Les mauvais

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À la fin d'un jour au mois d'août, les Fourneau père et fils s'en vont à la taverne.
Ces deux mois de travail les ont rapprochés. Jeannot sait désormais comment plaire à son maître. Qu'importe le bien ou le mal, le garçon suit le chemin qu'on trace pour lui et il profite enfin d'une sorte de bienveillance, d'une nuance d'affection qu'on lui refusait jusque-là. Sa colère se déplace vers tout ce qui irrite son père, une colère sincère, une colère d'amour.

Sur les pavés des rues principales, les pas se font moins pressés, une certaine satisfaction imprègne l'air, la journée de travail s'achève.
À cent pas de la buvette, un pauvre erre recroquevillé sur le sol, peut-être abruti d'alcool, attire l'attention de monsieur Fourneau. Il grogne de mépris et explique à son fils tout le dégoût que lui inspire cet être faible qui ne sert à rien ni à personne. En passant près de lui, il lui assène un coup de pied sans méchanceté, juste pour voir s'il bouge encore. Le tas de chiffon près du mur lève son visage. Surpris, Marcel reconnaît Hervé Bossano.
« Quéqu'tu fais-là ?
— …
— T'es bien Hervé Bossano ? Ben mon salaud t'es tombé bien bas ! C'est quoi qui t'arrive et qu'est-ce qu'tu fais à Saint Jeuney ? Hervé bafouille,
— Ch'te connais ? Hein ?
— Ben oui qu'tu me connais, on a passé not' temps à nous foutre sur la gueule, ch'u Marcel. »

Hervé se fend d'un sourire triste et sa tête se pose sur sa poitrine. Marcel le ramasse, en le traitant de bon à rien. Mais dans son esprit un dessein s'ébauche qui demande un peu de temps et d'investissement.
Avec Jeannot sur les talons, Fourneau traîne son ancien camarade de rixes à l'auberge. Il le conduit sur un lit dans une chambre pour laquelle il verse six francs. Il dit à l'aubergiste de l'enfermer à clef après lui avoir laissé de quoi manger et boire « Mais que de l'eau ! » et de lui signifier que monsieur Marcel Fourneau reviendra lui parler enfin de journée, le lendemain.

Sans s'attarder davantage, le père et le fils retrouvent vélo et carriole à la sellerie et rentrent au village de Massoy.
« Demain gamin, c'est dimanche pour toi, tu restes à la maison. »

Jeannot ne bronche pas mais se réjouit de pouvoir se reposer. Il ne s'intéresse aucunement aux affaires de son père.

Le lendemain, monsieur Fourneau quitte son domicile plus tôt que d'habitude et rejoint l'auberge. L'hôtelier est déjà en cuisine, Marcel l'y retrouve :
« Alors, s'est réveillé not' clochard ?
— Ch'te savais pas bon Samaritain. Qu'é qu'tu vas faire de ce zig-là.
— Rent' ta langue, ça t'regarde pas. Donne-moi la clef, j'm'en va le voir. »

Dans la chambre sans fioritures, mais propre, Hervé Bossano est vautré sur la literie en vrac. Marcel le pousse du pied :
« Lève-toi ! » Hervé ouvre un œil, il n'est pas très vigoureux. « Lève-toi ch'te dis, faut qu'on cause !
— Pourquoi tu m'as fait enfermer et qu'est-ce tu fous-là ?
— T'as laissé un beau merdier à Massoy… Tu t'es carapaté quand t'a su que ta cocotte avait un Jésus dans l'tiroir….
— Si t'es v'nu me faire la morale, tu peux r'partir…
— Faudrait que tu t'rachètes mon vieux ! T'as l'air mal en point : un buveur, mendiant, sans l'sous, sans lend'main, c'est ça qu'tu veux ? Créver dans la rue comme un chien ? Hervé devient rouge de colère, il frapperait bien le Marcel, comme avant…
— Ta souris, elle a eu une fille…
— J'le sais…
— Et tu sais que celle-là, elle a des talents pas catholiques ?
— Tu veux dire quoi là ?
— Que t'as tenté le Diable et qu'il a laissé sa marque : ta fille, è ' cause aux oiseaux !
— Pfff ! T'es sûr que c'est pas toi le poivrot ?
— Ben non, mon vieux ! c'est comme ch'te l'dis ! T'as qu'à poser des questions à Charanton. Mais pour la suite oublie pas que faut pas qu'on t'trouve curieux et faudrait qu'personne te r'connaisse. T'sais, j'aime pas qu'elle soit à Massoy ton engeance et ça fait du tort à la Francine, personne lui cause et personne voudra d'elle, tu pourrais faire quelque chose !
— Et quoi donc ! J'ai assez d'emmerdements comme ça, j'm'en fous d'la gamine ou d'sa mère. C'est l'passé…
— Si t'm'en crois, tu pourrais tirer de l'argent de tout ça ! »

À présent, Hervé écoute Marcel avec attention.

*

Le matin de la rentrée des classes, Félix entend des cris de panique résonner dans sa cuisine. Il reconnaît la voix de Francine, il comprend immédiatement qu'il se passe une catastrophe et se précipite pour en connaître la teneur.
Francine, essoufflée, échevelée lui attrape les mains :
« Elle est chez toi ?
— Qui ? Morgane ?
— Siffle est mort, je l'ai trouvé sur le sol de sa chambre et elle n'est plus là…
— Elle est peut-être parti sur le coup du chagrin dans le bois au grand hêtre ? C'est là qu'elle va quand elle veut voir personne…
— Non Félix, non ! je crois qu'c'est plus grave que ça. Si elle avait trouvé son grand ami mort, elle l'aurait pas laissé par terre, elle aurait crié, pleuré, elle serait venue me voir… J'ai tellement peur…
— Bon j'va au hêtre pour êt'e sûr. Toi tu vas voir les grands-mères, elles savent toujours tout. On se retrouve chez toi. »

Gégène ouvre la porte qui s'agite sous des coups rapides et bruyant :
Ça vient ! Ça vient ! C'est pas la fin de c'monde !
— ...
— Francine ? Qu'est-ce qui y a ? Y a un malheur ?
— Morgane a disparu et j'ai retrouvé Siffle dans sa chambre, il est mort ! »

Pour une fois Germaine ne peut rien dire, mais les larmes glissent sur ses joues témoignant de son anxiété et de son chagrin. Cependant ni elle, ni Titou ne savent quoi que ce soit et Francine ne s'attarde pas à les écouter se perdre en conjectures.
Elle file chez le curé, par acquis de conscience. Puis elle rentre chez elle attendre Féfé.

Il faut se rendre à l'évidence nul n'a le début d'une information.
Alors le couple se précipite chez le maire afin que soit prévenue la maréchaussée. Il est le seul à disposer d'une ligne téléphonique.

Les gendarmes commencent l'enquête dans la matinée. Malheureusement, personne n'a rien vu, personne ne sait rien. La disparition et le signalement de Morgane sont transmis dans les vingt-cinq kilomètres à la ronde. Trois hypothèses sont possibles pour la maréchaussée, la petite s'est enfuie ou elle a été enlevée. Ils laissent entendre que l'enlèvement et tout à fait improbable, puisqu'aucun inconnu n'a été signalé récemment dans les parages. Pour épargner la mère, ils n'abordent pas la troisième éventualité.

La plupart des villageois sont très affectés, Sophie et Charlie plus que tout autre.

La vie est suspendue à Massoy. Le maire fait passer le mot pour que les habitants volontaires, délaissent leur activités et s'engagent dans une battue.
On cherche pendant la journée entière, jusqu'à ce que la nuit tombe.
Francine a l'impression de devenir folle. Félix rentre épuisé et il reste auprès d'elle. Il est malheureux.
Pourtant il explique ce qui le rassure un peu et réconforte la maman.
« Tu sais, c'est sûrement affreux de te dire ça, mais on cherchait Morgane autant que son corps et ne pas l'avoir trouvé ce n'est pas tout à fait une mauvaise nouvelle…
— Oui Féfé, tu as raison… Et ce pauvre oiseau… Qu'est-ce qui s'est passé ? »

À court de mots, Félix la prend dans ses bras.

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