Chapitre 92 - Le lycée

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Déjà quarante-cinq minutes que nous avons quitté la rue principale donnant sur DCK. Mark ne m’a pas rappelé. Mes yeux se perdent par delà la vitre de la petite citadine et je n’entends presque plus que les battements irréguliers de mon cœur.

« Là où tous les problèmes disparaissent ». Ces quelques mots tambourinent dans ma tête, tandis que Jeffrey, jette un œil dans ma direction de temps à autre, tout en conduisant les bras tendus sur le volant.

Peu à peu, les trottoirs grisâtres et abris de bus bétonnés s’éloignent de nous. Puis, de jolis maisons aux jardins exemplaires font leur apparition. Cela faisait longtemps que je n’étais pas passé par de tels endroits. La vie en ville est tellement riche et pleine, que je me rends compte seulement maintenant, que je n’ai pas quitté l’air pollué depuis le lycée. Sans partager ma pensée avec Jeffrey, je ressens un pincement dans la poitrine. De la honte.

Ce voyage a pour effet de me remettre en question. Est-ce que je profite vraiment de la vie ? Depuis que Riley est de nouveau rentré dans ma vie, j’ai beaucoup repensé à mon passé. Je me contentais de peu pour être heureuse. Aujourd’hui, je ne suis rien de plus que tous ces citadins, avide et livide. Là encore, je me déçois...

— Nous arrivons Mademoiselle.

En effet. Jeffrey m’arrache de mes pensées houleuses et mon regard glisse sur un panneau annonçant l'entrée du lycée dans quelques mètres. Les autres spots publicitaires qui l’accompagne ont bien évidemment changé depuis dix ans, mais comme un flash-back lorsque nous passons devant le petit parc dans lequel je passais mon temps, la mémoire me revient. Je lisais souvent ici, et regardait les autres briller en société tandis que je me comportais telle une ermite à les admirer bêtement. Les arbres ont bien poussés depuis dix ans, mais je retrouve rapidement l’érable rouge où je m’asseyais en contemplant Riley peloter les filles quelques mètres plus loin. Malgré moi, je lâche un profond soupir. Jeffrey tourne la tête dans ma direction non sans discrétion. Je hoche doucement la tête en esquissant un sourire faiblard pour le rassurer.

— Ce sont les vacances, l’établissement est fermé. À votre avis, où se trouve-t-il ?

— Le terrain de football... Lentement nous faisons le tour du lycée, qui me parait plus grand qu’à l’époque, bien qu’il n’a pas changé d’un pouce. Jeffrey finit enfin par se garer sur un petit parking en terre battue jouxtant de hauts grillages et bon nombres de gradins. Il me faut un instant pour descendre de la voiture. C’est lorsque je croise le regard marron du garde du corps patientant devant le portail d’entrée, que je réalise que je n’ai pas envie d’être ici. Mais Riley mérite que je fasse cet effort. Je veux m’assurer qu’il aille bien, ensuite je déguerpirais de sa vie, pour son bien.

J’avance aussi bien que je le peux vers le gorille au cœur tendre. Ce dernier fronce les sourcils en me voyant arriver à sa hauteur. Il faut dire que je me sens complètement vide et mes jambes flagellent malgré moi. J’essaie de sourire mais mon genou se dérobe sous mon poids. Aussi vite que l’éclair, Jeffrey me retient en dessous le coude pour me redresser. Je cligne plusieurs fois des yeux. C’est fou, la vitesse à laquelle il est intervenu !

— Merci Jeffrey !

— Je vous en prie Mademoiselle.

Un bruit de claquement me fait frémir de l’intérieur et je ne parviens pas à réprimer un sursaut. Le garde du corps lui, est très serein, et ne se soucie même pas du portail qui claque avec le vent, alors qu’il venait de l’ouvrir avant de me secourir.

Soudain, mon attention se concentre sur le terrain. Mon cœur s’emballe. Plus rien d’autre n’existe. Sans calculer mes gestes, je repousse l’étreinte de Jeffrey. Une curieuse force m'anime. Les yeux ronds aux bords de l’implosion, je m’élance derrière le portail et me met à courir. Je manque une nouvelle fois de m’étaler sur le sol. Mes ballerines m’abandonnent dans ma course. Le vent frais balaie mon visage et les quelques larmes accumulées à la commissure de mes yeux s’évanouissent derrière moi. Le souffle court, j'atteins le centre du terrain où un homme se tient titubant sur place, un bandage imprégné de sang noué autour de la main gauche de l’individu.

— Riley ! hurlée-je dans un cri désespéré.

Son corps se fige. Il a à peine le temps de me faire face que je saute dans ses bras. Sous l’impact, nous heurtons tous deux le sol avec violence. Les yeux fermés, je n’ose les ouvrir de peur d’être seulement dans un rêve. Mais la robustesse de sa main me repoussant me remet dans la véracité de la situation.

La première chose que j’aperçois, c’est l’orage de son regard pourtant encore surpris de me voir. Une barbe de trois jours fonce son menton et je perçois très nettement ses lèvres splendides, trembloter en quête de mots.

Dans le mouvement, le pinceau emprisonnant ma tignasse s’est libéré et cette dernière ne tarde pas à tomber en cascade sur la poitrine de Riley. Larmoyante, je me mets à sangloter en me relevant, puis tombe à genou devant mon premier amour.

— Kathe... Kira ?

Sa voix est hésitante et rauque. Mon cœur se déchire encore une fois.

— Katherina... Je suis Katherina...

En répondant cela, je sais d’avance que j'enfonce le clou toute seule.

Sa main droite frotte sa barbe. Ses sourcils montent et descendent sur son front. Il ne sait plus où il en est. Comment lui en vouloir ? C’est bien moi la fautive dans cette histoire et l’objet de son tourment.

— Que fais-tu là ?

— Je te cherchais. Mark... Ton père est très inquiet pour toi.

— Mon père ?

Sa voix ne cache pas une certaine amertume et même du dédain envers son paternel. Lentement, Riley s’accroupit à ma hauteur en faisant un petit geste envers Jeffrey comme pour lui assurer de sa bonne santé et lui suggérer de rester en retrait.

— Il n’a pas arrêté de m’appeler Riley. Quand je l’ai vu débarquer à la galerie, je...

D’un geste net, il m’arrête de la main, et retrouve soudainement toute son autorité naturelle, malgré son jean et son tee-shirt tâché de sang.

— Tu attends quoi de moi ?

Sa voix me glace les os. Je décrypte lentement son visage. Interdite, j'y décèle de la déception, de la colère... Et de la haine...

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