte dans sa voiture. Toujours vêtu de sa veste en cuir avec son pantalon troué et ses cheveux gras. Je file pour prendre mon sac à dos qui me sert à mettre tous mes papiers. J'observe rapidement la pièce et ferme la porte d'entrée. Je m'assois côté passager et enfile la ceinture. Daryl met son disque de Nirvana. Il adore ce groupe, déjà depuis tout petit, il adorait écouter ça dans sa chambre en fumant des pétards. Je lâche un sourire et pose ma tête contre la vitre. J'adore regarder le paysage, pouvoir m'évader dans un autre lieu, où la miséricorde n'existe pas, où la solitude m'emporte dans un monde où je suis libérée de tous mes péchés.

Après une vingtaine de minutes à rouler, Daryl finit par se garer sur le parking du Lagon Café, un petit resto du coin. Ils servent des repas typiquement de la région et c'est délicieux. Nos parents nous emmenaient ici mais depuis leur disparition, je n'ai pas eu l'occasion de passer un agréablement moment avec mon frère.

Nous nous installons au fond de la salle. Une petite table entourée de plantes artificielles. Un rideau nacré permet que les riverains n'observent pas comme des commères. Une petite mélodie de Beethoven tourne en boucle. Un aquarium gigantesque se trouve à l'entrée avec divers poissons. Les enfants adorent se positionner devant pour les contempler. Parfois, ils mettent leurs doigts, mais ils se font assez vite réprimander par l'agent de sécurité.


—Cela fait longtemps qu'on n'a pas partagé un déjeuner ensemble.

—Oui, ça me manque mais avec le boulot c'était difficile.

—Ta dernière mission ne s'est pas bien passée ?

—J'ai perdu deux hommes. Je n'ai pas eu la force de l'annoncer à leurs familles.

—Tu n'as pas à t'en vouloir. Ils savent ce qu'ils risquent.

—Je sais Daryl mais je suis leur chef, je dois les défendre.

—Tu ne peux pas protéger la terre entière petite sœur.

—Si seulement, souris-je machinalement. Et toi, le boulot, ça se passe ?

—Je fais avec écoute, sinon je ne peux pas nourrir Maya et Lukas, rit-il.

—Comment va mon neveu ? demandé-je enthousiaste.

—Très bien, il va faire sa rentrée au CE1. Il est pressé.

—Et ta femme ?

—Elle en a marre de rester à la maison mais bon être enceinte ce n'est pas une partie de plaisir. Je n'arrête pas de lui dire, mais elle n'écoute rien donc Maya s'est mise à faire du tricot. Une idée stupide m'enfin, du moment qu'elle s'occupe, ça me rassure un minimum.


Nous continuons à discuter pendant que le serveur nous rapporte nos repas. J'ai commandé des quesadillas avec un verre d'eau et Daryl, une chimichanga accompagnée d'une bière bien fraîche. Ces petits moments me manquent cruellement. Le regarder sourire, voir son visage s'illuminer me donne une raison de plus pour trouver autre chose dans le coin.


—Tu te souviens quand maman a cassé la gueule de la serveuse car elle regardait trop papa ?

—Tellement. Je n'étais pas sereine mais c'était drôle.

—J'ai bien cru qu'elle allait lui fracasser la carafe sur la tête.

—Ou quand tu as insulté l'autre con de Dylan.

—Il a de la chance lui. Personne ne touche à ma sœur.

—Tu as toujours été protecteur envers moi Daryl. Merci d'être là.

—C'est normal. Je t'aime et ça, personne ne pourra le briser.

—Malgré le fait que je te donne rarement des nouvelles, tu comptes énormément à mes yeux. Je suis fière de ce que tu es devenu. Tu es un bel homme, tu as une famille formidable. Nos parents seraient heureux de te voir comme ça.


Mon frère laisse échapper un sourire. Déballer nos sentiments comme ça, sur table, ce n'est pas vraiment notre mode de fonctionnement, mais parfois ça fait du bien de se sentir aimé, de compter pour quelqu'un. Il se lève et me serre confortablement dans ses gros bras. J'aimerais que ce moment dure un peu plus longtemps, mais la sonnerie de mon téléphone vient s'immiscer entre nous deux.

—Oui ?

—Lieutenant Lara Strauss ?

—C'est bien moi, répondis-je surprise par l'appel.

—Vous êtes attendue immédiatement à la base de Fort Hood.

—J'ai déposé ma lettre de démission hier monsieur.

—Ce n'est pas une question mais un ordre lieutenant.

—Oui monsieur.


Il raccroche sans même me donner plus d'informations. Quelque chose cloche, mon intuition ne se trompe jamais. La base se trouve à 100 km d'ici. C'est la plus grande base militaire des Etats-Unis.


—Je dois te laisser. Je t'appelle ce soir sans faute.

—Tout va bien ?

—Je ne sais pas mais je dois me dépêcher.

—Fais attention sur la route.

—Je t'aime Daryl, dis-je en lui faisant la bise.


Je laisse un billet sur la table et me dirige vers la sortie pour prendre un taxi. La route va être longue et plusieurs questions me trottent dans la tête, mais j'essaye d'en faire abstraction pour ne pas devenir folle.

Après plus de deux heures, le taxi me dépose à cinq minutes. Les personnes non habilitées n'ont pas le droit de s'approcher. Je marche en vitesse, cheveux en bataille. Le vent s'est réveillé, laissant apparaître des immenses nuages dans le ciel ombré par la mélancolie. J'arrive devant la grande porte. Une barrière fait office de barrage et un gardien se trouve à l'intérieur d'un petit abri. Je lui montre ma carte. Il me lance un regard ténébreux, mais déverrouille finalement l'entrée.

Je marche à travers les couloirs étroits. Les gens sont sur le qui-vive. Je suis intriguée, mais je ne prête pas plus attention que ça et j'arrive finalement dans le bureau du Caporal-chef, Griffin. Un homme dont le visage ne me revient pas m'ouvre et me demande de m'installer sur le canapé. Trois autres personnes se trouvent dans la pièce, mais je n'ai pas le souvenir de les avoir déjà croisés auparavant. L'un deux, habillé en costard, se trouve près de la fenêtre, mains liées dans le dos. Il observe à travers la fenêtre. Les autres hommes discutent entre eux et peine à faire attention à moi.

La pièce est sombre, sans teinte de luminosité. Le papier peint est fade, pas un seul cadre accroché aux murs. L'ambiance est morose, ça me donne la gerbe. Jambes croisées, j'attends dans l'incompréhension, jusqu'à ce que la porte d'entrée s'ouvre brutalement. Le Général Scott Johnson.


—Merci d'être e aussi rapidement. Ce matin aux aurores, un incident s'est produit au laboratoire pharmaceutique Exocyl. Un virus a été volontairement libéré. Nous avons mis le bâtiment en quarantaine, mais la situation nous a échappé. Nous ne contrôlons plus rien.

—Comment ça ? demande l'un des hommes.

—Nous pensons à une attaque terroriste.

—Qu'est-ce qu'on a à voir avec ça ? demandé-je interloquée.

—Le scientifique Alec Marcus se trouve sur les lieux. Il faut l'exfiltrer.

—Je dois rappeler l'unité Bravo.

—C'est déjà fait, ils vous attendent en bas.

—Qu'elle est l'ampleur de la situation Général ? Interpelle un agent.


Le silence prend une ampleur catastrophique dans la salle. Je peux apercevoir la peur s'empresser de voiler son visage d'une attitude désinvolte.

— Je n'en ai pas la moindre idée mais nous avons pour objectif de retrouver la véritable raison de cette mise en quarantaine qui a tourné au massacre. Cette information ne doit pas sortir de cette pièce. Nous ne pouvons pas nous permettre d'avertir le public. Les conséquences risquent d'être dramatiques.

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