la cabane de Hoc

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La cabane de Hoc

 

Il a encore plu toute la nuit. Une eau noire est tombée, fine et chaude, sur les bâches de plastique, crépitement familier mais toujours menaçant. Elle a dégouliné sur les toitures de fortune, ruisselé le long des versants, s’est étalée en grandes flaques boueuses dans les creux et les trous. Probablement, tout en bas, la favela s’est transformée une fois de plus en une mare de fange. Mais les bourrasques se sont faites moins fortes au petit matin. La saison des pluies est de plus en plus courte. Ce sont les adultes qui le disent. Ils racontent qu’autrefois les interminables précipitations déclenchaient des glissements de terrains qui entrainaient hommes et cabanes sur leur passage.

Dans son abri rudimentaire, Hoc se recroqueville sous une vieille couverture raccommodée mille fois. L'air est tiède et tout est humide. Ici, il se sent en sécurité. Il n'a pas d'inquiétude sur la solidité de son logis qui a résisté à d’autres averses, bien plus longues et bien plus rageuses.

Hoc pense que le zahari n’est pas passé le voir cette nuit. Pourtant, c’est surtout les jours de pluie qu’il apparait par surprise. Il est trop malin pour finir sur un étal de boucher comme un vulgaire ravak. Il a échappé à tant de bagarres contre d’autres zaharis, aux jeux cruels des gamins ou à la voracité couarde des crovaks. Mais il ne sera plus en sécurité nulle part.

La disparition du zahari le préoccupe.

 

Hoc s’allonge sur le dos, les mains sous la tête. Il découvre une inquiétude inhabituelle, un attachement particulier qu’il n’avait jamais discerné mais qui le dérange. Habituellement il se concentre sur sa survie, seule préoccupation qui gouverne sur la décharge. Pourtant il existe des personnes qui comptent pour lui, qu'il aime avoir près de sa maison. Des personnes pour qui il est capable de s’inquiéter. Comme Vana.

 

Hoc a l’impression de connaître Vana depuis toujours. Son ami habite en bas, dans la favela. C’est là qu’ils se sont connus. Aussi loin que sa mémoire peut remonter, Vana est près de lui. Quand ils se sont connus, Hoc faisait encore partie d’une famille. Mais l’homme et la femme qui le nourrissaient n’étaient pas ses vrais parents. Ceux qui l’avaient recueilli étaient fourbus et résignés comme la plupart sur la décharge, car ignorants de tout et perclus de misère. Une simple marque d’affection représentait un geste inadapté à l’environnement. Enfant il se faisait rabrouer sans ménagement. Hoc ne se souvient plus vraiment de ce qu’il éprouvait à ce moment là. Ce dont il se rappelle comme d’un déchirement, c’est du jour de leur départ. Une famille en guenilles était arrivée dans la favela. Ils venaient de loin, d’un autre secteur. Des nouveaux venus, plus jeunes et plus combattifs, qui les avaient chassés de leur maison. Ils étaient nombreux et forts. Trois hommes vigoureux, des femmes et beaucoup d’enfants qui s’étaient installé et leur avait demandé de tout quitter sur le champ. Devant les hurlements et les pleurs qui avaient suivi, beaucoup de gens de la favela s’étaient attroupés autour d’eux. Tous avaient beaucoup parlé, beaucoup donné leur avis sur cette invasion et invoqué l’Ankar. Mais personne n’était intervenu, aucun gardien à la zaroueta ne s’était montré. De la violente altercation entre les deux familles Hoc retenait les cris, l’impuissance et l’injustice, les objets que la mère avait jetés à la face des envahisseurs, le père impuissant qui maudissait le ciel en rassemblant les enfants en larmes. Au bout du compte, anéantis, debout au milieu de sa maison qu’on vidait au milieu de la rue, ils avaient amassé dans de grands sacs de toile tout ce qu’ils possédaient. Puis regroupé en un petit tas à part le peu qui revenait à Hoc.

La femme avait pris Hoc à part. Elle lui avait parlé, mais il n’avait pas compris. Elle avait donné les conseils qui lui venaient en tête dans le plus grand désordre. Surtout ce qu’il fallait faire pour ne pas avoir d’ennemis. Le père aussi lui avait parlé. D’un ton grave, un sanglot dans la gorge. Il n’avait pas vraiment dit qu’ils partaient plus loin et qu’ils le laissaient là. Mais il avait insisté sur le fait qu’ils ne reviendraient plus. Hoc l’avait dévisagé en fronçant les sourcils. Jamais il n’avait remarqué ces sillons profonds qui marquaient le visage du vieil homme. Il avait tenté de saisir dans ces mots incohérents ce qui changeait sa vie. Sans pleurer mais le cœur gonflé à éclater. Les gens de la favela avaient assisté à la scène en hochant la tête sans dire un mot. Ils avaient détourné les yeux quand l’enfant avait cherché leur regard, quelqu’un lui tendit une main. Mais ils s’étaient éloignés un à un. L’enfant avait eu froid tout à coup.

La sensation de solitude qui l’avait submergé à ce moment là ne le quitterait plus. Ses parents adoptifs s’étaient éloignés. Ils n’étaient déjà plus que des points sombres escaladant péniblement la butte qui menait vers l’inconnu. Hoc n’avait plus jamais entendu parler d’eux.

Hoc était demeuré immobile, à la place même où son père adoptif lui avait parlé Il ignore combien de temps il était resté ainsi. La mère de Vana s’était approchée. Il ne la connaissait pas. Elle lui avait apporté une assiette de riz. Puis elle l’avait fait entrer dans sa cabane avec ses enfants en l’absence du mari. C’était là qu’il avait fait la connaissance de Vana, le petit à la jambe maigre.

 

Hoc avait rapidement pris les habitudes de Vana et de ses frères. La plupart du temps le père rentrait ivre, à l’improviste. Il ouvrait la porte d’un méchant coup de pied, titubait en jurant jusqu’au lit dans lequel il s’affalait en insultant les hommes, les enfants, les dieux et la foudre.

C’était un homme brutal à la mine perdue comme tous les hommes misérables de la décharge. Il faisait partie de ceux qui ne pouvaient pas payer les gardiens au gilet jaune et accéder aux camions d’ordures nouvelles. Alors il tournait toute la journée dans la favela, suivait de loin les norias, fouillait les restes. Il grappillait ce qui tombait des bennes le long de leur trajet, volait le plus faible, suppliait le plus fort. Quand il était parvenu à gagner quelques riels, il achetait aux distilleurs un mauvais cachiri des fruits pourris et fermentés ramassés sur la décharge. C’était sa raison de survivre. Ce qui restait d’argent payait du riz pour le reste de la famille. L’homme ne réalisait qu’à de rares occasions qu’un intrus s’imposait au milieu des siens. Il se lançait alors dans une colère terrible, cassait tout objet qu’il attrapait et frappait ceux qui passaient à sa portée.

Quand sa folie était trop forte, la femme et les enfants saisissaient ce qui leur tombait sous la main pour fuir hors de la cahute. Ils erraient ensuite une bonne partie de la nuit en quête d’un abri jusqu’au lendemain. Hoc et Vana dormaient toujours l’un contre l’autre. Cette promiscuité avait façonné leur amitié, et duré jusqu’au jour où Hoc s’était installé seul sous le toit abandonné par la vieille sorcière.

 

Le petit orphelin sait que son sort n’est pas le plus injuste. Posséder des parents sur la décharge n’est pas un gage de sécurité.

Vana est son frère. Hoc aime à se répéter cela. Il songe avec tristesse que lui non plus n’est pas venu s’abriter dans sa cabane quand la pluie a commencé à tomber. Vana a du se résoudre à rentrer chez lui.


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