19. Résistance

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Nous sommes jeudi. J’ai passé mes journées à confectionner des fringues simples à envoyer des idées par mail à Élisa. Nous échangeons sans arrêt par écrit, nous téléphonons quand nous n’arrivons pas à nous comprendre, et n’utilisons ni sobriquet, ni sous-entendu. Mon subconscient a compris le changement que je lui impose. Entendre sa voix me suffit, et pour être honnête, Tristan ne trouvera jamais de copine plus merveilleuse. Je ne veux pas le priver de ça. Mes objectifs vont vers la séduction future de Marion, quand mon poste à Rennes débutera.

Il fait nuit, et j’arrive cagoulée sur le terrain de sport. Benji est présent avec trois autres hommes. Prudente, je ralentis le pas.

— Ne t’inquiète pas, Kira. Ce sont d’autres élèves à moi.

— Normalement, je dois être seule.

— Personne ne m’a précisé cette condition, pas même toi.

Mon silence lui donne raison. Il ajoute :

— Okay. Aujourd’hui, trois heures d’entraînement. Premièrement, je veux revoir tout ce qu’on a vu depuis le début. C’est un élève qui t’attaquera, je veux pouvoir garder un œil extérieur. Ensuite on travaillera ces agressions avec multi-assaillants. Choisis ton partenaire.

Il désigne de la main ses trois comparses. Ils n’ont pas l’air particulièrement méchant. S’ils ont prévu de finir la séance par un viol collectif, ils doivent être excités. J’observe leur cœur avec mon œil, pour constater leur calme. N’ayant pas ma pièce pour déterminer qui sera mon partenaire, je fais ham stram gram dans ma tête, avant d’en désigner un du doigt.

— Okay ! Allez ! Quatre tours de stades !

Nous nous élançons. Très vite, malgré ma petite taille, je les distance, et je finis mes quatre tours bien avant eux. Benji me fait gainer les abdominaux en position planche, le temps qu’ils arrivent, puis décide de punir leur lenteur par des pompes.

Ils me battent sur ce domaine.

Les deux premières heures passent plutôt bien. Finalement les trois m’agressent. Leur gabarit n’est pas le même, l’un est grand, l’autre costaud, le dernier plus petit et nerveux. Benji corrige des menus détails, perfectionne mes gestes et mon positionnement, ne me laissant aucun répit.

La dernière heure me fait monter le stress rapidement car ils m’entourent. Le costaud porte le bouclier que je dois frapper, le petit un couteau, et le second peut me cogner.

Essoufflée, je tourne en rond en pas chassés pour ne pas leur tourner le dos.

— Ne les laisse pas t’encercler, Kira !

Le petit arme la main, mon pied fouette son visage, mes poings reviennent frapper le bouclier. Le stress monte si haut que je ne contrôle plus ma vision et leurs squelettes m’apparaissent tous par transparence.

Après cinq minutes à me faire bouger, Benji inverse les rôles, histoires que ses autres élèves s’entraînent également. Tout en attaquant et retrouvant à peine mon souffle, les informations que me renvoient ma vision prennent un sens. Elles me permettent, à courte distance de distinguer l’influx nerveux transmis au muscle et d’anticiper chaque geste que va réaliser le défenseur. C’est plus rapide qu’un flash, mais si je parviens à agir moi-même à la perception de ce flash, je serai capable de mieux réagir à une attaque.

— Okay ! Les mecs, enlevez vos coquilles de protection. Mitaines et protège dent pour tout le monde. Kira a le droit aux protèges-tibias. Okay ?

Je m’écarte pour m’équiper et mettre le protège-dents dans ma bouche dos à eux. Je n’ai jamais combattu que contre Benji qui se maîtrise, retient ses coups et me laisse volontairement des ouvertures. Ma respiration s’accélère avant-même que je sois retournée vers eux.

Benji déclare :

— Okay ! Mickaël contre Kira, les deux autres ensembles. Round de trois minutes. Si ça part au sol pour une raison ou une autre, vous pouvez mordre, griffer. Faites attention aux yeux. Okay ? Et celui qui frappe les articulations, je le dessoude.

Chacun opine du menton sans parler. Mon adversaire, grand et effilé, a peur. Ses phéromones se sentent. C’est surprenant et ça ne met pas en confiance. Cela peut aussi bien dire qu’il pense que j’ai un bon niveau et ça serait flatteur. Cela peut également signifier que lorsqu’ils entrent en combat, ils vont jusqu’à l’extrême.

— Combat, souple ! Pas de KO, mais on vise le visage et les parties génitales ! C’est parti !

On m’a appris à prendre l’initiative, alors j’engage le combat pour prendre l’ascendant psychologique. Mes fouettés des jambes sont encore ridicules, il encaisse sans broncher et me rentre dedans. Les coups sont secs, désagréables, je protège ma tête coûte que coûte. L’influx nerveux se dessine sur ses muscles, comme une carte. N’arrivant pas à me toucher, il feinte un crochet aux côtes puis me cogne la poitrine violemment. La douleur dans mon sein me fait exploser de rage. Je crie, je hurle, je le frappe, anticipe chacun de ses mouvements et cogne sans retenue. Il recule, débordé. Son professeur lui hurle dessus :

— Bouge Mickaël ! Bouge !

Il essaie d’écouter, mais je poursuis ses déplacements, jusqu’à ce que j’entende :

— Okay ! Changez de partenaire ! Romain contre Kira !

Bon le grand, c’est fait ! Maintenant, je m’attaque au bœuf.

— Go !

Un bœuf, ça frappe fort, mais l’influx nerveux met plus de temps à activer les muscles. Je bouge, sautille, le fais s’essouffler, me désaxe et envoie la pointe de la chaussure sur ses couilles. Il n’a pas le temps de lever sa jambe, et il s’effondre sur les deux genoux.

— Debout Romain ! C’est qu’une couille ! Il t’en reste une autre !

Mais le temps que Romain, le visage congestionné, se redresse, les trois minutes sont écoulées.

— Okay ! Romain ! Sautille ! Cyril, face à Kira.

Le colosse lui fait signe que c’est bon. Le petit nerveux se place face à moi. Son visage s’est fermé comme celui d’un psychopathe.

— Go !

Il est vif, rapide, vicieux, il feinte, se déplace parfaitement et je ne parviens à rien anticiper. Benji m’a mis face lui en dernier car c’est le plus redoutable. Il joue avec moi, m’effleurant de petites frappes, sans que je parvienne à le toucher, se collant contre moi sans cesse !

Son amusement dure depuis une minute quand mon irritation commence à prendre le dessus sur ma logique. Comprenant certaines de ses habitudes, je feinte un coup de pied circulaire pour l’amener à se rapprocher de moi, puis bondis avec l’autre genou. Ma frappe manque ses parties génitales, mais la béquille sur la cuisse le fait fléchir une demi-seconde. Alors il accélère également le jeu. Ses crochets vont à chaque fois droit à mes côtes, m’estomaquent et brisant ma respiration. Alors que je me décide enfin à en bloquer un, son poing change brutalement de direction et se fracasse sur ma tempe. Le direct qui m’éclate les lèvres par la suite, je ne sens pas. Je vois les étoiles sans comprendre que je suis en train de tomber. Mon crâne heurte le sable.

— Kira ! Kira ! appelle la voix de Benji.

J’entends, mais je ne peux pas répondre. Il se penche, ses doigts soulèvent ma cagoule, alors ma respiration reprend et je me saisis de son poignet pour l’arrêter.

— Kira, tu as plein de sang sur la cagoule ! Il faut que tu respires !

Il retrousse de force la cagoule juste au-dessus de mon nez, alors je m’empresse de tourner le profil droit vers le sol pour cracher le sang.

Il m’aide à me relever et conclut avec la douceur maximale que peut avoir de son accent marseillais :

— Okay ! On a fini pour ce soir. C’étaient des beaux combats.

Je baisse le bas de ma cagoule. Le petit nerveux me tend la main :

— Désolé. En tout cas, t’es une vraie tigresse. Ça change d’avoir des filles qui en ont dans le ventre.

— Merci.

— T’es rapide, me dit le bœuf. Tu feras une grande combattante.

— J’espère qu’on se reverra, me dit le grand. C’était super, et j’ai besoin d’une revanche ! Et le petit œil vert ça me faisait flipper au début.

Je les remercie tous deux, puis le temps qu’ils ramassent leurs affaires pour disparaître, je me retrouve seule avec Benji.

— Ils ont raison, tu cognes bien pour une fille. On sent le passé violent et récent qui te ronge les tripes, c’est ce qui va te faire progresser. J’aimerais en septembre que tu viennes t’entraîner à la salle, et que tu ne restes plus en louve solitaire.

— Avec la cagoule ?

— En s’en fout de ta cagoule ? Pourquoi tu protèges ton identité ? T’as trop regardé de films et tu veux devenir une justicière masquée ?

Je secoue la tête.

— Non. Ce n’est pas mon identité que je protège.

— Et Kira, c’est ton vrai prénom ?

— Élodie. C’est Élodie.

— Et pourquoi tu caches ton visage, Élodie ? T’es une célébrité ? Tu sais que j’ai donné des cours particuliers à des célébrités, personne ne l’a jamais su que c’était moi, et pourtant ils se sont bien vantés à la télé de faire du close-combat… Tsss. Ils n’ont même pas le quart de ton niveau.

J’agite une nouvelle fois le menton.

— Non, je suis une anonyme. Normalement je porte un masque, mais je ne veux pas l’abimer.

— Pourquoi ?

Sentant l’agacement dans sa voix, je lui demande :

— Pourquoi tu veux voir mon visage ?

— J’aime bien connaître les gens à qui j’ai à faire. J’aime bien les comprendre pour mieux leur enseigner. Je dors peu, donc je prends plaisir à venir t’entraîner la nuit, mais je ne vais pas continuer un an comme ça. J’organise des stages de groupe, on travaille sur le car-jacking et sur plein de thèmes que je n’aurais pas le temps d’aborder avec toi.

— De toute façon, je vais être muté à Rennes d’ici septembre.

— Tu me dis ça comme ça ? J’investis mon temps en toi…

— T’es payé, pour, non ?

— Ouais… ouais. T’as raison. Reste dans ton monde de Parisienne consommatrice ! D’où je viens, on est tous des potes ! On s’entraîne et toutes les semaines, on va se boire une mousse ! Et un weekend par an, on part dans les calanques prendre du bon temps. Moi, c’est ma conception des choses quand je transmets mon savoir à quelqu’un. Reste une louve solitaire, ne te fais pas d’amis, et quoi qui t’es arrivé, tu ne remontras pas la pente.

Je reste silencieuse car les larmes me montent aux yeux. Malgré la pénombre, il s’en aperçoit puis il baisse la tête pour la première fois.

— Désolé Kira, je… Tu as raison, c’est toi qui choisis. En tout cas, je te réitère mes compliments, tu as un potentiel. Si tu venais au club, je pense que tu tirerais quelques minettes et quelques mecs mollassons vers le haut. À Rennes, je connais quelqu’un, je lui dirai de t’entraîner.

C’est lui qui a raison, et malgré son emportement, il reste généreux. Sentant qu’il va se tourner vers son sac, je le retiens :

— Attends.

Je lui présente mon profil gauche, puis enlève ma cagoule. Il souffle en me disant :

— Putain ! Tu es belle.

Je souris malgré-moi, puis tourne mes deux yeux vers lui. Il sursaute avant de se précipiter pour porter ses mains à mon visage :

— Putain ! Qui t’a fait ça ?

— Un collègue.

— Dis-moi qui c’est, je vais le buter.

— Il est en détention provisoire.

— Même s’il faut attendre dix ans pour qu’il sorte, je le tue. Je te jure, je le tue. Et on ne retrouvera jamais le corps.

Sentant ses mains un peu trop affectueuses, je lui dis :

— Il prendra trente ans, il a tué ma petite amie.

Un ange passe dans ses yeux, et je réalise qu’il commençait à avoir des sentiments pour moi. Ses mains quittent mon visage pour se poser sur mes épaules, comme si j’étais devenue un mec à ses yeux. Néanmoins, il ajoute :

— Avant que tu ailles à Rennes, je vais t’entraîner comme une sauvage. Et je vais t’apprendre comment finir un mec de cent façons, okay ? Comme ça, s’il revient en sortant de prison, tu auras des années d’entraînement pour lui faire face.

— Merci Benji.

Il me fait un clin d’œil, une tape sur l’épaule puis ramasse sa veste. Il sort une carte de visite de sa poche :

— On reste en contact. Tu m’envoies un SMS en me disant que c’est toi, et si jamais j’ai des créneaux en journée, je t’entraîne. Et pour plus tard, si t’as des loustics qui te posent des problèmes, j’ai des potes, on peut régler ça.

— D’accord.

Encore un clin d’œil, puis il quitte à son tour le stade.

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