25. Persévérance

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Mardi matin, même heure que la veille, je suis arrivée chez la tatoueuse.

— Je finis le dessin de la jambe et je commence le pubis. Tu peux garder ta chemise et tes chaussettes.

Le souvenir de lundi la fait tant sourire que je me sens intimidée de m’être ainsi dévoilée inutilement. Je baisse mon pantalon et mon string, dévoilant une cuisse violette et jaune. Une fois que je suis allongée, l’artiste écarquille les yeux. Elle retire son gant puis passe ses doigts sur le tatouage.

— Ça a cicatrisé ?

— J’ai laissé aérer.

— Non mais c’est impossible ! Je n’ai jamais vu un tatouage comme ça le lendemain ! C’est un truc de dingue !

— J’ai un bleu de la taille de ballon de rugby, quand-même.

— Mais ta peau est si nette.

Le tracé dessine quelques reliefs, mais cela semble être un miracle. La caresse de ses doigts cesse à mon grand déplaisir, puis elle applique le calque en me disant :

— J’ai dû en refaire un. Je pense qu’on va passer sur des séances de quatre heures pour que je fasse un calque complet à chaque fois.

— D’accord.

— Prête ?

Elle s’assoit, sa plume d’artiste en main, puis elle s’attaque à la suite.

Lorsqu’arrive le soir, la fesse endolorie et la chatte en feu, j’ai trop mal pour avoir envie de faire du sport. Je n’ai même pas pu remettre mon string chez la tatoueuse. D’un autre côté, Benji me prendrait pour une dégonflée, et Mickaël dont je n’ai pas le numéro de téléphone se déplacerait pour rien. Cédant à la douleur, j’ai tiré à pile ou face. La pièce m’a ordonné de me conduire en guerrière.

Je porte un treillis. La jambe gauche est aux couleurs vertes et brunes, et la jambe droite est un camouflage bleu et noir. J’ai enfilé mon sweat-shirt rouge et noir, et c’est en revanche avec une paire de chaussure non dépareillée que j’attends Mickaël sur le trottoir. La poigne serrée autour du barreau d’une fenêtre de l’immeuble voisin pour supporter la douleur, je cache mon visage sous ma capuche bicolore. Sortir sans masque et me présenter à du monde est une première. Il n’y a pas de meilleur moment pour faire le test car une fois en présence de Benji, je n’oserai pas me défiler.

La toute petite voiture du grand rouquin s’arrête en warning, et j’ouvre aussitôt la portière

— Trop cool tes fringues !

M’assoir simplement dans la voiture est un enfer. Je lui réponds d’une voix faible :

— Merci.

— Ça va ?

— Oui, mais je ne sais pas si je vais tenir le cours. Je suis une grande malade !

— T’as mal quelque part ? J’ai du doliprane si tu veux.

— J’en ai déjà pris. C’est… inefficace. Démarre.

— T’es sûre ?

— Oui ! Allez !

Un quart d’heure plus tard nous descendons de voiture et je maintiens ma capuche sur ma tête, les chaussures de salle dans une main, une bouteille dans l’autre. Je préfère attendre d’être chez moi pour me doucher.

Le dojo s’accède par une grande porte vitrée qui donne directement sur les tatamis bleus. Des enfants terminent un cours de boxe chinoise. Les parents sont agglutinés depuis l’entrée autour des tapis.

— Les vestiaires sont là-bas, m’indique Mickaël.

Bien que la foule ne prête attention qu’à sa progéniture, je me réfugie d’un pas hâtif dans le vestiaire des femmes encore vide.

Je m’assois sur le banc, le cœur battant. Je ne me sens pas prête à affronter le regard d’un groupe complet. La cuisse en feu et le pubis gonflé comme une quetsche, ce n’est vraiment pas le bon jour

Deux filles en leggings pénètrent dans la pièce, disent un simple bonjour puis se replongent dans leur conversation qui tourne autour d’un restaurant que la petite a essayé. Une fois qu’elles sont habillées, c’est cette dernière qui me demande :

— Tu viens pour un cours de close-combat ?

Je garde la tête baissée abritée par la capuche tout en répondant.

— Oui, je viens faire un cours d’essai.

— Anxieuse ? Faut pas, tu pourras t’exercer avec nous.

— Je ne suis pas très anxieuse pour le cours.

Je lève le regard et elle sursaute. Le mal étant fait, j’ôte doucement ma capuche. Ses lèvres cherchent des mots à balbutier. Sa copine mal à l’aise lui dit :

— Je t’attends dehors, Mimi.

La porte se referme et elle dit :

— En tout cas, ton treillis est super cool. Moi c’est Mimi et elle c’est Baba. Camille et Barbara.

— Élodie.

— Prends ton temps et rejoins-nous. Mais personne ne te jugera si c’est ce qui te fait peur. Et le prof est très bien, il ne laissera personne mal te parler.

J’opine du menton, puis les fillettes de la boxe chinoise entrent dans le vestiaire. L’une d’elle lâche une onomatopée de dégout en me voyant. Très vite les autres reprennent son aversion :

— Aahhhhh !

— Non mais ça ne va pas ! s’exclame Camille. On ne se moque pas du physique des gens !

— On ne se moque pas, c’est dégueu !

— Ça ne se dit pas !

La cruauté mièvre m’est pire que tous les regards que j’ai pu supporter jusqu’à aujourd’hui. Je me hâte de changer de chaussures pour quitter cette pièce. Une fois chaussée, j’ôte mon sweat-shirt. Mon t-shirt est noir à droite et vert kaki à gauche. Camille s’exclame avec un sourire :

— Je kiffe !

— On essaie de supporter son infirmité par l’originalité.

— C’est cool. Il faut de toute façon. Faut pas te laisser abattre.

Elle ouvre la porte et une gamine aux cheveux tressées m’interpelle :

— Madame ? Pourquoi t’es moche ?

Je jette mon visage vers le sien en allumant mon œil :

— Parce que je mange les petites filles !

Les yeux ronds, blême, elle reste tétanisée d’effroi. Je rejoins Camille, partagée entre la satisfaction de ma méchanceté et la culpabilité de l’avoir peut-être traumatisée à vie.

La plupart des élèves attendent l’arrivée de Benji, discutant par petits groupes, souriants. Une grande brune montée sur chaussures à talons arrive à la bourre avec un grand sac à main brodé de dorures. Elle passe sans dire bonjour et la tête de Camille affiche toute l'antipathie qu’elle a envers elle. Mickaël vient vers moi :

— Trop bien le t-shirt !

Camille me prend le bras :

— Ouais ! C’est ma nouvelle best friend !

Un petit gros chauve qui ressemble à une caricature de Gargamel passe à distance de trois pas en me dévisageant puis en secouant la tête de dépit. Personne ne l’ayant remarqué, je prends sur moi.

Minus et Cortex arrivent à leur tour. Le petit nerveux s’avance pour me faire la bise :

— Tu vas bien, Kira ?

Le petit a une amicalité sincère. Le gros bœuf se sent obligé de me faire la bise également et Camille s’exclame :

— C’est toi, Kira ? Je suis trop conne ! J’aurais dû le deviner. Mais tu m’as dit que tu t’appelais Elodie.

Benji fait son entrée, me permettant de ne pas répondre. Il vient de changer ses chaussures et en me voyant, il me lance un regard entendu. Ses élèves forment une seule ligne, donc je me cale entre Mickaël et Camille. Le professeur impose le silence par sa seule présence. Il pose tranquillement ses chaussures sur le rebord à côté du miroir. La grande brune sort précipitamment du vestiaire et essaie de se glisser discrètement en bout de rangée. Benji regarde sa montre puis après avoir regardé chacun de ses étudiants, il dit :

— Bonjour à tous. La bienvenue à Kira pour qui c’est difficile de se montrer en plein jour. Elle prouve qu’on peut affronter toutes les épreuves que la vie nous impose. Je vous prierai de prendre exemple sur sa détermination.

C’est censé être un compliment, mais ça n’est pas agréable d’être le centre de toutes les attentions quand on voudrait ne pas être regardée. Je crois que Benji s’en rend compte car il lance le cours directement après :

— Okay ! C’est parti ! En petites foulées et on essaie de toucher les épaules de ses voisins !

L’échauffement est un foutoir pas possible ! Les gens courent dans tous les sens en essayant à la fois d’esquiver les attaques et de toucher leurs partenaires. Mise dans le bain, personne n’a le temps de me dévisager. Quant à la douleur au bas de mon corps, elle est telle qu’elle devient un bruit de fond. Me concentrer sur ce qu’on me demande me permet de l’occulter en partie.

Le cours se termine après une heure et demie de sueur intense. C’est plutôt léger par rapport aux cours particuliers, et pourtant j’entends des soupirs du genre : « Il nous a achevés, ce soir. »

J’ai pu travailler avec presque la moitié des personnes présentes. La grande majorité se déplace avec à la maladresse d’un dahu, comme moi il y a un mois. Les filles répètent les gestes à moitié effrayées par les coups, sans qu’aucune colère ne se dessine sur leur visage. Contrairement à ce que m’ont laissé imaginer Minus et Cortex, il n’y a pas tant de testostérone que ça, ni d’affrontement d’égo entre les hommes. En revanche, il y a bien une scission entre la grande brune sexy et les deux autres, une sorte de rivalité.

Alors que je finis ma bouteille d’eau, Camille me retrouve, les yeux brillants comme une fan d’Indochine.

— Tu bouges trop bien !

— Merci.

— C’est cool que tu sois venu. Ce n’est pas facile d’assumer un nouveau visage.

Le petit rond chauve avec son nez crochu, son treillis remonté sous la poitrine me dit :

— Sincèrement, le vestimentaire dépareillé, ça ne le fait qu’à moitié. Ce n’est pas original, et c’est que t’assumes pas ta gueule. Faudrait mieux penser à la chirurgie esthétique.

Ma colère explose ! Un revers du poing, suivi un direct, je vois par transparence son nez se briser. Mon tibia enchaîne par une remontée franche entre ses jambes. Puis pendant qu’il s’écroule, je lui saisis la tête et mes genoux lui éclatent à tour de rôle le visage. Le petit nerveux me ceinture soudainement et Benji s’interpose :

— Kira ! Kira ! Il est fini, laisse-le !

Il se penche sur son élève inconscient. Il a deux dents déchaussées. Camille est tétanisée d’effroi. Ma colère ne descend pas, ni l’envie d’avoiner le sale con malgré qu’il soit inconscient. Mon seul vœu est de l’écraser à coups de chaussures, de retomber dessus à genoux et de le finir en lui martelant le visage comme le ferait un gorille. Le petit nerveux murmure en me tirant vers l’autre bout de la pièce :

— Calme ! Tu as très bien réagi. Ça fait cinq ans que j’en rêve.

Etrangement, cette révélation me rassure. Mes muscles se détendent et il lâche son étreinte.

— Il est un peu con, il dit toujours ce qu’il pense et il ne pense pas comme nous, mais il n’a pas un fond méchant. Je pense que tu as accompli le rêve de beaucoup d’autres élèves.

D’où je suis, je le vois reprendre ses esprits. Mon cœur ralentit un peu, mais il écarte mes côtes avec force à toute vitesse. Le petit nerveux sourit, réellement satisfait de ma réaction.

Benji soutient le crétin puis l’amène vers la sortie. En passant à côté, il dit en me regardant :

— Faut l’enfermer cette malade !

Le petit nerveux me ceinture juste au moment où je je bondis pour lui crever les yeux. Gargamel fait un bond en arrière qui lui permet d’échapper à mes ongles. Un sourire échappe à Benji avant qu’il assoie le crétin dans l’entrée puis ouvre sa trousse à pharmacie. Le petit nerveux me reconduit près des autres. Barbara dit à Camille :

— Fallait bien que ça arrive un jour. C’est cool que ce soit une fille qui lui ait mis la râclée.

La grande brune sexy me lâche avec un accent italien plein de dédain :

— Quand même ! Faut apprendre à te maîtriser.

Est-ce parce que ses deux rivales se tiennent près de moi qu’elle me parle ainsi ou le pense-t-elle vraiment ?

Le petit nerveux garde une main devant moi par peur que je fasse un doublet. Il me dit :

— Elle a envie de se taper Benji et t’es sa principale concurrente.

Comprenant l’aversion de Camille pour la pétasse, je me contente de la laisser gagner le vestiaire. Je marche pour calmer mes nerfs. Il n’y a pas si longtemps, j’aurais simplement ignoré des remarques déplacées du genre. Là, il y a cette chose animale au fond de moi qui prend le dessus, sans préavis, sans demander d’autorisation à ma raison. Ma raison est de toute façon trop lente à réagir, tandis que ça m’a pris une nanoseconde pour agir. Mes instincts les plus primaires s’engorgent de la satisfaction d’une issue aussi vive. Au fond de moi, je suis contente de trouver cette impulsivité, contente de ne plus me laisser marcher dessus. Evidemment, il manque un juste milieu, une gifle ou un coup de genou aux couilles aurait suffi. Mais entre ça et rien, je préfère ça.

Tandis que je mate la brune sous sa douche à travers le mur, Nez-de-bœuf qui est resté près de Benji revient avec un sourire :

— Il n’a rien, ça va. Juste le nez cassé. Benji va le conduire aux urgences.

Nez-de-bœuf m’étreint avec force et me dit :

— Tu fais partie de la famille, désormais.

Je ne sais pas si c’est une bonne chose venant de lui, mais ça fait plaisir. Benji avance vers nous.

— Je conduis le mongol à l’hôpital. On se revoit à minuit ?

— Je ne sais pas ce soir, j’ai toujours mal à ma jambe.

— D’accord, je m’en suis douté. Il vaut mieux que tu te reposes. Dix-neuf heures ici, jeudi et ensuite au stade.

— Ça marche.

Il me fait un clin d’œil puis embarque celui qu’il a lui-même surnommé le mongol. Je récupère mes affaires alors que la brune termine d’enfiler ses sous-vêtements. Je me dis que si je lui dis que je n’ai pas de vue sur Benji, elle changera de regard sur moi. Je m’approche d’elle et lui demande :

— Je peux te parler ?

Elle se retourne et soupire avec son accent italien :

— Qu’est-ce que t’as, le monstre ?

Comprenant qu’il n’y a rien à faire je soupire en repartant :

— Laisse tomber, poufiasse.

Elle n’ajoute rien, je change de chaussures puis rejoins Mickaël en ne sachant pas si je vais revenir ici. Remarque, tous les autres m’aiment bien.

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