La coiffe du Bon Dieu

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« Ho, Titou ! Dépêche-toi maintenant !
— Dis ! Un gâteau c'est plus vite fait qu'une robe hein !
— C'est pour ça qu'une robe, on la commence bien avant un gâteau !
— Rouspète pas. Ça y est, ça y est j'ai fini… »

C'est l'anniversaire de Morgane.
Dans la maison rouge, la fête se prépare gaiement. Francine est restée un peu maigre, la peau légèrement transparente mais son sourire est revenu.
Hervé est un point sur le côté, douloureux... supportable.
Elle sait qu'il était sincère, qu'il l'aimait et qu'il voulait l'épouser. Si elle n'avait pas cru en cela, elle n'aurait pas pu remonter. Il est parti se chercher une situation et il reviendra, comme il l'a dit.

Le curé arrive le premier chez Francine, c'est le parrain de l'enfant. Il porte son cœur en cadeau et bien sûr quelques missels. Il plante un baiser bruyant sur la joue de Morgane. Elle le remarque à peine : ses bras sont tendus, ses petites mains s'ouvrent et se ferment : elle fixe un joli volatile chantant à deux pas de la fenêtre « Voisovoisovoiso»...

« Bonjour Francine, tu as l'air bien dis-moi... Et ce bébé grassouillet fait plaisir à voir.
— Bonjour, mon Père… Ha ! J'entends les grand-mères… Bonjour Titou ! Gégène… Oh ! Merci vous êtes gentilles ! Tiphaine, vraiment c'est du beau travail cette robe… On attend encore Louise et fils. »

Effusions et embrassades animent l'air, l'oiseau près de la fenêtre trouve l'ambiance un peu agitée et s'envole sur une dernière trille. Le menton de Morgane pousse sa lèvre inférieure vers l'avant, elle pleurerait presque, mais par la fenêtre, elle aperçoit Charlie, le garçon de sa nourrice. Il donne la main à sa mère
«Chalichalichali. »
Francine se tourne vers sa fille en souriant :
« Et bien, les voilà ! »

C'est un petit goûter sans prétention qui rassemble les soutiens de Francine. Une mère célibataire à la campagne, ce n'est pas très bien vu.
Mais les grand-mères et le curé ont un poids considérable dans la communauté, ainsi que la coiffe native de Morgane : on évite de faire des misères à la mère d'un enfant béni, si bien que le mépris et la méchanceté sont des goules assez discrètes à l'égard de Francine.

Comme tous les invités, Charlie offre un cadeau à Morgane : une petite maison de bois. Il l'a fabriquée avec son père :
« Et pis tu vois, ici on met des graines et pis quand c'est l'printemps, les oiseaux viendront faire des petits dedans et pis comme ça, tu les verras parce que j'va accrocher la maison là-bas... »

Il n'est pas certain que Morgane ait compris ce qu'il lui raconte mais elle écoute avec sérieux la tête penchée sur le côté.
Charlie tient un clou et un marteau et sort installer le refuge des oiseaux sur une branche d'arbre visible de la maison.
La petite reine de la fête adore les oiseaux. Les animaux fascinent la plupart des bébés, mais si les chats ou les chiens arrêtent un instant son regard, les oiseaux, eux, déclenchent des émotions très vives chez Morgane, des fous-rires ou des larmes et l'effacement du monde quand elle les contemple. C'est un trait de caractère amusant qui la définit mieux que ses yeux gris ou ses cheveux châtains frisés.

Il fait beau, un des derniers jours de l'été.
La petite troupe sort de la maison et s'installe devant la grange pour partager gâteau et boissons.
On a placé Morgane sur une couverture à l'intérieur d'un parc, Charles joue avec elle. Il construit des tours avec des cubes en bois qu'il détruit ensuite, pour le plaisir hilare du bébé.
Et puis, quelques minutes plus tard, après bien des scénarios de destruction de bâtiments, Charles tourne son visage vers les adultes. Il a l'air choqué.
Titou qui regardait les enfants à ce moment-là, comprend soudain ce qui lui échappait : ce petit gazouillis, ce chant d'oiseau qu'on entend, n'est pas modulé par un gosier à plumes, c'est Morgane qui le produit. Les muscles de son visage semblent réagir avec une maîtrise beaucoup plus efficace que lorsque la petite fille essaye de parler :
« Écoutez-ça ! »

Tout le monde se tait. Morgane vocalise quelques secondes, elle titine et zinzibule pour répondre à une mésange tout près. Laquelle, suffisamment convaincue par les trilles, s'approche pour observer ce drôle d'oiseau. Le bébé éclate de rire, le charme est rompu. Charles saute d'excitation :
« Refais-le Morgane, allez refais ! Il sifflote, comme il peut, entre ces deux incisives manquantes, Morgane rit de plus belle.
— Ah ! Ça ! » Gégène n'en revient pas « Ça fait longtemps qu'elle fait ça Francine ?
— Ben, non, je ne l'ai jamais entendue !
— C'est pas naturel, Louise est un peu pâle, Titou réagit promptement.
— Allons Louise ne t'affole pas, c'est sa coiffe ça, tu sais ? C'est rien qu'un cadeau du bon Dieu. Voyant que la jeune femme n'est pas tout à fait convaincue, le curé renchérit,
— Oui c'est le talent de Dieu, la marque d'un ange pour un autre, doux et gentil.
— Oui je veux bien. » Louise est superstitieuse et elle a peur. « Mais vous avez vu la figure que ça lui fait quand elle siffle ? On dirait un vieillard sans ride… Francine lui tapote la main.
— Allez Louise, c'est not'e Morgane, cherche pas le malin où qu'il est pas, t'as pas l'habitude c'est tout. »

Perplexe la mère de Charles riote et détourne les yeux.
Une indésirable inquiétude s'est invitée au goûter d'anniversaire.
Le curé, Germaine et Tiphaine reconnaissent, dans la réaction de Louise, la probable et prochaine attitude de tout le village.
Ils admettent volontiers, en leur for intérieur, qu'un bébé siffleur ce n'est pas banal et, qu'effectivement, quand elle siffle son visage paraît bien loin des attitudes naturelles d'un enfançon. Comme l'a dit Louise : on la croirait possédée par un vieillard.

Charles et Morgane sont retournés à leurs jeux. Les grand-mères forcent un peu la gaieté. Petit à petit Louise se détend. Francine presse un peu les choses, s'ils rentrent rapidement, il y a moins de risque que son bébé vocalise encore une fois :
« C'est tout à fait gentil d'être venus. Louise, emporte une part de gâteau pour ton homme, reviens vite nous voir. »

Quand Louise embrasse Morgane pour la saluer, une dernière résistance cède enfin : le bébé lui a attrapé les cheveux et mordille son menton comme lorsqu'elle faisait ses dents. Sur un « Chipie ! » amusé, la nourrice rentre chez elle, son fils lui tournant autour, siffle et fait semblant de voler.

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