II

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25 août 1270, quartiers du roi Louis IX à Carthage, Ifriqiya

Charles d'Anjou m'avait fait sceller un cheval pour pouvoir chevaucher à ses côtés et accompagnés d'une petite escorte nous avions vite rejoint Carthage, située à quelques encablures à peine du port.

Dans la ville, les bâtiments sarrasins côtoyaient les ruines de l'antique cité détruite du temps des romains. Partout les étendards des croisés flottaient, accrochés aux différentes bâtisses. Les troupes avaient investi nombre d'entre elles, mais la plupart logeaient dans des tentes, dressées aux quatre coins de la cité, sur les places et les espaces verts.

Carthage fourmillait de vie et tous les croisés nous saluaient avec déférence lorsque nous les dépassions au trot. C'était une impression aussi enivrante que surprenante au vu de la propagation affolante de la maladie il y avait encore à peine quelques semaines de cela.

La moindre trace de douleur et de souffrance avait complètement disparu et en arrivant après coup, je dois avouer que je n'aurais jamais imaginé que la mort ait pu un jour laisser planer sa funeste aura sur ce lieu. Tout était lumineux, l'air vivifiant, les hommes hardis et heureux. Une forteresse de la foi au faîte de sa splendeur.

Je savais la chance inouïe que j'avais, en cet instant, de pouvoir contempler un véritable miracle. Un miracle d'une formidable ampleur.

Nous remontions la voie principale jusqu'à une écurie réquisitionnée par les croisés, où des palefreniers se sont empressés de nous soulager de nos montures. En descendant à bas de nos chevaux, Charles d'Anjou et moi nous dépêchâmes de rejoindre un large édifice aux épaisses colonnades qui venaient soutenir un fronton de pierre blanche. De part et d'autre de l'entrée, de grandes bannières dégringolaient depuis le toit jusqu'au sol, parsemées de fleurs de lys sur leur fond d'azur. Le doute n'était pas permis, il s'agissait bien de la demeure du roi Louis IX.

Deux templiers en faction s'écartèrent et nous saluèrent lorsque nous franchîmes la porte. À l'intérieur de nombreux nobles faisaient la queue pour une audience. Était-ce le roi ou le messager de Dieu qu'ils venaient voir ? Pour la première fois du règne de notre saint roi la réponse à une telle question était indécise. J'avouais que moi-même j'étais partagé entre la volonté de m'entretenir avec notre monarque et celle de contempler un ange comme seuls les élus, cités dans la Très Sainte Bible, en avaient eu l'immense privilège. Et sa voix ? Quelle pouvait en être la sonorité ? Était-elle douce ? Tant de questions de ce genre tourbillonnaient sans fin dans ma tête.

Dans une pièce plus vaste que les autres, meublée avec goût, le roi Louis nous apparut, assis comme à son habitude sur un trône en bois, une couronne chaussant sa tête et le sceptre royal dans la main, il conversait tout bas avec un étrange personnage. À ses côtés, je reconnus ses fils Jean Tristan et Philippe le Hardi ainsi qu'Alphonse de Poitiers, l'autre frère du roi.

Bizarrement, aucun d'entre eux ne se retourna à notre arrivée. Charles fronça les sourcils devant l'affront mais ils semblaient tous tellement absorbés par les paroles de l'individu qu'ils ne faisaient attention à rien d'autre. Sans se démonter, Charles reprit son habituelle constance princière, sans nul doute bien conscient que nous avions sous les yeux l'inconnu responsable du miracle.

L'ange de Dieu.

Et comme s'il entendait les pensées à l'intérieur de nos têtes, l'être supérieur tourna subitement les yeux vers nous et lorsque nos regards se croisèrent je ne pus m'empêcher de frissonner.

Il ressemblait en tout point à un homme, grand, bien bâti, les cheveux un peu grisonnants, mais ses vêtements étaient différents de tout ce qui m'avait été donné de voir. Tout en noir, des pieds à la tête, le pantalon maintenu par une unique ceinture à la boucle fine, et sous ce que j'entendis plus tard qu'il appelait « veste », une sorte de chemise apportait un peu de blanc dans cette physionomie générale très sobre et imposante. Tous ces vêtements avaient un aspect étrange, car même leurs tissus n'avaient rien en commun avec ce qui se faisait dans le monde chrétien et aussi, de ce que j'en savais, dans le monde sarrasin. Ses chaussures également avaient cet aspect fin et chic, parfaitement ouvragées et elles tranchaient singulièrement avec nos habituelles bottes en cuir.

Assurément cet homme n'en était pas un et venait d'ailleurs, du royaume de Dieu. Chaque parcelle de mon corps tremblait autant d'excitation que de peur. Mais pas une mauvaise peur. Non, une peur pleine de déférence envers le divin. Car ce que nous contemplions tous était au delà de nos vies mortelles. Cet individu servait un plus grand dessein.

Pour cela, il devait nous prendre la main.

Et nous guider.

À mes côtés, je sentais que Charles d'Anjou, d'habitude si fier et si stoïque, tremblait presque imperceptiblement. Voir une telle manifestation d'humanité et de foi chez cet homme, fit palpiter mon cœur encore plus fiévreusement qu'il ne le faisait déjà.

L'humilité était le maître-mot en cet instant qui paraissait s'étirer inlassablement, nous entraînant hors du temps.

Devant nous, le roi Louis nous jaugea à son tour et son visage se fendit d'un sourire alors qu'il nous fit signe d'approcher. « Joinville », me disait-il en me tenant la main, le timbre de la voix quelque peu ému. Le roi s'étonna de ma venue, avant de s'en féliciter. Il était heureux que je puisse assister à la quasi résurrection de son armée et au nouveau souffle de sa croisade. Il avait besoin de son ami et conseiller et bienheureux que j'étais d'entendre le roi le plus puissant de la chrétienté vanter ainsi ma personne, je me sentais plus prêt que jamais à le servir du mieux que je le pouvais.

L'ange du Seigneur nous salua à son tour. À ma grande surprise, sa voix était sèche, rugueuse. Elle accrochait au fond de sa gorge avant d'en ressortir sous la forme d'une mélopée grave. Je ne pouvais m'empêcher de darder mon regard exalté vers lui. De le dévisager copieusement, avec un appétit de foi plus ardent que jamais.

Il nous expliqua sa mission. Envoyé par Dieu pour guider la chrétienté vers le succès. Vers la domination du monde. Le temps des justes était en marche et c'était le bras de nos armées qui allait propager la foi au sein des bastions du paganisme et de l'hérésie. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.

J'allais être le témoin du plus magnifique des bouleversements de l'histoire de l'humanité.

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