De l'Eden de tes Enfers

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Musique proposée : "I invoke cursed winds" - Peter Gundry

Tout a l’air si paisible.

L’air frais caresse nos visages, glisse sur nos peaux découvertes. Il pleut des feuilles multicolores, que le jardinier rassemble inlassablement en tas. Certains s’enveloppent déjà dans leur chemise, descendent leurs manches, malgré l’astre solaire présent dans un ciel sans nuage. Alors que les arbres ont revêtu leur manteau coloré, le sol prend une belle couleur violette autour des sentiers, grâce aux pétunias et aux dahlias, aux caryopteris et aux chrysanthèmes. Les effluves florales me parviennent, et je hume l’air, délicatement, appréciant le bruissement des branches que le vent secoue gentiment. J’aime la saison automnale.

Et j’aime savoir que quelque part, tu es à l’automne de ta vie.

« Pas trop dur ? » me demande Marie, alors que je t’observe de loin.

Je souris légèrement, attrapant la cigarette qu’elle me tend, et je l’observe. Sa chemise blanche lui va si bien, à cette petite nouvelle. Tu te dirais ça aussi si tu la voyais. Elle ressemble à notre fille, tu sais ? Enfin même si la nôtre est plus jeune, bien entendu. Mais ça, tu es courant. Ca ne t’a pas arrêté.

« Non. Il le fallait, » réponds-je finalement en haussant les épaules, imitant une attitude fataliste.

Mais je ne suis pas fataliste. Je suis déterminée. Et je sais que j’ai fait ce que je devais faire. Mon regard se porte sur les autres personnes qui se promènent. Quelques unes sont en blanc aussi, comme Marie et moi. Toi, tu portes cette chemise brune, terne, que je t’ai ramenée. Aussi terne que ton regard hagard. Sais-tu encore où tu es ? Je n’en suis pas certaine.

D’ailleurs, ton regard tombe sur moi. Je te fixe. Je vois quelque chose s’allumer dans tes yeux. Ton esprit qui travaille. Ou plutôt qui tente de travailler. Tu cherches. Tu cherches où tu es, pourquoi je suis là. Je le sais. Je le vois. Je te connais. Mieux que n’importe qui maintenant. Et personne ne te viendra en aide, personne. La roue tourne, mon cher. Tu ne croyais pas que je ne découvrirais jamais ce que tu leur faisais ?

Je travaille tous les jours avec des gens qui sont enfermés dans leur propre esprit à cause de personnes comme toi. Personnes, oui. Pas monstres. Pas merdes non plus. Parce que tu es un homme, un homme avec toutes tes facultés. Ou plutôt tu l’étais, au moment des faits. Pendant toutes ces années à prendre un peu plus d’emprise sur tes propres fillettes. Comment pouvais-tu avoir la conscience tranquille ? Ne t’inquiète pas, je sais que tu regrettes maintenant. Mais il est trop tard, et j’irai jusqu’au bout.

Ton automne ne fait que commencer, et je m’assurerai qu’il soit long et pénible.

Une fois qu’on entre ici, on n’en ressort pas vivant. Voilà dix ans que je travaille dans cet endroit, que je vois ce jardin qui s’efforce de donner un air accueillant à ces bâtiments emplis de lits d’hôpital, de cris et de pleurs. Ces bâtiments dans lesquels la Mort travaille tous les jours. Et ça fait déjà plusieurs mois que tu es coincé ici, grâce à moi. Oh je sais que tu me hais. Mais tu as peur de moi. Parce qu’ici, tu n’as plus aucun pouvoir. C’est moi qui l’ai, le pouvoir. Tu le sais et tu me crains pour ça. Parce que je sais. Parce que je n’ai plus la moindre compassion pour toi. Je m’occupe de toutes tes doses, et avant de mourir tu seras enfermé dans ta propre tête.

Tu n’es pas encore mort, mais je sais que tu te crois déjà en Enfer. Je m’en assure.

La justice ne m’aurait pas aidé. Tu n’aurais jamais eu ce que tu méritais. Je contrôle ton châtiment, tous les jours. Et tous les jours, je te vois sombrer un peu plus. Tu ne sais pas à quel point je prends du plaisir à me venger.

A les venger.

Je n’ai jamais été pour la peine de mort, et je ne le suis toujours pas. Je ne souhaite pas vivre dans un Etat qui m’aiderait à tuer la personne qui m’a fait du mal. Même si en l’occurrence, je n’ai rien subi. Ce n’est pas moi que tu as brisé depuis je ne sais combien de temps, c’est ta propre chair. Ton sang. Le fruit de notre amour. Et tu as osé y toucher, le souiller, noircir leurs âmes, à toutes les deux ! Mais je suis là pour les protéger. Et je m’assurerai que tu sortiras de mon lieu de travail uniquement les pieds devant.

Je regarde ma montre, souris, et relève les yeux. Puis je commence à m’avancer vers toi, ton petit flacon de pilules à la main, de différentes tailles et couleurs.

Il est midi, l’heure de te tuer un peu plus.

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