Les images

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Les images

 

Quand Hoc regagne sa cabane, il se sent chez lui. Un endroit où personne ne vient le déranger car il ne possède rien. Son logis se cache à deux tertres de la favela, et vingt bonnes minutes sont nécessaires pour y parvenir. Personne ne l’a vraiment chassé d’en bas. Un enfant trouve toujours un refuge quand il représente une force de travail. Quelques mois auparavant il avait fait ce choix car il avait décidé de ne plus faire confiance aux adultes, et s’était installé dans l’abri délabré d’une vieille femme disparue que tout le monde traitait de sorcière.

Personne ne savait d’où elle était venue, ni comment elle était apparue dans le secteur. Toujours vêtue d’une blouse couverte de tâches, ses yeux s’allumaient quand elle levait la tête pour fixer les gens. Elle ne cachait pas sa haine des Mongs et crachait sur leurs turpitudes au cours d’étranges imprécations. Les gens du village ne l’aimaient pas, ils la repoussaient rudement quand elle errait trop près des maisons en psalmodiant et réclamant du riz. Mais ils venaient en cachette lui apporter des offrandes si l’un des leurs était souffrant. Pour obtenir un onguent mystérieux  dont elle avait le secret, qui soulageait la douleur, et parfois guérissait de maladies. Il lui arrivait de rester cloîtrée durant de longues périodes sans raison apparente, en hurlant du fond de son lit qu’on voulait sa mort. Elle cultivait des plantes épineuses autour de sa cahute : des plantes inconnues et robustes dont on l’imaginait confectionner ses remèdes.

Hoc la respectait. Pour la simple raison qu’elle était parvenue à soulager Vana, et même redonner de la vigueur à sa jambe infirme. Son ami lui rendait visite régulièrement, convaincu qu’elle parviendrait à le guérir totalement.

Et puis un beau jour elle avait disparu. Elle n’était plus revenue mendier aux abords des masures, ou vendre ses maigres découvertes sur la décharge. Au bout d’un mois d’absence, un type plus téméraire que les autres s’était déplacé jusque chez elle et s’en était vanté. Il avait fouillé son taudis resté intact. Il avait emporté avec lui le peu qu’elle avait laissé, les maigres restes d’une vie minimale : des papiers roulés en boule, des morceaux de bois tordus et calcinés, de vieux linges entassés sous une trappe qu’il avait découverte au fond de la cabane. Mais aucune trace de ses préparations. Il avait tout revendu aux Mongs. Quelques jours plus tard l’homme se faisait stupidement écraser par un camion benne. Un accident somme toute commun mais personne n’avait plus voulu retourner chez elle. On raconta que la sorcière avait maudit le profanateur de son logis, et que son âme revenait hanter les lieux pour se vautrer chaque nuit sur la paillasse humide.

Pour Hoc cet effet repoussoir constituait le principal intérêt du refuge. Personne ne viendrait le chasser d’ici.

 

Hoc n’a pas le moral. Il a mal. Aujourd’hui, Vana ne claudiquait pas au pied des camions. Hoc se recroqueville au fond de la cabane, allongé sur sa natte. Il garde les yeux dans le vague. D’abord le zahari. Maintenant Vana. Qu’ont-ils donc tous à l’éviter ? Puis il fouille dans ses poches, en sort les deux choses qu’il est parvenu à chaparder aujourd’hui. Il les pose devant lui pour les examiner. Il sait bien que ce n’est pas avec des prises pareilles qu’il survivra longtemps. Il saisit la canette vide entre ses deux doigts. Elle est toute cabossée. Il caresse le lissé froid du métal. Les canettes sont recherchées pour leur matière. Une seule ne rapportera rien. Les récupérateurs ne passent pas de temps  à les contempler, ils les accumulent dans de grands sacs. Les Mongs sont intéressés par la quantité. Hoc ne peut contenir un sourire en revoyant la tête du gardien qui l’a coursé, et celle du pauvre hère sous les pieds duquel il l’a happée. Il la tourne entre ses doigts, trouve les reflets jolis, les couleurs plutôt rares sur la décharge. Des lettres souples, rouges. Puis il la repose sur le sol, debout, comme s’il tenait un objet précieux.
Hoc se courbe vers le coin le plus proche. Il soulève un vieux paillasson, découvre la trappe de bois. Sous la planche se trouve sa caisse aux trésors. C’est là qu’il stocke ses prises, celles qu’il veut conserver pour parfois les regarder, juste pour rêver. Trois autres canettes vides sont déjà entassées, toute différentes. Il pose sa prise du jour, puis referme tout.

Il saisit à présent le morceau de revue qu’il a soigneusement déplié. Il tente de le défroisser du revers de la main, puis le détaille en avançant la tête au plus près. Ce qu’il préfère dans les morceaux de revue ce sont les couleurs. Souvent des teintes qui n’existent pas dans la vraie vie. Avec des nuances douces, des nuances chaudes ou des tons vifs. Il a constaté que la seule vue de ces couleurs lui apporte une énergie particulière. Ce sont là les seuls moments où il croit entrevoir le visage de la mère qu’il n’a jamais connue. Posée sur la natte sale qui recouvre le sol, l’image illumine la petite cabane. Il la scrute longuement. Le papier est un matériau si fragile. Parvenir dans le secteur humide et surpeuplé pour finir dans sa main est déjà quelque chose de magique. Personne sur la décharge ne passe son temps à regarder des morceaux de papier froissés.

Hoc rêvasse. Il tente de reconnaître ce que représente l’image mais il n’y parvient pas. Le fond est bleu. D’un bleu qu’il n’a jamais observé ailleurs que sur ces morceaux de revues arrachés aux ordures. Son cœur s’est accéléré. Il sait qu’il peut rester de longues heures à rêver sur ces objets imaginaires. Il se penche à nouveau vers l’endroit où il a entreposé sa caisse à secrets, soulève le couvercle. Il écarte les canettes, retire un livre ficelé par une cordelette. A l’intérieur il a collé d’autres images, d’autres bouts de magazines couverts de couleurs. C’est là son vrai trésor, celui qu’il regarde de temps en temps les jours de pluie et qu’il n’ira jamais vendre à la confrérie des Mongs. Il hésite. Puis il referme le livre, le repose dans sa boîte et enfouit le papier du jour dans sa poche.


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