Les "vacances"

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Juin se perd dans le passé, juillet pointe le bout de son nez.
Les vacances entraînent les enfants dans les champs, les rivières et les bois, pour des aventures aux éclats qui dureront une vie entière.
Il y a pourtant un enfant qu'on ne voit pas sous le soleil, sauf le dimanche quelques fois.
Depuis son exclusion par madame Évraud, Jeannot travaille avec son père à la ville, au-delà de Chantaron. Tous les matins il monte dans la chariote, tirée par le vélo de Marcel Fourneau. Il leur faut presque une heure pour arriver à Saint Jeuney.

Le jour où l'institutrice a reconduit Jeannot chez lui, le garçon s'attendait à recevoir la raclée de sa vie, mais il ne lui fut assené qu'une claque sonnant comme un rappel à l'ordre.
En vérité, Marcel jubilait que son fils s'en soit pris à la sorcière. Elle et sa mère, cette fille de rien, se laissent vivre. Pire, alors que l'orpheline a mis une diablesse au monde, une illégitime, personne n'y trouve plus rien à redire et elle est respectée.
Monsieur Fourneau trouve la chose indécente, obscène. Et encore, si la margoton et sa fille se tenaient à l'écart, à leur place comme il se doit, mais l'une comme l'autre paradent : elles n'ont honte de rien.
Cette affreuse enfant qui siffle comme un démon méritait les coup de Jeannot et bien plus, assurément. Pourtant, tout le village la défend et, par contraste, les Fourneau sont méprisés. Cette inversion des valeurs est le signe évident des manipulations sataniques et perverses de cette femme et de sa fille.

Mais dans la correction infligée par son fils se cache un indice de colère, de défi qui lui est adressé. Les garçons, un jour ou l'autre, s'opposent à leur père ; Marcel ne le permettra jamais. Lui-même est resté obéissant au sien jusqu'à sa mort. C'est ainsi que les choses doivent être.
En emmenant Jeannot travailler avec lui, Monsieur Fourneau veut garder son fils soudé à son ombre pour l'inonder de sa volonté.

Marcel travaille pour un bourrelier depuis cinq ans. Il a acquis quelques libertés, le travail n'est pas aussi pénible qu'une activité d'ouvrier ou de manœuvre. Le patron de la sellerie l'autorise à initier son fils de dix ans au métier.
Le garçon aide donc l'apprenti à poisser le chanvre. Il en gâche un peu mais finit par se débrouiller assez bien. Il reçoit la pièce que son père récupère : « On doit économiser pour la famille. C'est ça le travail d'un homme. ». Jeannot empoche une petite part de ce salaire tous les dimanches, c'est la seule consolation qu'il a et dont il peut se vanter auprès des autres enfants en vacances.

Le garçon travaille le matin. L'après-midi il doit copier une partie du livre de morale sur des cahiers que la maîtresse a donnés. Il le fait sans état d'âme, résigné ; il vit sous un joug paternel absolu. C'est mieux comme ça : les frottées les plus brutales deviennent plus rares. Chaque jour, une heure avant de rentrer, Jeannot suit son père à l'auberge.
C'est là que monsieur Fourneau consomme du vin, c'est là qu'il chausse sa hargne. Mais en associant son fils à son environnement de plaisir, il s'attire quelques sympathies parce que le gosse fait parler et qu'on lui trouve des qualités. Cette considération soudaine éveille une fierté de père chez cet homme, une fierté qu'il n'a jamais ressenti.

*

Avec le savoir-faire de Félix et les soins attentifs de Morgane, le rouge-gorge, vole à nouveau, mais il n'est plus tout à fait ce volatile insouciant qui ne craignait personne.
Féfé et Pioupiou passent du temps dans le grand bois derrière le village.
Elle apprend le langage silencieux et les histoires que racontent les traces d'animaux. Ici une soue, là des crottes de chevreuil, un terrier de lapin, des caches grenouilles, des insectes utiles aux hommes et les oiseaux. Eux ne se cachent pas quand la petite fille est dans la futaie. Si ça ne les éloigne pas trop d'une nichée ou d'un territoire, ils vont la voir librement. Même les oiseaux prédateurs se mêlent aux passereaux : elle est leur "trêve de l'eau". Chacun vient boire à ce « beau comme un jour d'été » , à la paix qu'elle leur offre.

Quand elle n'est pas avec Félix, maintenant qu'elle est plus grande, Morgane quitte le giron maternel et retrouve Sophie. Malgré ses a priori et les événements de juin, Francine a cessé de lutter, mais elle insiste pour que Morgane ne joue pas chez les Fourneau : « Ni dans leur jardin, ni dans leur maison, tu m'entends ma fille ?! »

Parfois Charlie les rejoint, il a douze ans et normalement les grands ne condescendent que rarement à jouer avec les petits. Mais le lien spécial, frère et sœur de lait, l'affranchit de ces considérations. Et puis Morgane n'est pas le genre de fillette à jouer à la dînette, il y a toujours une magie de plumes et de chants dans l'air avec elle.
Les deux amies sont heureuses lorsque Charlie passe du temps près d'elles. Il est amusant, protecteur, il invente des aventures. Et souvent les oiseaux participent à leurs jeux entre deux nichées.
Jouer, pour un oiseau, ça signifie simuler une poursuite ou revendiquer un territoire.
Ils se posent sur les arbres, s'installent ainsi plus haut que Charlie alors, ils sont maîtres des lieux. De cette façon, ils défient le prétendant au titre, attendant que le garçon grimpe plus haut.
Ils alternent les manches de la bataille d'une branche à l'autre.
Ce sont toujours les oiseaux qui gagnent, le garçon est un peu trop lourd pour les brindilles. Les conquérants triomphent sans modestie en lançant le chant du vainqueur et quand Morgane cesse de rire, elle trille avec eux.
Sophie se réchauffe dans l'amitié de ses acolytes, mais elle prend bien garde de s'éteindre avant que Marcel et Jeannot ne rentrent.

Le jardin, dans la maison de Francine, est envahi de maisonnettes pour les oiseaux, c'est souvent Félix ou Charlie qui les fabriquent. La mère de la charmeuse a renoncé aux fruitiers et aux buissons de baies. Elle cultive des racines et fait des échanges avec les villageois. Eux s'accommodent comme ils peuvent de la situation. La foi en Dieu est forte ici, on se garde bien de critiquer ses choix, même si ça ronchonne dans les chaumières.
Le chiffonnier, qui passe au village de temps en temps, ne lésine pas sur les cargaisons de filets ; ça le fait rire. Il dit que, dans ce bourg, on croit que les poissons volent, alors on « nasse » les arbres.

Il y a des avantages à la présence de tous ce peuple d'oiseaux : point trop de limaces ou d'escargots et une terre bien riche sans oublier que, pour des chasseurs, ça se mange ces bêtes-là.
Morgane s'est faite une raison. De toute façon, ses copains sont assez malins et ce ne sont pas toutes les maisons qui logent des locataires volants.
L'un dans l'autre, à Massoy, les choses vont plutôt bien.

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